L’école dehors

Une école naturelle, sensorielle, responsable,
favorisant le corps au service de l’esprit

Anne-Céline Gancel*

Télécharger le fichier en version.pdf

Résumé : Dans ma classe maternelle, j’avais déjà mis en place une pédagogie qui s’inspire de Maria Montessori et Pierre Faure. J’avais déjà pu constater combien les enfants sont capables d’être actifs, autonomes et solidaires. Certains enfants me posaient tout de même question. L’observation de leur comportement pour se sentir bien, m’a poussée à sortir de la classe. En allant dehors allais-je trouver la même richesse que dans la classe, tout en m’aidant à adapter ma pédagogie à tous ? Et même aller au-delà de ce que les enfants étaient déjà capables de montrer à travers la liberté que leur offrait l’espace classe ? L’école dehors développe chez les enfants une conscience environnementale et une curiosité du vivant autour d’eux. Elle favoriserait également le développement intégral de l’enfant en ouvrant de nouvelles capacités à une intelligence différemment stimulée : respect, savoir-être et savoir-faire, coopération, imagination, créativité, contemplation, spiritualité. L’école aurait donc un rôle primordial à jouer pour offrir aux enfants cette expérience. Il est alors important que l’enseignant soit conscient de sa relation à la nature et à ses élèves. À travers l’expérience de ma classe, je montre comment s’établit ce lien entre l’expérience en classe dehors, la pédagogie déjà vécue en classe, et la construction intégrale de l’enfant. L’organisation du travail, la posture d’enseignante contribuent à établir ce lien qui, s’il n’est pas clairement exprimé dans Laudato Si’, permet de conduire une éducation intégrale qui inclut un apprentissage de l’écologie intégrale.

Mots clés : école dehors, écologie intégrale, Pierre Faure, pédagogie par la nature, développement intégral

Pédagogie vécue en classe

Organisation du travail à l’intérieur

La pédagogie mise en place dans ma classe de moyenne et grande section s’inspire des pédagogies de Pierre Faure et Maria Montessori. Un questionnement s’impose à l’enseignant qui vient travailler avec des enfants de 4-5 ans, qui ont besoin de bouger, de communiquer, la classe doit vivre, telle une petite fourmilière. Dans la démarche d’apprentissage d’un enfant de cet âge, il convient de s’adapter à leur rythme. Ainsi, dans ma classe, les enfants sont mis en autonomie le plus rapidement possible sous forme de plan de travail, en travail personnalisé et communautaire. L’enseignant apprend à se détacher, à observer, pour agir à bon escient auprès de tel ou tel enfant. L’enseignant n’est pas au centre des apprentissages, l’enfant crée lui-même son apprentissage, en choisissant parmi une progression d’activités adaptées à chacun. Un temps de mise en commun à l’issue de ce travail personnalisé est mis en place, en groupe, pendant lequel les enfants communiquent, exposent, se félicitent, se donnent des pistes pour avancer et résoudre les problèmes rencontrés. Ici, l’enfant prend conscience de ses apprentissages, de sa progression, de sa place parmi les autres et communique. C’est une pédagogie positive, basée sur le jeu, l’entraide, l’échange, et la mise en projet de chacun.

Vers une pédagogie d’école en plein air : le besoin du dehors

Dans le travail personnalisé et communautaire, la place de l’enseignant est primordiale, mais il doit savoir se faire discret.  Il est un soutien aux élèves en besoin à un moment précis, il est un guide pour la manipulation d’outils spécifiques.

En observant les enfants durant ces temps, j’ai pu remarquer leur capacité d’autonomie, et d’échanges. Je surprends des discussions : « va voir Maëlyne pour faire ce travail je l’ai vue faire, elle va t’expliquer », « là, aujourd’hui j’apprends à construire l’espace, et toi ? » Autant de discussions qui font sourire l’enseignant car nous percevons de la mise en projet, de la socialisation, de l’entraide…, de la vie.

