Entretien
Gérald Attali*, Philippe Franceschetti**
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Une présentation de l’Éducation au développement durable (EDD)
PF – Pouvez-vous nous rappeler les grandes étapes de l’EDD en France et ses grands axes pédagogiques ?
G. Attali
L’intérêt de l’Éducation nationale pour l’enseignement de l’environnement n’est pas nouveau. Dès les années 70, elle a mis en place une éducation à l’environnement et a défini ce dernier comme « l’ensemble, à un moment donné, des aspects physiques, chimiques, biologiques et des facteurs sociaux et économiques susceptibles d’avoir un effet direct ou indirect, immédiat ou à terme, sur les êtres vivants et les activités humaines » (circulaire n° 77-100 du 29 août 1977). On trouvait déjà dans cette définition les trois préoccupations — environnementale, sociale et économique — devenues représentatives du développement durable. C’est entre 2002 et 2004 que l’éducation à l’environnement est complètement repensée dans une perspective nouvelle qui intègre le développement durable. Le rapport[1] de l’inspection générale remis en 2003 a préparé la voie à une généralisation de l’éducation au développement durable par une première circulaire à la rentrée 2004 (BO nº 28 du 15 juillet 2004) ; elle sera suivie de beaucoup d’autres, en 2007, 2011, 2013,[2] et en 2019 avec une circulaire baptisée « EDD 2030 ». (BO n° 31 du 29 août 2019)[3]
La politique engagée ces dernières années fixe trois axes prioritaires : inscrire plus largement l’éducation au développement durable dans les programmes d’enseignement ; multiplier les démarches globales d’éducation au développement durable dans les établissements et les écoles ; enfin, former les professeurs et les autres personnels impliqués dans cette éducation. Le premier axe n’a pas tardé à produire ses effets sur les disciplines. Si un premier ancrage du développement durable a été réalisé dans le Socle commun de connaissances et de compétences, celui-ci a été renforcé grâce au renouvellement des programmes. Ainsi, l’éducation au développement durable s’intègre aujourd’hui dans la formation de tous les élèves, de l’école primaire au lycée.
PF – Qu’apporte, selon vous, l’EDD à la pédagogie actuelle ?
G. Attali
L’EDD conduit-elle à un renouvellement pédagogique ? Il est difficile de répondre de manière générale à une telle question, car elle suppose une observation de l’action pédagogique des enseignants dans leurs classes. Néanmoins, on peut constater que l’EDD encourage une réflexion qui nécessite d’organiser de façon originale le travail des élèves.
Présente dans tous les enseignements, l’EDD n’est toutefois pas une discipline académique. Elle occupe une position particulière dans la mesure où elle appartient aux « éducations à »[4]. Depuis les années 70, celles-ci ont accru leur influence parce qu’elles prennent en charge des questions de société, et se positionnent au moins partiellement dans le champ de la formation à une citoyenneté active davantage fondée sur l’engagement. À la finalité traditionnelle de la plupart des systèmes éducatifs — former le citoyen en lui apportant la culture indispensable à un engagement — est venue s’ajouter l’acquisition des compétences indispensables à l’insertion dans la vie active. L’École a été ainsi amenée à répondre à des sollicitations qui l’invitent à prendre en charge la préparation à des activités économiques et sociales — entreprendre, consommer —, à maîtriser de nouveaux objets — les médias, les technologies numériques… —, à adopter de nouveaux comportements — la santé, le développement durable — etc. Les « éducations à » reposent sur des connaissances, mais celles-ci visent l’action et supposent une modification des comportements.
À bien des égards, l’EDD fait figure de modèle pour la plupart des « éducations à ». Pour l’aborder, beaucoup d’enseignants prennent appui sur les questions de société que soulèvent les problèmes environnementaux, économiques et sociétaux. Ce sont des « questions socialement vives » ; elles conduisent les enseignants à rompre avec la forme traditionnelle du cours, à placer la controverse au cœur de la réflexion et à faire du débat un instrument de formation des élèves.
