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Jean-Marie Diem
Les œuvres et réalisations de Pierre FAURE sont une bénédiction et l’une des meilleures chances pour l’enseignement catholique, et sans doute pour l’éducation en général. Grâce à lui, l’enseignement personnalisé et communautaire n’est pas une mode, ni un slogan ni une utopie. Cette pédagogie existe à tous les niveaux d’enseignement et à différents endroits. Mais curieusement, nous allons souvent chercher bien loin ce qui existe tout près de nous.
Inlassablement, pendant de nombreuses années et dans différents pays du monde, Pierre FAURE a proposé une réforme profonde de l’école, qui s’inspire, dans ses fondements et ses valeurs, d’une vision chrétienne de l’homme et qui s’appuie sur une véritable théologie, indispensable selon lui, pour conforter et soutenir l’action éducative. La force de cette pédagogie est de faire appel à chaque personne dans ce qu’elle a de plus profond et en suscitant tout son dynamisme.
A l’école, les enfants les jeunes ne sont pas là seulement pour emmagasiner des connaissances. L’objectif premier est de les aider à construire eux-mêmes leur personnalité, toute leur personnalité, y compris sur le plan relationnel et spirituel. Leurs enseignants, leurs camarades et, bien sûr, leurs parents sont là pour les aider, les accompagner et les encourager. A l’école, chaque jeune doit pouvoir être accueilli, pris au sérieux, reconnu comme une personne unique, importante et responsable.
L’originalité de Pierre FAURE est de ne pas en être restée à des réflexions théoriques. Il passait la plus grande partie de son temps au contact des enfants, dans les écoles qu’il visitait presque quotidiennement. Dans les sessions de formation qu’il animait, il exigeait toujours que soient organisées des classes expérimentales destinées à l’observation directe des stagiaires.
S’appuyant sur les plus grands pédagogues, depuis PLATON jusqu’à Maria MONTESSORI, il a su proposer une solide méthodologie, qui répond sans aucun doute à bien des difficultés dénoncées aujourd’hui : l’hétérogénéité des classes, l’insertion des enfants précoces ou retardés, l’absence de motivation, l’ennui et le manque de responsabilité, qui peuvent conduire parfois à de la violence, enfin les sentiments d’inefficacité et de lassitude des enseignants, dont le métier est à l’heure actuelle si peu valorisé.
La conception de l’école selon Pierre FAURE est très différente de celle que nous connaissons habituellement, à la fois dans son organisation et dans son climat éducatif. C’est une école où les élèves ne restent pas les bras croisés, s’exprimant seulement lorsqu’on leur donne la parole. Au contraire, ils sont invités à bouger, à chercher par eux-mêmes et autour d’eux pour prendre en charge leur travail à partir de programmations et de plans de travail et selon des directives précises. C’est bien l’activité personnelle, physique mais aussi intérieure et mentale, qui permet de partir à la conquête des apprentissages et de se les approprier.
Cela suppose toute une organisation, la plus soupe possible, de l’espace et de l’environnement, qui puisse permettre la mobilité et la diversification en raison de l’alternance de travaux individuels ou par petits groupes et d’activités collectives. L’aménagement du temps scolaire doit autoriser chacun à travailler à son rythme. Dans bien des cas, la répartition des horaires quotidiens ne se fait plus par matière (une heure de ceci, une heure de cela). Elle se fait par modes d’activité : temps d’activités collectives et communautaires, d’autre part.
Certains disciples ou adeptes de Pierre FAURE, notamment Maurice FEDER pour le secondaire, vont jusqu’à remplacer les classes par des ateliers, tout au moins pour les disciplines de base. Les élèves peuvent s’y rendre très librement et quel que soit leur âge. Ils doivent s’inscrire chaque jour pour tel ou tel atelier de Français, de Mathématiques ou d’autres disciplines et, lorsqu’il n’y a plus de places, ils sont tout simplement invités à choisir une autre matière dans une autre salle.
Car, pour rendre les élèves autonomes et véritablement responsables de leur travail, l’un des principes fondamentaux est le libre-choix, déjà préconisé par Maria MONTESSORI. A intervalles réguliers, les jeunes sont conviés à choisir les disciplines qu’ils veulent étudier pendant une certaine période, avec l’aide et sous le contrôle d’un enseignant devenu en quelque sorte leur « tuteur ». Au sein de chaque atelier, les élèves vont trouver un professeur, des directives de travail, des exercices adaptés à leur niveau, et surtout une large documentation pour effectuer leurs recherches, assimiler les notions de leur programme, et aussi se contrôler eux-mêmes ou avec l’aide d’un camarade ou, bien sûr, de l’enseignant.
Au cours de la journée, généralement en fin de matinée, les élèves sont ensuite regroupés, cette fois par âge, autour d’un professeur, dans ce qu’on appelle des « conseils d’animation » ou des « mises en commun ». C’est un temps de restitution, d’échanges, d’expression, et aussi de partage des responsabilités. Ce temps est souvent précédé de séances d’expression et de maitrise corporelle, qui permettent à chacun de prendre conscience de son intériorité, d’apprécier le silence et de mieux maitriser son corps et ses gestes.
L’après-midi est plutôt réservé à des activités sportives, manuelles ou culturelles ou encore à des laboratoires de langues ou de sciences. C’est aussi l’occasion d’activités transversales ou interdisciplinaires, dans le cadre de ce que les textes officiels appellent des « itinéraires de découverte » ou, pour les plus âgés, des « travaux personnels encadrés ».