Cependant, j’observe aussi des enfants qui ne parviennent pas à se concentrer, et bougent beaucoup, de ce fait dérangent les autres, certains s’installent au sol car la table est trop petite pour la manipulation, certains tombent de leur chaise…. De ces observations ont découlé des questionnements : la table est-elle indispensable à l’apprentissage des enfants d’aujourd’hui ? La façon de travailler en pédagogie personnalisée semble-t-elle convenir à l’ensemble des enfants ? Se sentent-ils bien dans la classe ? J’ai donc installé ma classe en classe flexible, avec différentes assises, différents supports, pour que chacun se sente bien dans son corps, et puisse l’adapter aux différents apprentissages.

Puis, l’attitude d’un enfant m’interpelle : turbulent, violent avec les autres, ayant des difficultés à se lier au groupe, très centré sur les jeux de combat numériques, … et aussi attiré par cette table un peu isolée, face à la fenêtre, vers l’extérieur, et, il parvient à s’y poser dans le calme. Je me suis donc questionnée afin de transposer les apprentissages dehors. Nous avons ouvert la classe flexible vers l’extérieur, installé des tables dehors et ouvert un potager, cet enfant a montré à d’autres comment planter des graines. Il semblait à l’aise et entrait en communication avec d’autres enfants plus facilement. Et si le fait de travailler dehors, en manipulant librement, l’aidait à se poser, à prendre le temps, à prendre confiance, à respecter davantage le milieu et les camarades qui l’entourent ?

École dehors et pédagogie de Pierre Faure

Pierre Faure propose une pédagogie unifiante, elle se veut constructive de la personnalité et non seulement distributrice du savoir et de la culture. Pierre Faure s’intéresse à tous les aspects de la personne. L’action auprès de cet enfant nous a rappelé aux fondements de cette pédagogie qui éclairent notre réponse d’enseignante :

  • Aspects physiques : l’apprentissage doit se faire par l’activité et le mouvement. C’était déjà vrai dans ma classe, mais ne répondait pas totalement aux besoins de cet enfant. Selon Louis Espinassous, « comprendre c’est com/prendre, c’est prendre avec, avec son corps en gestes et en mouvement » (p. 109). Ce pédagogue par la nature rejoint la pensée de Pierre Faure.
  • Aspects intellectuels : l’enfant et le jeune ne peuvent se développer que par le libre exercice, selon des progressions et des instruments de travail didactiques rigoureux. Cet enfant nous fait remarquer qu’il faut élargir le champ des outils mis à disposition des enfants. L’ajout d’éléments naturels comme le jardin a ajouté le stimulant qui manquait pour cet enfant.
  • Jean Marie Leconnétable, dans sa thèse sur la pédagogie de Pierre Faure, cite les titres de ce pédagogue et montre ce qui est important lorsque l’on pratique la pédagogie personnalisée : « faire observer et découvrir » (p. 392), comme un appel à mettre les enfants en action dans tous les domaines « de les munir de méthodes rigoureuses ». Mais aussi leur permettre de s’émerveiller devant la création (p. 96). La classe de plein air répond à ces attentes autant que la classe à l’intérieur, l’espace et la variété des découvertes ont permis à cet enfant turbulent de pouvoir échanger et s’émerveiller, et ainsi se poser. La classe dehors l’a aidé à admirer davantage le monde qui nous entoure. Et cela a apporté des relations positives. Le fait d’apprendre à observer, de prendre le temps, tout en restant calme, a permis à l’enfant de se lier à un autre enfant déjà sensibilisé depuis le plus jeune âge à la nature.
  • Aspects affectifs : l’élève doit trouver à l’école un climat de confiance pour avoir le désir de réussir et de progresser. L’ouverture vers le jardin a libéré l’énergie de cet enfant et l’oriente positivement. Jean-Marie Leconnétable cite Pierre Faure : « découvrir l’homme, l’appel à la conscience », il s’agit de comprendre que l’éducation doit conduire à apprendre qu’il existe d’autres rapports que les rapports de force et qu’une éducation basée sur la soumission peut construire l’enfant avec un tel schéma qu’il aura tendance à reproduire dans la vie sociale (p. 96). Prendre le temps d’observer cet enfant, et le conduire à ce qui l’attire, a permis de renouer le dialogue avec son enseignante, et d’instaurer de la confiance entre nous. Confiance que l’enfant avait perdue, agissant sans cesse en rapport de force avec autrui, peut être selon un modèle vécu.
  • Aspects sociaux : l’enfant n’est pas appelé à vivre seul. Une pédagogie personnalisée et personnalisante doit être également communautaire. D’où l’importance de l’entraide, de la mise en commun des connaissances et du partage de responsabilités au sein de la classe et de l’école. Selon Jean Marie Leconnétable, d’après Pierre Faure, il s’agit de développer des aptitudes personnelles…, l’école est également le lieu de l’apprentissage social (p. 97). L’enfant apporte quelque chose à la communauté par son savoir-faire reconnu de jardinier et cette reconnaissance tend à le relier favorablement au groupe.
  • Aspects moraux et spirituels : l’enfant n’est pas n’importe quel être vivant. Il lui faut apprendre à se contrôler, à se maitriser, aimer le silence, à s’évaluer, à découvrir peu à peu sa destinée. L’éducation doit permettre à chacun de se développer dans toutes ses dimensions, à son propre rythme, selon ses capacités et en fonction de ce qu’il est. L’exemple de cet enfant nous montre qu’en faisant évoluer l’organisation de la classe il est possible de transformer les attitudes des enfants.