Ces méthodes visent à développer la participation des élèves. C’est désormais une préoccupation majeure de la politique conduite par le ministère. On la trouve nettement exprimée dans la dernière circulaire EDD. Celle-ci affiche l’ambition de faire des « écoles et établissements […] des lieux exemplaires en matière de protection de l’environnement et de la biodiversité ». Aussi sont-ils invités à initier « une action pérenne en faveur de la biodiversité. » Ces recommandations ne sont pas nouvelles. Elles coïncident avec la volonté de mobiliser toujours plus d’élèves dans les démarches globales de développement durable dans les écoles et les établissements, notamment par la généralisation de l’élection d’éco-délégués.
Enfin, il est un autre atout pédagogique dont dispose l’EDD : celui de faire de l’interdisciplinarité une voie d’accès à la complexité du réel ; complexité qu’aucune discipline ne pourrait aujourd’hui à elle seule embrasser. À l’instar des autres « éducations à », l’EDD offre aux enseignants l’opportunité de mettre en œuvre différentes modalités de l’interdisciplinarité : tout seul dans une classe ou à plusieurs dans une démarche de projet. La première est délicate, car elle impose à l’enseignant une bonne maîtrise des savoirs disciplinaires sur lesquels son expertise sera plus mesurée que celle qu’il a reçue dans sa formation initiale sur sa discipline de recrutement. La seconde est davantage porteuse de renouvellements pédagogiques ; elle bénéficie d’un soutien institutionnel fort dans la mesure où elle favorise la constitution d’équipes pédagogiques.
Si servir la « l’éducation nouvelle », c’est développer la participation des élèves à l’étude de situations concrètes et complexes, dans le cadre de démarches actives, alors l’EDD peut incontestablement tenir une place majeure dans la formation des élèves. Ne repose-t-elle pas sur l’essor de pratiques qui visent à stimuler leur esprit critique ainsi que leur sens des responsabilités dans le respect des valeurs qui fondent l’exercice de la citoyenneté ?
PF – Quelle vision du monde et de l’élève implique-t-elle ?
G. Attali
Là encore, une réponse courte est difficile ; la question mériterait de longs développements appuyés sur des observations précises. On peut toutefois risquer quelques remarques.
À l’image de ce que l’on constate dans toute la société, les questions environnementales font désormais partie des préoccupations majeures de la jeunesse. Certains y voient même chez les plus jeunes une sensibilité encore plus forte pour les problématiques environnementales que dans le reste de la société ; la mobilisation suscitée par l’action de Greta Thunberg au printemps 2019 en apporterait le meilleur témoignage. De récents sondages donnent une image plus nuancée de cette jeunesse. Tandis qu’une étude d’OpinionWay[5] indique que 36 % des jeunes adultes (entre 18 et 24 ans) ne croiraient pas au changement climatique ; une autre, réalisée par le CRÉDOC[6] en décembre 2019, constate que si l’environnement est devenu la première source d’inquiétude des jeunes adultes, cela n’entraîne pas un changement de leur mode de vie. Il faut sans doute rester prudent et se tenir à l’écart d’analyses par trop alarmistes qui ne tiennent pas suffisamment compte de la diversité que recouvre le terme de « jeunesse ».
La protection de l’environnement et la lutte contre le changement climatique, imposent-elles des finalités si différentes de celles qui relèvent de toutes les actions éducatives ? On peut en douter. Au contraire, l’école retrouve là l’une de ses missions essentielles : affranchir le futur citoyen des idées reçues et des préjugés par la transmission d’une véritable culture scientifique.
PF – Comment la question de l’anthropocène (l’implication humaine dans le changement global et les possibilités d’effondrement) est-elle abordée par l’EDD ?
G. Attali
La notion d’anthropocène est relativement récente. Elle traduit l’idée selon laquelle la Terre serait entrée dans une nouvelle ère géologique, où les changements environnementaux seraient déterminés par les activités humaines et non plus seulement par les mécanismes climatiques et tectoniques à l’œuvre lors des ères géologiques plus anciennes.
