José-Luis Wolfs
Sciences, religions et identités culturelles : quels enjeux pour l’éducation ?

Bruxelles, Ed. de Boeck – 2013 – 344 p.

Assurément, le thème ici traité est important et mérite qu’on s’en préoccupe : il s’agit en effet, globalement, de savoir comment, en fin de scolarité secondaire, des élèves situent les unes par rapport aux autres leurs connaissances scientifiques et leurs croyances religieuses. Néanmoins, à mesure que l’on avance dans la lecture, on ressent deux impressions contradictoires : d’une part, l’estime que justifient le sérieux de la recherche, l’abondance des données recueillies, le nombre des auteurs cités, la réflexion exercée sur tout cela, mais aussi, d’autre part, une gêne due à la sinuosité déroutante d’un plan qui dévoile mal sa progressivité, le caractère laborieux et redondant d’un développement obscurci par de multiples renvois, une méthodologie qui ne réussit pas à emporter la conviction de sa démonstrativité, au total une problématique diffuse et éclatée.

L’ouvrage fait écho au 150ème anniversaire de la publication, en 1859, du grand ouvrage de Darwin, l’origine des espèces, et aux débats soulevés de nos jours par un certain renouveau du créationnisme. Professeur de sciences de l’éducation à l’Université libre de Bruxelles, l’auteur se demande : « comment les élèves positionnent-ils sciences et croyances religieuses ? Quelle est l’influence, sur ces positionnements, de leurs convictions personnelles (religieuses, agnostiques ou autres ? » (p. 157). Or, d’emblée, cette question surprend car elle est mal énoncée ou, plus exactement, s’avère tautologique, de sorte que, malgré une construction conceptuelle très élaborée, le raisonnement paraît « tourner en rond ». Ce qu’il faudrait plutôt se demander, ce sont les facteurs qui suscitent leurs diverses conceptions des relations entre croyances religieuses et adhésion à la science. Sommairement, est-ce la foi qui induit la manière de considérer la science ou, au contraire, celle-ci qui conforte ou menace celle-là ? Quelles sont leurs interactions, dans leurs innombrables nuances ? Sans doute le heurt sera-t-il maximal entre une vision scientiste, qui attend de l’avènement de l’ère positiviste l’effondrement des religions révélées, et un fidéisme lié à un créationnisme primaire, entendu de manière littéraliste.

Vu leur complexité intrinsèque, il est bien difficile d’appréhender et d’identifier toutes les données de ces problèmes. Du moins, pour y parvenir, l’auteur a-t-il soumis un long questionnaire à 638 élèves de l’enseignement secondaire belge francophone, parvenus au terme de la scolarité obligatoire et issus de familles chrétiennes, musulmanes ou sans religion (pp. 307 et sq). Mais comment ceux-ci ont-ils reçu et compris la formulation d’items souvent bien abstraits ? Ne peut-on craindre que la double inculture -scientifique et, surtout, religieuse- et le manque de formation philosophique de certains, voire de beaucoup, même occultée par quelques préjugés dus aux médias, les aient empêchés d’accéder au sens de ce qui leur était demandé. Par ailleurs, est-il pertinent de supposer que « leur niveau de formation scientifique » (p. 213) corrèle avec le nombre d’heures d’enseignement consacrées aux « disciplines scientifiques » ? N’est-ce pas céder à une vision euphorique de l’influence de l’Ecole ? Plus que cet aspect quantitatif, mieux vaudrait, comme le remarque judicieusement Jean-Marie de Ketele dans l’une des trois préfaces, s’interroger sur « la façon d’enseigner les sciences (p. 14) : une vision dogmatique, réfractant un scientisme simpliste ou, à l’opposé, un regard distancé et contextualisé, épargné par un réalisme sommaire. Ces attitudes épistémologiques n’ont-elles pas beaucoup plus d’importance, comme aussi les qualités relationnelles du professeur ? On se souvient, en souriant, de ces  « leçons d’observation » instaurées à l’époque de Jules Ferry, dont les zélateurs s’imaginaient qu’elles convaincraient les élèves de ne croire que ce qu’ils voyaient ! Symétriquement en va-t-il d’une éducation religieuse qu’animerait une lecture puérilement littéraliste de l’Ecriture Sainte. Aussi bien, le scientisme n’est nullement le contraire du fidéisme, mais un fidéisme contraire, tous deux également désuets et mal informés.

Encore faut-il ajouter que l’incroyance ne procède pas seulement, et peut-être pas d’abord, de la rencontre de « la science », mais de toute démarche, notamment philosophique, d’inspiration rationaliste et exclusive d’une dimension transcendante. Et désormais, du moins chez beaucoup, elle se réclame plus volontiers des attitudes de l’Eglise – ou prêtées à celle-ci – en matière socio-économique ou sexuelle. C’est donc à bon droit que, pour combattre ces équivoques ou ces confusions de registres, M. Wolfs préconise une « formation explicite à l’épistémologie » (notamment p. 235 et sq et aussi p.68) en souhaitant seulement qu’il ne la limite pas à la théorie de la réfutabilité de Popper.

Quoi qu’il en soit, cet ouvrage est stimulant pour l’éducateur chrétien et, plus globalement, pour la pédagogie chrétienne. Ce que, peut-être au-delà de son intention déclarée, il met en évidence, c’est que plusieurs de ces malentendus et conflits historiques, qui ont dommageablement affecté et parfois affectent encore des adversaires souvent de bonne foi et préoccupés de « vérité », sont en réalité engagés et entretenus par défaut de culture. En profondeur, et au-delà d’apparences conjoncturelles, foi et raison ne sauraient se contredire : non point – faut-il le préciser ?- par concordisme mais, tout à l’inverse, parce que leurs problématiques respectives sont parallèles, c’est-à-dire, en principe, ne se rencontrent jamais ; elles ne statuent pas sur les mêmes objets. Encore faut-il, pour le bien saisir, une sensibilité épistémologique suffisante. Et c’est ce à quoi l’éducation, tant scientifique que religieuse, devrait s’attacher. On sera reconnaissant à l’ouvrage de M. Wolfs de rendre attentif à cette urgence.

Guy AVANZINI