L’espace de la classe est aménagé pour faciliter l’activité personnelle et les moments communautaires. Différents « coins » ou espaces proposent l’observation directe, une mini bibliothèque, les activités manuelles et artistiques… Les élèves choisissent eux-mêmes les matières qu’ils souhaitent étudier. Des mises en commun sont organisées chaque jour. C’est un moment d’échanges entre les élèves qui peuvent ainsi comparer leurs méthodes et leurs découvertes, mais aussi se répartir les responsabilités. L’ouverture de la classe sur le jardin a été comme un espace supplémentaire de la classe, un élément de plus dans la flexibilité, qui répondait aux besoins de certains enfants, mais en même temps il nous a ouvert à la classe dehors.

Pédagogie en classe dehors

Les mêmes fondements pédagogiques

Lorsque l’on pratique l’école dehors, nous cherchons à atteindre le développement intégral de l’enfant, en ouvrant de nouvelles capacités à une intelligence différemment stimulée : respect, savoir-être et savoir-faire, coopération, imagination, créativité, contemplation, spiritualité. Nous y retrouvons les fondements de la pédagogie de Pierre Faure : l’activité de l’esprit trouve son soutien normal et son expression équilibrante dans celle du corps.

En éveillant tous les sens, en aidant le corps à être posé et attentif à l’environnement qui nous entoure, l’école en plein air s’accorderait avec cette pédagogie du corps et de l’expérience au service de l’esprit. Une demie journée par mois, ma classe de moyenne et grande section sort pour s’épanouir à l’extérieur. J’ai cherché à retrouver les différents axes de la pédagogie Pierre Faure dans chaque demie journée passée à l’extérieur, et me suis rendue compte que tous les fondements de cette pédagogie sont transposables « naturellement » grâce à la richesse de l’espace et du matériel que nous offre la nature.

Une journée en école de plein air

Nous accueillons les enfants et parents accompagnateurs au sein de la classe, rappelons les règles de sécurité, ce qui change par rapport à la cour de récréation.

Nous partons pour notre lieu de travail, dix minutes de marche, durant laquelle nous chantons. Les chansons sont souvent interrompues par des observations que font les élèves sur le chemin ; s’installent alors des échanges entre parents, élèves et enseignante. La classe dehors commence dès le trajet !

Arrivés sur le lieu prévu, les enfants prennent le temps de retrouver leurs repères, ils courent systématiquement par eux mêmes voir leur arbre, qu’ils ont choisi collectivement au début de l’année, et observent les changements chaque mois. Ils construisent déjà un rapport avec le temps. Certains parlent à l’arbre, ils comprennent que la nature est vivante. Une photo du groupe est indispensable et demandée par les enfants aux côtés de notre arbre, comme une photo de famille !

Puis nous nous retrouvons tous, en cercle, et prenons le temps de ressentir la nature et ses bruits. Et, nous échangeons : ce qui plait, ce que chacun ressent, quelques enfants désirent s’exprimer, d’autres écoutent. Les adultes s’expriment aussi s’ils le souhaitent. Nous cherchons à enrichir le vocabulaire à chaque sortie.

