Paris – Cerf – 2017 – 204 p.
Quoi qu’il en soit de polémiques politiciennes persistantes, on comprend mieux, aujourd’hui, que non seulement la « laïcité » n’est pas intrinsèquement antireligieuse mais que, bien comprise, elle met en œuvre une distinction légitime entre Etat et Eglise : ne renvoie-t-elle pas à la parole de Jésus relative à ce qui relève de César et à ce qui appartient à Dieu. En ce sens, la laïcité procède bien d’une idée chrétienne. Mais le mérite de ce livre -qui s’ajoute à tant d’autres sur le même objet- tient à l’originalité de son argumentation. Le Père Brancaccio entreprend en effet, courageusement, d’établir que, pour la pensée chrétienne la plus traditionnelle, le champ de compétence spécifique de l’État ne relève pas de conditions ou de données d’ordre religieux mais de « sources universelles…telles que la nature et la raison » (p.17). Et c’est, dit-il, de leur « compénétration » (p.36) que procède le droit, qui est donc d’origine laïque. Ainsi, en « proposant » (p.36)ce terme, on pose son fondement, de sorte qu’on le reconnaît ainsi comme une notion chrétienne.
Nous ne reprendrons pas ici le long et minutieux raisonnement au terme duquel l’auteur montre que là est précisément l’enjeu du célèbre débat de 2004 entre Habermas et le Cardinal Ratzinger, comme des déclarations ultérieures de celui-ci, devenu le Pape Benoit XVI. Leur analyse serrée et approfondie, comme celle des propos du Pape François, qui ne mobilise cependant jamais ce terme, circonscrit et dessine toute sa place. Simultanément, cette étude s’insère opportunément dans la discussion, actuellement vive, sur le droit des religions à participer aux débats socio-éthiques en cours. Face à ceux qui le récusent et pour qui leur compétence se limite à la seule sphère « privée », l’auteur montre pourquoi elles ont le droit -et le devoir- « d’envisager leur collaboration en faveur de la dignité de la personne humaine » (p.140). C’est en effet l’État qui est laïque, mais non la société, qui est au contraire le siège et le lien des libres controverses.
Encore se demandera-t-on à bon droit quelle peut être, dans le contexte actuel, la portée de cette perspective, si pertinente soit-elle. L’opinion demeure marquée en profondeur par la confusion entre cette conception authentique à la laïcité et celle qui, pour la rejeter ou pour s’en réjouir, l’assimile à une certaine vision des « Lumières », à l’agnosticisme, à l’athéisme et à l’irréligion. Cette réduction, pour erronée qu’elle soit, est assez entretenue pour demeurer vivace et pour entraîner une conception du vivre ensemble marquée par l’écart entre ceux pour qui cela signifie la résignation plus ou moins amère à ce que l’on est contre son gré contraint de subir, et ceux pour qui elle signifie au contraire l’acceptation du pluralisme et le respect de la liberté d’autrui. Souhaitons que le livre du Père Brancaccio soutienne et fortifie la seconde.
Guy Avanzini