L’usage de cette notion ne fait pas consensus au sein de la communauté scientifique. Est-ce la raison pour laquelle elle est absente des programmes scolaires ? Il est difficile de le dire. Néanmoins, si la notion ne figure pas en tant que telle, les questions qu’elle soulève ne sont pas ignorées des programmes. Ainsi, avec les programmes de géographie du cycle 4, les collégiens peuvent aborder l’impact du « changement climatique » et interroger les mesures que prennent les sociétés pour s’y adapter. Les programmes scolaires profitent de la dimension heuristique d’un concept qui aiguise une approche de la finitude des ressources de la planète par des questions socialement vives et fortifie les rapprochements disciplinaires.
Écologie intégrale et EDD : chassé-croisé
PF – Le pape François parle d’un « changement de paradigme » auquel l’éducation doit contribuer : dépasser l’individualisme et ne pas réduire le monde à des ressources économiques à exploiter par la technique. En quoi l’EDD contribue-t-elle à un tel changement de vision ?
G. Attali
La question soulève un problème plus général, celui de la définition même du développement durable. Il est loin de faire consensus dans nos sociétés où son usage continue de susciter des polémiques. Quel projet de société porte le développement durable ? Faut-il continuer à faire confiance au marché et à la technique pour surmonter la crise environnementale ? Ou, à l’inverse, faut-il renoncer à la croissance, restreindre la consommation, réguler de manière drastique la natalité, voire se préparer — comme le préconisent les « collapsologues » — à l’effondrement de la civilisation industrielle ? Ces questions et ces inquiétudes témoignent des dimensions politique et éthique qui sont portées par la notion de développement durable. L’EDD doit-elle contribuer à « un changement de vision » ?
Tout d’abord, il paraît difficile d’écarter l’examen des enjeux de société qui découlent de la mise en œuvre du développement durable. Cela pourrait aller à l’encontre de la formation même des élèves. Si l’EDD se fixe pour ambition d’aiguiser l’esprit critique, elle ne peut décider d’écarter les différences de points de vue générés par l’avenir de l’humanité, ni modéliser une vision occidentalo-centrée de la croissance qui nierait les besoins de développement de beaucoup de pays du Sud et, encore moins, succomber à une technophobie porteuse de fantasmes aussi aveugles que ceux qui sont véhiculés par la technophilie.
Au regard de ce qui précède, à un « changement de vision », il faut préférer un élargissement et un enrichissement des perspectives d’une éducation qui doit préparer la génération encore à l’École à relever le défi du changement climatique.
PF – Pour François, « Il n’y a pas deux crises séparées, l’une environnementale et l’autre sociale, mais une seule et complexe crise socio-environnementale. Les possibilités de solution requièrent une approche intégrale pour combattre la pauvreté, pour rendre la dignité aux exclus et simultanément pour préserver la nature. » Dans quelle mesure l’EDD prend-elle en compte la crise sociale et ses liens avec la crise environnementale ?
G. Attali
Depuis ses débuts, l’EDD est conçue comme l’étude des interactions entre l’économie, la société et l’environnement. La nouvelle phase de généralisation de l’EDD ouverte par la dernière circulaire[7] conforte cette orientation.
L’Éducation nationale fait sien le programme de développement durable à vocation universelle élaboré en 2015 par les 193 États membres de l’ONU et baptisé « Agenda 2030 » ; elle contribue ainsi à la dynamique d’appropriation des dix-sept « objectifs de développement durable » (ODD) qui structurent ce programme. Tous les grands défis que doit relever l’humanité — le climat, la biodiversité, l’énergie, l’eau, la pauvreté, l’égalité des genres, la prospérité économique ou encore la paix, l’agriculture, l’éducation, etc. — sont placés au cœur des programmes scolaires et tout particulièrement ceux de l’École et du collège[8].
La politique éducative va dans le sens d’une approche globale du développement durable en liant toujours plus économie, société et environnent sur une planète où, du fait de la mondialisation, la circulation des hommes, des biens et de l’information est à la fois plus importante et plus rapide. Cette injonction à lier les différents aspects du changement climatique est bien présente dans les programmes scolaires ; sa mise en œuvre reste toutefois dépendante de l’âge des élèves — les apprentissages sont conçus sur une progressivité qui tient compte de l’âge des élèves — et des découpages disciplinaires. Ces derniers font courir le risque d’un cloisonnement des savoirs préjudiciable à la compréhension des interactions à l’œuvre dans le changement climatique ; l’exigence de formation des enseignants n’en est que plus forte.