Ensuite, l’enseignante organise des ateliers en lien avec les apprentissages menés en classe (graphisme, écriture, construction de l’espace, construction du nombre, travail sur les lettres, les mots), ces temps se font avec des matériaux de la nature, par le corps et la manipulation. Chacun a la possibilité d’avoir un morceau de tissu, qui lui servira d’espace de travail s’il le désire. Quelques enfants préfèrent un espace plus grand qu’ils délimitent avec des bâtons. Les enfants manipulent par groupe, avec les parents accompagnateurs, en individuel d’abord, puis en échange. Ces temps sont souvent rythmés par des observations, des trésors découverts. L’enseignante circule et répond aux sollicitations des enfants, rebondit sur les observations faites.

Nous nous retrouvons ensuite pour un temps d’échange collectif, ou chacun peut s’exprimer sur son travail et ses découvertes.

Puis, nous organisons un temps de motricité, l’objectif est annoncé par l’enseignante, toute la classe participe à la mise en place de l’activité. Nous utilisons la nature, qui offre des obstacles, des poutres d’équilibre, d’escalades, des espaces de courses ou de jeux collectifs, des objets pour lancer. Tout le corps est mis en action.

Pour poursuivre la matinée dehors, un temps de « jeux libres » est proposé. Ici les « coins » de la classe sont remplacés par un arbre, un fossé, une rivière, … Le rôle de l’enseignant est primordial durant ce temps. Ce moment permet aussi de faire émerger des projets pour les prochaines séances. Ainsi, lors d’une sortie, une dizaine d’élèves se mettent à construire « des cabanes pour protéger les petites bêtes » à leur initiative. Des besoins de matériaux émergent :  de bois de différentes tailles, des feuilles, des liens… des besoins d’apprendre des techniques apparaissent : couper, ranger, nouer, recouvrir, placer en oblique ou à la verticale… des besoins de travail en équipe se font apparaitre : maintenir pour que le camarade noue, porter ensemble, élaborer un plan de cabane, accepter les idées des autres, écouter, s’exprimer…

Puis le projet se poursuit avec la création de pièges pour les prédateurs : quels prédateurs, des recherches sont nécessaires au retour en classe. Un groupe imagine un piège pour un personnage imaginaire étudié en phonologie en classe. Quels pièges ? Différentes stratégies d’équipes se mettent en place, avec la nécessité de construire plusieurs types de pièges : travail sur les poulies, les longueurs, confections de paniers. Un « jeu libre » devient un fantastique temps d’apprentissage qui se poursuit sur plusieurs séances, à l’extérieur et en classe.

L’heure est ensuite venue de rentrer en classe et de revenir sur ce qui a été vécu, les projets, le matériel à prévoir pour la prochaine fois. Les enfants ont hâte de revenir. Ils expriment leurs ressentis lors d’une dernière mise en commun, avec les mots : joyeux, contents, pressés, impatients. Un enfant me dit être « intéressé par les insectes que l’on nomme les gendarmes et leur comportement semblable aux fourmis qui sont face à un danger ». Il n’a appris que grâce à l’observation et souhaite le partager ! Ils en reparlent plus tard en récréation, les projets se discutent, se construisent dans les esprits.

Nous prenons le temps de dire au revoir au lieu qui nous a accueilli.

Rôle de l’enseignant

D’après Sarah Wauquiez « la nature propose de multiples situations d’apprentissage. L’adulte doit savoir accueillir ces stimulations de la nature et les faire partager aux enfants. Pour cela il peut se laisser guider par les intérêts des enfants ». (p. 98)

Le rôle de l’enseignant et des adultes encadrant ce temps est multiple.

Tout d’abord il accompagne les élèves dans leurs découvertes et leurs expériences. Il est souvent sollicité par les élèves qui viennent lui montrer ce qu’ils ont trouvé, il peut alors donner le nom de l’animal ou du végétal ou encore le chercher avec l’enfant dans les livres à disposition et leur apprendre à lire des clés de détermination, il accompagne l’élève dans une observation et une description plus fine afin d’enrichir ses connaissances sur son environnement proche.

Ainsi, cette année mes élèves de maternelle ont pu apprendre à différencier un insecte d’une araignée, juste par l’observation, ils ont également découvert la métamorphose complète ou incomplète de certains être vivants, et ainsi observé à quel point la nature est magnifique. Ils ont également comparé des stratégies de protection des insectes.

