Paris – Desclée de Brouwer – 2017 – 340 p.
Ce volume rassemble, mise au point à partir de ses notes, la série des 33 cours que, dès son retour en Europe, Maria Montessori a dispensés à Londres, du 3 septembre au 11 décembre 1946, pour la formation des cadres de son mouvement. Nourris de sa longue expérience antérieure, mûris par l’épreuve de la guerre et de l’exil, publiés enfin 6 ans avant sa propre disparition et s’ajoutant à la longue liste de ses ouvrages antérieurs, ces textes offrent une précieuse synthèse de sa pensée. Aussi se réjouira-t-on de leur traduction et de leur parution en France.
Aux yeux de Maria Montessori, l’éducation traditionnelle suppose toujours un enfant qui, dépourvu de toute initiative, reçoit ou, plutôt, subit son éducation. Ce que, quant à elle, elle entend établir, c’est que, tout au contraire, il peut aider à celle-ci et devenir ainsi agent du perfectionnement de l’humanité, vu ce qu’elle appelle son « énergie », son « élan », son dynamisme intrinsèque, qu’il doit à la nature. « L’esprit d’un enfant est riche, grandiose, même, à l’instar d’un continent encore inconnu » (p.31). De ce fait, l’adulte doit l’observer et, plus que ses défauts, percevoir sa « grandeur » et sa « beauté » (p. 21), comme son désir spontané de développement, que manifestent sa capacité d’apprendre à lire et sa volonté d’écrire (p.35), plus intenses qu’à l’âge socialement reconnu. C’est toute la théorie des « périodes sensibles », c’est-à-dire les âges les plus favorables à une acquisition optimale. « A certaines étapes, les enfants possèdent des qualités innées, qui ne sont le fruit d’aucune méthode d’éducation (p.29). Encore faut-il, pour cela, savoir les observer, et consentir à un véritable renversement anthropologique. Aussi bien, exposant sa vision de l’histoire de la psychologie, l’auteur revendique la constitution d’une véritable « science » nouvelle, qui fonde une « pédagogie scientifique ». Contrairement à la tendance actuelle à différer les apprentissages pour attendre la maturité, il faut les commencer plus tôt et densifier l’apport culturel pendant les trois premières années, pour exploiter au maximum l’énergie psychique et la créativité de sujet et profiter du moment le plus favorable à « l’activation de ses capacités » (p. 37). En tout cela, il s’agit simplement, en définitive, « d’être au service de la nature » (p. 57) qui se manifeste dans l’élu vivant. Aussi bien, celui-ci manifeste mieux son potentiel en réagissant à son environnement usuel que dans la structure artificielle du testing. En effet, « Il existe une force vitale en chaque être humain, qui l’amène à faire des efforts immenses pour atteindre son potentiel individuel et, la plupart du temps, il y parvient » (p.113). C’est pourquoi l’on doit se garder de « parquer » les enfants, de les isoler, de les inciter abusivement à dormir. Ce n’est pas là leur besoin, mais seulement une facilité pour les parents. Il en va de même de l’éducation morale. « La nature ne lui impose pas une forme comportementale particulière. Le nouveau-né est capable de tout, mais rien ne l’y oblige » (p. 118). Il n’est pas déterminé par des instincts. Il lui faut donc promouvoir son adaptation, « qui n’est pas héréditaire » (p. 130). En revanche, il lui faut bénéficier de stimulations et, surtout d’un apport affectif faute duquel il languit et souffre de « famine mentale » (p. 160). Il lui faut une « alimentation mentale adéquate » (p. 18). « Si les stimulations et les encouragements font défaut, il deviendra apathique, mélancolique et désintéressé » (p. 197). Maria Montessori pressent ce que formalisera le concept d’hospitalisme.
Enfin, et surtout, elle aborde explicitement les problématiques de l’éducation religieuse, confirmant opportunément ses travaux antérieurs qui soulignent fortement sa priorité et qui ont tenu un rôle moteur dans l’évolution de la catéchèse au XXème siècle et dans les débats soulevés en la matière par l’Education Nouvelle. A un moment où plusieurs écoles Montessoriennes sont devenues bien discrètes et silencieuses en la matière, ces pages, qui en traitent méthodiquement, sont bienvenues. Ainsi, elle rappelle qu’il ne s’agit pas d’une « matière » comme les autres, qui n’appellerait que mémorisation et récitation. Elle implique un climat, qui imprègne. Et surtout, elle prend appui sur l’universalité d’un « sentiment religieux » c’est pourquoi, pense-t-elle, « il faut enseigner la religion aux très jeunes enfants, voire à partir de la naissance (p. 274) ; son essor dépend largement fonction du climat familial.
Voilà donc une synthèse authentique, présentée par elle-même, de la pensée pédagogique de Marie Montessori. Ecrite de façon simple et claire, elle garde le rythme et le style de la parole, sans exclure quelques banalités, elle manifeste hauteur de vue, cohérence et originalité. Il ne s’agit point d’une approche « scientifique », au sens objectiviste du terme mais pas non plus de simples opinions. Comme elle l’indique elle-même dans une remarque incidente d’ordre épistémologique, ce sont « des énoncés sérieux et approfondis » (p. 261), légitimement offerts à la discussion. Mais son bon sens et la pertinence des positions adoptées, notamment d’ordre anthropologique, seront sans doute largement reconnus. Dans la déroute actuelle d’une pratique éducative qui, bien souvent, ne sait guère où elle va, elle fournit des repères qui méritent la plus grande attention.
Guy Avanzini