PF – Repenser les itinéraires pédagogiques et s’engager dans des gestes quotidiens, c’est le défi donné à l’école par François pour l’écologie. Comment l’EDD donne-t-elle un cadre pour mener de front une transformation du système éducatif et des actions très concrètes ?
G. Attali
Du côté de la « prescription », les choses sont claires : l’Éducation nationale a profondément bouleversé les programmes scolaires pour y intégrer l’EDD. Néanmoins, la mise en œuvre de cette « éducation à » reste très largement dépendante des efforts qui sont faits en matière de formation initiale et continue des enseignants. :
Dans chaque académie, un (ou plusieurs) référent académique est chargé, sous l’autorité du recteur, d’impulser et de coordonner la politique académique d’EDD en prenant appui sur les grandes orientations définies par le ministère ; la formation tient une place importante dans son action. Il bénéficie de l’aide fournie par « le pôle national de compétences Éducation au développement durable »[9], hébergé par CANOPE-Amiens. Celui-ci est chargé de mettre à disposition de la communauté éducative des contenus scientifiques validés et des ressources pédagogiques liés au thème du développement durable et à son enseignement. Chaque année, il participe à l’organisation du « Forum des ressources EDD » (FOREDD)[10] réuni à Amiens et accueille les actes constitués depuis la première session en 2009.
L’impulsion nationale est forte, mais sa mise en œuvre n’est pas toujours à la hauteur de l’ambition, notamment parce que sa déclinaison dans les plans académiques de formation rencontre quelques difficultés. L’EDD n’est pas priorité de ces derniers, surtout quand les réformes indispensables au renouvellement du système éducatif imposent des refontes de programmes ; l’EDD peut y trouver sa place, mais quand elle reste dans le giron des moyens alloués aux disciplines, elle ne peut éviter le cloisonnement qui régit l’allocation de ressources aux actions de formation. Pour beaucoup d’enseignants — et peut-être pour nombre d’inspecteurs —, les besoins de formation sont d’abord disciplinaires.
Parce qu’elle relève d’une éducation transversale, l’EDD a besoin d’une reconfiguration des choix financiers réalisés en matière de formation dans les académies. Mais celle-ci serait incomplète sans une réflexion sur les modèles pédagogiques que peut véhiculer la formation.
Comme cela a déjà été indiqué, il est difficile — et, pour tout dire, contre-indiqué — d’envisager l’EDD simplement sous l’angle de la transmission de connaissances. Si cette dernière est indispensable, elle doit cependant s’inscrire dans des situations d’apprentissage permettant aux élèves, d’une part, d’éclairer par ces savoirs les actions qui sont menées au nom du développement durable et, d’autre part, d’accepter une évaluation réflexive des transformations sur les comportements. Une posture résolument critique est indispensable à toute démarche qui veut éviter d’être réduite à une série d’écogestes privés de sens.
L’EDD peut générer de profonds renouvellements pédagogiques à la condition toutefois que les plans de formation la prennent continûment en charge.
PF – L’écologie intégrale veut éduquer aux différents équilibres écologiques : avec les autres, avec tous les êtres vivants, avec soi-même, avec dieu. Si les deux premiers sont bien pris en compte par l’EDD, qu’en est-il de l’équilibre personnel de l’élève ? L’EDD doit-elle aborder la question de la spiritualité de la Création ?
G. Attali
Quand j’ai lu pour la première fois la question, je me suis dit que je n’y répondrai pas. Au moins deux raisons m’en empêchaient alors. La première, personnelle, tient à mon positionnement en tant qu’agnostique. Sans me l’avouer, j’avais fait mienne la représentation selon laquelle quand on s’interdit de se prononcer sur l’existence de Dieu, on renonce par voie de conséquence à aborder la question de la spiritualité. La seconde découle de mes fonctions dans un système éducatif qui a été largement fondé sur la séparation entre l’Église et l’État, entre le religieux et le politique, entre la croyance et la science, entre le positif et le spirituel. J’ai d’autant plus facilement adopté ce principe de séparation qu’il me semblait se confondre avec la laïcité et rendait inutile tout recours à la notion de spiritualité.