Il accompagne aussi les élèves dans leur défi : créer un barrage dans la rivière, faire tenir une grande branche en équilibre, construire une cabane. Il peut aussi faire du lien avec des activités plus scolaires si la situation s’y prête : « Qui a ramassé le plus de châtaignes entre vous deux ? », Qui a trouvé le bâton le plus grand ?  Rangez ces bâtons pour former un escalier, marchez en équilibre sur ce tronc d’arbre tombé »… L’enseignant veille aussi bien sûr à la sécurité des enfants et s’assure de la compréhension et du respect des consignes de sécurité, afin que les élèves prennent conscience des dangers présents sur le lieu.

Enfin, un de ses rôles essentiel est l’observation. Il est en effet très intéressant d’observer les activités réalisées librement lors des moments de « jeux libres » et de percevoir ainsi les notions ou thématiques qui pourront être proposées lors des prochaines séances d’école dehors, reprises ou prolongées sous une autre forme en classe. L’enseignant doit accepter que les apprentissages se fassent au fil des expériences et non forcément dans l’ordre dans lequel il a prévu.

L’observation permet aussi, bien entendu, d’identifier l’acquisition de certaines compétences et l’évolution de chaque enfant.

Mais, à l’heure où le respect de l’environnement devient une préoccupation essentielle, notre devoir principal en tant que pédagogue par la nature, est d’éveiller en l’enfant un lien émotionnel et positif avec la nature par l’expérience directe.

Sarah Wauquiez nous explique qu’un pédagogue par la nature enseigne selon sa propre expérience. C’est en prenant le temps d’aller à la rencontre de la nature que l’on apprend à l’aimer, la transmission est ainsi plus naturelle auprès des jeunes enfants. « Je peux essentiellement éveiller et cultiver la passion et le respect envers la nature en moi, et proposer aux enfants la possibilité de faire ensemble cette expérience ». « La pédagogie par la nature est une méthode qui aide les hommes à devenir réceptifs à la nature » (p. 121). Pour cela un groupe a besoin d’un accompagnement qui connait des conditions favorables, qui cultive le cadre. C’est là, notre tâche en tant que pédagogue par la nature.

Construire une relation prend du temps. C’est pourquoi, il est nécessaire de pratiquer l’école dehors très régulièrement pour développer un lien intense avec la nature. Une sortie par mois est le minimum. Au début de l’année, mes élèves étaient en attente d’activités de la part de leur enseignante. J’observais peu d’échanges et de liberté, alors qu’il y en avait au sein de la classe lors des temps de travail personnalisé et communautaire. Je me suis alors beaucoup remise en question : Allais-je retrouver les bienfaits de la pédagogie mise en place au sein de la classe ? Comment faire pour y parvenir ?  Mais, au fil des sorties, les élèves se sont appropriés le lieu et sont, petit à petit, entrés en communication avec la nature. J’ai pu observer de vrais échanges avec cet espace. Nous n’étions plus seulement dans un contrôle de l’espace par les élèves : ils respectaient les insectes découverts en les observant sans leur faire de mal, ils veillaient à laisser le lieu tel que nous l’avions trouvé (sans déchets). J’ai également constaté des groupes de travail se former, notamment lors des temps de « jeux libres » : des stratégies s’organisaient, des coopérations, de l’entraide.

Le partage est une notion très importante que j’ai souhaité mettre en place avec les élèves : partager mes sentiments, mon ressenti. Ainsi, lors des rassemblements de début et fin de journée, je partage par exemple ce que notre arbre m’évoque, ou ce que je ressens lorsque j’entends le chant des oiseaux.  J’exprime aussi ce que je sens lorsque je touche tel ou tel arbre, ou fruit. Il est important que l’intervenant prête une attention particulière à se mettre au même niveau que les élèves, afin qu’ils se sentent bien avec la nature, comme la personne qui anime.

