Marseille – Publications Chemins de dialogue – 2016 – 224 p.
Ce livre n’a sans doute pas encore acquis l’audience qu’il mérite. Il s’agit, en effet, d’une réflexion de haut niveau sur les déplacements, -voire la délocalisation-, de la notion de laïcité depuis 1905. Par sa densité, sa hauteur de vues, il se situe aux antipodes des discours convenus, des banalités polémiques et du bavardage idéologique qui, en la matière, encombrent l’horizon.
Analysant le double phénomène de la sécularisation de nos sociétés et de la mondialisation, il discerne aussi, après l’éclipse des années 60-70, où prévalait la mode de « l’enfouissement », le renouveau actuel des religions -sectes, pentecôtisme, Communautés Nouvelles, et, surtout, Islam- et il montre comment les défenseurs historiques de la laïcité, en proie notamment à une crainte obsessionnelle du « communautarisme », négligent sa conception historique de respect des libertés personnelles au profit d’une attitude antireligieuse « sournoise », qui cherche à « éliminer la religion de la place publique au moyen de l’idéologie de neutralité » (p.135).Cela se manifeste à l’égard du christianisme, mais surtout de l’Islam, qui condamne à osciller contradictoirement entre une tolérance qui favorise l’invasion et une islamophobie coupable de xénophobie. Or, la réduction de la laïcité à une neutralité ordonnée à éliminer la présence de la religion dans les secteurs dépendant de l’État n’est pas sans poser des problèmes considérables à la liberté et à l’égalité (pp. 170-171). Il s’agirait d’une déviance, qu’illustrent divers épisodes récents et les lourds débats qu’ils entretiennent.
Nous ne suivrons pas ici le détail de l’argumentation du Père de Charentenay mais, en en soulignant l’opportunité nous noterons qu’elle invite à un vaste débat sur des notions dont la polysémie, voire l’ambiguïté, favorisent dangereusement des usages -ou des mésusages- confus et équivoques ; aussi en va-t-il de celles de « privé » ou « public ». Parce qu’un « service public » est devenu au fil des ans «un corps de fonctionnaires, on croit volontiers qu’il s’identifie aux institutions de l’État » : or, par exemple, « l’enseignement libre » est « privé », mais il est, par contrat, associé au « service public de l’enseignement ». Et, si la religion relève bien d’une option personnelle, la foi commune de ceux qui y adhèrent comporte, voire exige, une expression « publique » reconnue par les institutions officielles qu’ils se sont données. En ce sens, le « privé » n’est ni secret, ni tacite, ni silencieux, mais s’exprime, se dit, se théorise. Plus encore, l’expression « publique » de la croyance est requise pour la liberté personnelle du fait que seule elle permet l’information indispensable à un choix éclairé ; loin d’être prosélyte, elle est la condition même de la liberté. C’est dire l’utilité d’une véritable cartographie des concepts, pour prévenir le désordre des idées et les dérives de la pratique.
Cet ouvrage a dont très bien saisi et restitué avec sérénité et fermeté l’évolution contemporaine des problématiques de la laïcité. Il s’inscrit utilement dans les débats qui y ont trait et peut contribuer à la progression de la réflexion.
Guy Avanzini