Cependant, un détour par un dictionnaire historique conduit assez vite à découvrir l’inanité d’une telle position. Car s’il est indéniable que ce terme a d’abord été employé dans le domaine religieux pour donner forme et sens à des croyances et à des rituels spécifiques à la vie chrétienne, les Humanistes, sans doute d’abord puis les philosophes de l’époque classique ont rassemblé sous ce terme les activités de l’esprit. Ils ont retenu du sens initial cette tension vers la connaissance qui est commune à toutes les choses de l’esprit ; celles-ci peuvent relever du sacré, de la recherche du divin, mais elles peuvent aussi tendre vers l’acquisition de savoirs profanes. Cette tension est orientée vers la quête de dieu dans le cas des spiritualités religieuses, mais elle peut l’être également vers la recherche d’un monde meilleur, plus juste et mieux préservé pour l’avenir — recherche qui est au cœur du projet d’éducation au développement durable. Dès lors, et à condition que les acteurs en acceptent le principe, l’éducation au développement durable peut contribuer à éveiller et à développer la spiritualité des élèves. Dans ce cas, toute activité de l’esprit qui vise à mieux connaître, à faire usage de davantage de discernement, voire à aiguiser l’esprit critique est aussi un exercice spirituel. Le cadre que constitue la laïcité permet normalement à l’École d’étudier toutes les spiritualités ; on peut regretter que cette étude demeure encore un peu trop européo-centrée, mais rien n’interdit de l’élargir. Il est donc possible d’aborder toutes les questions même quand elles concernent la vision judéo-chrétienne de la Création. L’enseignement laïque des faits religieux ne le fait-il pas déjà ?
Des résultats et des perspectives
PF- Quels exemples de réussites pédagogiques concrètes de l’EDD retenez-vous personnellement ?
G. Attali
En 2004, quand débute la généralisation de l’éducation au développement durable, la requête « d’actions concrètes » n’est encore qu’une préoccupation seconde, voire marginale, dans une circulaire d’abord soucieuse d’ancrer l’EDD dans toutes les disciplines. Dès 2007, les choses changent. Les écoles et les établissements sont invités à développer des pratiques pédagogiques articulant réflexion scientifique dans les disciplines et mise en œuvre d’actions concrètes dans le domaine de l’environnement. Les établissements sont invités à s’engager dans des démarches globales de développement durable afin de devenir des « établissements en démarche de développement durable » ou « E3D ». Il faut toutefois attendre 2013, pour qu’après quelques balbutiements — finalement formateurs —, cette orientation s’épanouisse pleinement avec la définition d’une procédure de labellisation des « E3D ». Toutes les académies s’en sont emparées en lui apportant les adaptations qu’elles ont jugées nécessaires en raison de leurs spécificités territoriales. Si ce dispositif a rencontré un grand succès, c’est qu’il était le mieux à même de traduire l’intérêt des écoles et des établissements pour le développement durable. D’autre part, l’accompagnement des « E3D » a permis de former les référents de ces « E3D » et les équipes académiques chargées d’octroyer des labels en fonction de l’intensité et de la qualité de l’implication dans la démarche. Ce dernier point s’est avéré décisif pour éviter que de telles démarches ne se résument à des gestes écocitoyens.
PF – Quels potentiels de l’EDD restent à exploiter davantage ?
G. Attali
À la rentrée 2019, la mobilisation des élèves a bénéficié d’un nouvel instrument : l’élection d’éco-délégués au collège et au lycée ; elle vise à faire d’eux des acteurs de la protection de l’environnement et à accroître leurs prérogatives dans l’initiation même des démarches d’établissement. À la rentrée 2020, l’élection des éco-délégués, désormais obligatoire dans toutes les classes de collège et de lycée, est encouragée en CM1 et en CM2.
L’engagement croissant des élèves dans des actions concrètes ouvre la une voie à une multiplication et à un renouvellement des actions concrètes menées dans les établissements au titre du développement durable.
Cet élargissement ne doit pas cependant conduire les adultes à se tenir à l’écart des initiatives prises par des élèves. Bien au contraire ! Tant que celles-ci permettent d’appréhender la complexité du réel, elles sont les bienvenues. Certes, l’inventivité et l’énergie sont du côté de la jeunesse, mais sans les enseignements et la réflexion scientifiques — dont les enseignants sont à la fois les porteurs et les garants —, les projets les plus ambitieux risquent de se scléroser.