Ainsi, il est aussi important d’être réceptive à ce qui apparait de la part des enfants, afin de rebondir sur les observations, les curiosités. Jean-Marie Leconnétable met en avant les propos de Pierre Faure à ce sujet : « Vers une éducation au service de l’enfant » (p. 394). Une éducation dans un milieu où « chacun doit jouer son rôle, s’exercer à porter ses responsabilités, faire l’apprentissage de ses droits et de ses devoirs dans la justice et la charité. Point donc d’éducation anonyme, impersonnelle […] chaque enfant doit avoir sa place et donc son activité propre » (p. 395). L’éducation au service de l’enfant est une éducation active (p. 96). C’est pourquoi ce temps de jeux en milieu de matinée est essentiel, car c’est à ce moment que les sollicitations des élèves envers l’enseignante sont les plus nombreuses. La personne doit se sentir capable de répondre aux questions, de proposer des projets aux enfants en fonction de leurs intérêts. C’est ainsi que nous avons pu réaliser un herbier collectif avec des fruits et des feuilles d’arbres, projet qui s’est poursuivi dans la classe. C’est ainsi que la fabrication des pièges s’est faite selon les projets imaginés par chaque groupe.

En effet, il est nécessaire de pouvoir faire du lien avec ce qui se passe en classe. Tout n’est pas possible à l’extérieur, et ce qui se passe dehors doit être rediscuté en classe. Les projets peuvent être complémentaires. C’est ainsi que nous avons pu rechercher le nom des arbres par rapport aux fruits et feuilles que les enfants avaient ramassés. Cela a également permis de commencer à montrer une utilisation raisonnée et utiles des outils numériques, dès le plus jeune âge.

Lors des sorties, les enfants ont tendance à éparpiller leur attention. Comme l’explique Sarah Wauquiez, il est important d’instaurer un climat de concentration. C’est pourquoi, dès le début de la journée, un temps collectif est systématique, afin de poser un cadre, et de s’adapter au cadre « nature », avec ses bruits et ses mouvements. Je fais en sorte que les enfants soient toujours en activité, afin de canaliser leur énergie, tout comme dans la classe.

Enfin, nous sortons toujours dans la joie, et terminons le temps par une mise en commun d’éléments positifs. Selon Sarah Wauquiez, en tant que pédagogue par la nature, l’enthousiasme est notre trésor le plus précieux. Louis Espinassous semble en accord avec cet état que doit adopter l’éducateur : « Je ne vois l’éducation que dans la joie de vivre, dans le fait de mordre la vie à pleines dents, on ne peut pas être éducateur si on n’est pas joyeux » (p.123).

Éducation intégrale et écologie intégrale

La nature : lieu de spiritualité

Laudato Si’ est très clair sur ce point :

« L’éducation environnementale a progressivement élargi le champ de ses objectifs. Si au commencement elle était très axée sur l’information scientifique ainsi que sur la sensibilisation et la prévention de risques environnementaux, à présent cette éducation tend à inclure une critique des “mythes” de la modernité (individualisme, progrès indéfini, concurrence, consumérisme, marché sans règles), fondés sur la raison instrumentale ; elle tend également à s’étendre aux différents niveaux de l’équilibre écologique : au niveau interne avec soi-même, au niveau solidaire avec les autres, au niveau naturel avec tous les êtres vivants, au niveau spirituel avec Dieu » (210).

L’école en plein air rejoint ce dernier point : les enfants construisent des équipes naturellement lors des travaux, ils s’entraident, et vivent avec la nature, avec tous les êtres vivants. C’est ainsi que l’arbre choisi par la classe en début d’année, est accueilli en fête et nous accueille avec ses changements et ses surprises à chaque sortie. Petit à petit, il est considéré comme partie intégrante de notre classe, égal à nous. Les temps de relaxation, d’écoute du milieu, leur apprend à être plus attentifs à ce qui les entoure mais aussi à se recentrer, au niveau spirituel : ces temps aident les enfants à prendre conscience que nous vivons parmi d’autres êtres vivants, capables de nous apporter beaucoup, en éveillant tous nos sens. « Quand nous insistons pour dire que l’être humain est image de Dieu, cela ne doit pas nous porter à oublier que chaque créature a une fonction et qu’aucune n’est superflue (84). Selon Louis Espinassous, la nature est à la fois un enrichissement et un émerveillement parce qu’on y est avec tout notre être psychocorporel » (Terme utilisé par cet éducateur pour désigner l’être en son intégralité). (p. 117).

L’école de plein air : une éducation intégrale qui inclut un apprentissage de l’écologie intégrale.