Le climat éducatif est sans aucun doute aussi important que l’organisation ou le nombre d’outils didactiques. L’école est un lieu où il fait bon vivre. Les jeunes doivent s’y sentir à l’aise, être heureux en découvrant le désir et le plaisir d’apprendre. Ils peuvent aussi mettre en pratique l’esprit de solidarité en reconnaissant les spécificités et les complémentarités de chacun. C’est donc une pédagogie communautaire, où l’entraide peut s’appliquer très naturellement, en offrant à chaque élève la possibilité d’exercer des responsabilités. Communautaire également dans la mesure où les parents sont tenus informés des méthodes utilisées et des progressions de leurs enfants et très directement associés à la bonne marche de l’école.
Ce climat dépend en grande partie du rôle et des attitudes de l’enseignant. Celui-ci n’a plus à « faire cours » ni à « faire classe ». Il ne parle pas ou très peu et, la plupart du temps, c’est à voix basse, pour ne pas perturber les élèves qui travaillent individuellement ou par petits groupes. Il est là, au milieu d’eux, pour proposer, stimuler, guider, conseiller, mais aussi pour évaluer périodiquement les acquisitions et les compétences. Ce n’est ni l’anarchie, ni le laisser-faire. Un enseignement personnalisé est exigeant. Il y a des règles. Ainsi, par exemple, il convient d’imposer aux élèves d’aller jusqu’au bout d’un travail engagé, ou encore d’éviter de faire du bruit pour ne pas gêner ceux qui travaillent.
La principale préoccupation du maître n’est pas de terminer un programme ni de chercher à tout contrôler et à tout corriger. C’est de faire en sorte que tous les élèves travaillent, assimilent et intériorisent les notions importantes, bref qu’ils progressent, en utilisant au mieux leurs talents et leurs capacités.
L’un des principaux problèmes que rencontrent les maîtres débutants en enseignement personnalisé, ce sont la didactique, les programmations adaptées à chaque discipline et les instruments de travail. Pour les plus petits, on dispose de toutes sortes de matériels pédagogiques hérités pour la plupart d’Edouard SEGUIN ou de Maria MONTESSORI. Ce ne sont pas des jouets, mais des outils scientifiques longuement expérimentés, qui demandent, pour être bien utilisés, une solide formation.
Pour les plus grands, les instruments de travail adaptés à un enseignement personnalisé existent peu dans le commerce, et c’est souvent à l’enseignant de les créer en se servant, bien sûr, des programmes officiels et des manuels existants. La révolution technologique que nous connaissons, notamment l’informatique et internet, devrait pouvoir aider suffisamment les enseignants et les élèves, notamment pour l’élaboration et le suivi des plans de travail, et pour faciliter les recherches et les évaluations.
Une autre difficulté tient à la formation et à la personnalité même des maitres. Il n’est pas facile de remettre brutalement en cause des pratiques et des manières de faire vieilles, parfois, de plusieurs années. Les enseignants à l’esprit souple et plus ouvert s’adaptent mieux et plus vite à ces méthodes.
Se lancer seul dans l’établissement n’est pas facile mais n’est pas impossible. A condition de se former en se documentant et en participant à des sessions et des observations de classes ou d’écoles personnalisées. Rien, en tous cas, n’empêche de commencer. Que de satisfactions lorsqu’on constate peu à peu des jeunes plus motivés et des parents plus satisfaits des progrès de leurs enfants. C’est encore mieux si des collègues se montrent intéressés et se lancent à leur tour. Car on peut alors s’entraider et travailler en équipe, en particulier pour l’élaboration et l’amélioration des instruments de travail.
C’est cette pédagogie que défend et cherche à promouvoir aujourd’hui une association créée autour de Pierre FAURE, l’AIRAP – Association Internationale pour la Recherche et l’Animation Pédagogique[1]. La formation des enseignants à un enseignement personnalisé est, bien sûr, son premier objectif. Mais la recherche est aussi primordiale. Pour Pierre FAURE, la pédagogie n’est jamais figée. Elle est toujours à réinventer. L’apport des technologies nouvelles et aussi des neurosciences ouvre aujourd’hui de nouveaux horizons. L’AIRAP est attentive et ouverte à ces changements et à ces innovations, mais elle reste prudente quant à des applications pédagogiques qui ne chercheraient pas à atteindre les objectifs d’un enseignement personnalisé, à savoir la recherche d’un développement harmonieux et constructif des personnes.
Et, comme le souligne Guy AVANZINI, bien des réserves seraient à faire sur l’usage abusif et banalisé du terme « personnalisé », y compris dans les textes officiels. Ce mot correspond le plus souvent à de simples efforts pour « accompagner » les élèves en difficultés, sans remettre réellement en cause la structure de l’école et, surtout, les méthodes magistrales et frontales. La pédagogie initiée par Pierre FAURE a plus d’ambition et s’adresse à tous les élèves. Elle est non seulement personnalisée mais « personnalisante ».
Bibliographie
AUDIC, Anne-Marie – Pierre FAURE s.j. Vers un enseignement personnalisé et communautaire – Ed. Don Bosco, 1998.
AVANZINI, Guy – Qu’est-ce que « la pédagogie personnalisée ? » in Revue de l’AIRAP n°10, février 2011 pp.3-7.
DIEM, Jean-Marie – Pédagogie personnalisée – On n’ouvre pas une fleur avec les doigts. – Ed. Don Bosco, 2010.
FAURE, Pierre – Un enseignement personnalisé et communautaire – Ed Casterman, 1979.
FAURE, Pierre – Précurseurs et témoins d’un enseignement personnalisé et communautaire – Ed. Don Bosco, 2008.
FEDER, Maurice – Un collège sans classe, ça existe – Ed. Sociales Françaises, 1980.
[1] AIRAP – Mouvement Pédagogique Pierre FAURE, 78A rue de Sèvres 75007 Paris