PF – Quels points pourraient créer un rapprochement entre l’écologie intégrale de François et l’EDD pour amener à une école plus apte à aborder la crise globale ?
G. Attali
Les fondations théoriques sur lesquelles repose l’encyclique pontificale, Laudato Si’, ne sont pas si éloignées de celles qui conduisent la plupart des systèmes éducatifs de la planète à mettre en œuvre une éducation à l’environnement. L’encyclique marque très clairement l’adhésion de l’Église aux analyses scientifiques qui attribuent aux activités développées par l’homme avec la civilisation industrielle une responsabilité majeure dans le réchauffement climatique ; si la notion d’anthropocène est absente en tant que telle du texte, elle semble très nettement influer sur les explications qui sont données de la crise climatique. Sur le plan éducatif, ce ralliement est loin d’être anodin ; il donne crédit au consensus scientifique peu à peu établi à la faveur des progrès de la recherche sur le climat et prend délibérément ses distances avec celles et ceux qui ne professent que mépris à l’encontre de la science.
La notion de « maison commune » est au cœur des préoccupations du texte et il est admis que tous les peuples de cette « maison commune » n’affrontent pas la crise climatique avec les mêmes moyens. Le recul de la pauvreté et de la faim n’a pas effacé les inégalités entre pays du Nord et pays du Sud. Chez ces derniers, la prise de conscience environnementale est souvent retardée par une exigence préalable et vitale de développement alors que persistent de nombreux déséquilibres dans l’utilisation des ressources naturelles et dans l’organisation des échanges. En faisant sienne cette approche d’une hiérarchisation croissante des territoires à l’échelle du monde, l’Église s’engage dans des préconisations qui rencontrent celles déjà prises par les Nations unies pour le développement durable. Là encore, il s’agit d’une convergence qui ne peut que servir l’action éducative.
Enfin, en adoptant résolument les perspectives d’un développement durable fondé, non plus seulement sur la protection de la nature, mais aussi sur la lutte contre la crise climatique, l’Église contribue à une responsabilisation croissante des femmes et des hommes d’aujourd’hui à l’égard des générations futures. Un tel message peut être reçu par toutes et tous,
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Pour citer cet article
Référence électronique : Gérald Attali, Philippe Franceschetti, « Regards sur l’éducation au développement durable et Laudato Si’. – Entretien », Educatio [En ligne], 11 | 2021. URL : https://revue-educatio.eu
Droits d’auteurs
Tous droits réservés
* IA-IPR d’Histoire-Géographie, Aix-Marseille, correspondant académique EDD
** Agrégé d’Histoire-Géographie
[1] Gérard Bonhoure et Michel Hagnerelle, L’éducation relative à l’environnement et au développement durable. Un état des lieux. Des perspectives et des propositions pour un plan d’action, ftp://trf.education.gouv.fr/pub/edutel/syst/igen/rapports/rap_educ_envrt.pdf
[2] La plupart des textes de référence évoqués ici sont disponibles à l’adresse suivante : https://eduscol.education.fr/cid47919/textes-de-reference-pour-l-education-au-developpement-durable.html
[3] https://www.education.gouv.fr/bo/19/Hebdo31/MENE1924799C.htm
[4] « Éducations à ». Définitions, délimitations, contextualisation
https://www.pedagogie.ac-aix-marseille.fr/upload/docs/application/pdf/2020-01/educations_a_breve_mise_au_point.pdf
[5]Sondage OpinionWay pour PrimesEnergie.fr réalisé en mars 2019 : http://www.datapressepremium.com/rmdiff/2008572/Etude-OpinionWay-pour-PrimesEnergie.fr.pdf
[6] https://www.credoc.fr/publications/environnement-les-jeunes-ont-de-fortes-inquietudes-mais-leurs-comportements-restent-consumeristes
[7] https://www.education.gouv.fr/bo/19/Hebdo31/MENE1924799C.htm
[8] https://www.education.gouv.fr/bo/20/Hebdo31/MENE2018714A.htm