Nous avons ainsi démontré que l’école en plein air favorise l’éducation de l’enfant dans son intégralité, mais qu’en est-il de l’apprentissage du respect de l’environnement en lui-même ? L’école dehors favorise par cette éducation intégrale un apprentissage de l’écologie intégrale, exprimé implicitement dans Laudato Si’.

Louis Espinassous est catégorique sur ce point : 

« Arrêtez d’ennuyer les enfants avec le respect de la nature, pour que les enfants comprennent le monde et développent leur intelligence, faites-les grimper aux arbres et courir dans les bois. Il n’est pas question d’accabler les enfants avec nos problèmes et notre responsabilité d’adultes envers la planète. Si avant de devenir adultes, nous ne leur avons pas permis d’être des enfants heureux et pleinement épanouis, ils ne seront pas des adultes responsables prenant en charge les questions environnementales. Plutôt que de donner des responsabilités aux enfants, les éducateurs nature leur proposent d’être acteurs, d’être autonomes. L’essentiel dans notre relation avec la nature n’est pas de créer un espace de protection, mais de créer du lien ; du lien entre les humains, et du lien avec la nature elle-même » (p. 111).

Pour créer du lien il est nécessaire de mettre les enfants en contact avec la nature, et de leur apprendre à l’aimer. On respecte ce que l’on aime.

De plus, le fait de pratiquer l’école dehors dès le plus jeune âge, permet de créer des souvenirs, des traces de ce que la nature peut nous apporter, et de comprendre en quoi elle est importante. « On ne peut plus parler de développement durable sans une solidarité intergénérationnelle » (p. 159). C’est ce que Hortense Chauvin a permis de mettre en avant dans son article du 18 juillet 2020 du journal Reporterre. Elle y souligne la difficulté des hommes à prendre conscience de la crise environnementale, à cause de notre amnésie environnementale. C’est un processus psychologique contre lequel nous devons lutter en communiquant sur la nature aux générations plus jeunes. Si nous ne le faisons pas, la nature change, disparait, au fil des générations et les hommes ne s’en rendent pas compte. C’est ainsi qu’un espace rempli de fleurs il y a des années est complètement oublié, et aujourd’hui envahi d’immeubles. Pour Anne-Caroline Prévost, directrice de recherches au CNRS, il est important d’entrer en expérience avec la nature, afin de lutter contre l’oubli. L’école de plein air aide ainsi les élèves à entrer en expérience avec la nature dès le plus jeune âge.

« Une bonne éducation scolaire, dès le plus jeune âge, sème des graines qui peuvent produire des effets tout au long d’une vie » (p. 213) : l’école de plein air cherche à semer ces graines.

___________________________
Bibliographie

Lettre Encyclique Laudato Si’ du Saint Père François sur la sauvegarde de la maison commune, 2015

Leconnétable, Jean Marie, La pensée pédagogique de Pierre Faure, un héritage pour l’École Catholique, thèse, 2020

Diem, Jean Marie, Dès l’école, apprendre à être responsable, paru dans la revue Parole et Prière, n° 110, août 2019

Espinassous, Louis, et Bancon-Dilet, Élise, Laissez-les grimper aux arbres, Les presses de l’Ile de France, 2015

Wauquiez, Sarah et Barras, Nathalie et Henzi, Martina, L’école à ciel ouvert, Salamandre, 2020

Wauquiez, Sarah, Les enfants des bois, Books on demand, 2014

Chauvin, Hortense, L’amnésie environnementale, clé ignorée de la destruction du monde, Reporterre.net, 18 juillet 2020

Brochure UGSEL : Ma maison, la tienne aussi. Les rendez-vous sportifs pour l’année 2020-2021

Site internet classe-de-demain.fr : Aménagement des espaces éducatifs, classe de demain.

Alvarez, Céline, les lois naturelles de l’enfant, Les Arènes, Broché, 2016

_________________________
Pour citer cet article
Référence électronique : Anne-Céline Gancel, « L’école dehors : une école naturelle, sensorielle, responsable, favorisant le corps au service de l’esprit. », Educatio [En ligne], 11 | 2021.
URL : https://revue-educatio.eu

Droits d’auteurs
Tous droits réservés

* Professeur des écoles