Lutte contre le décrochage scolaire et orientation des étudiants :
l’orientation pédagogique et spirituelle au Lycée Saint Luc au Burkina Faso

Alexandre Bingo et Quentin Wodon[1]

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 Résumé : l’orientation scolaire et professionnelle est une préoccupation de toutes les écoles. Chaque école se soucie d’orienter ses élèves vers des débouchés professionnels prometteurs et utiles. Cependant, la question des valeurs doit aussi être posée, en particulier dans les écoles chrétiennes. Dans une société aux repères parfois incertains, mais où la quête de sens reste primordiale, la question de l’accompagnement non seulement professionnel mais aussi spirituel des élèves se pose. Cet article décrit l’approche de l’orientation pédagogique et spirituelle au Lycée Saint Luc au Burkina Faso. Dans un premier temps, pour ancrer l’analyse dans le contexte du pays, une analyse sur des données d’enquêtes auprès des ménages illustre les défis auquel le système éducatif fait face, avec un accent sur les facteurs menant au décrochage scolaire. Ensuite, après une présentation de quelques caractéristiques du Lycée Saint Luc, l’article discute des innovations proposées par le lycée en matière d’orientation tant pédagogique que spirituelle, dans ce dernier cas en tenant compte du pluralisme religieux qui caractérise le pays.

Mots-clés : écoles catholiques ; Burkina Faso ; décrochage scolaire ; pluralisme religieux ; orientation pédagogique ; orientation spirituelle.

Introduction

L’Église catholique a une présence limitée, mais néanmoins importante dans le secteur de l’éducation au Burkina Faso. Selon les données de l’annuaire statistique de l’Église[2], il y avait en 2018 366 écoles catholiques dans le pays (63 écoles maternelles, 176 écoles primaires et 127 écoles secondaires) servant plus de 100 000 étudiants (9 263 au préscolaire, 53 482 au primaire, et 43 026 au secondaire). Comme le mentionne dans un récent interview le Père Hubert Kiemde[3], le Secrétaire Général de l’enseignement catholique au Burkina Faso, les écoles catholiques ont une bonne réputation dans le pays, pour plusieurs raisons : l’unité et la solidarité entre responsables qui facilite le dialogue avec l’État ;  une certaine discipline et rigueur dans le travail[4] ; l’attention à l’éducation des esprits des élèves ; la bonne réputation auprès des parents[5]; et de bons résultats scolaires, supérieurs à la moyenne nationale dans la plupart des écoles catholiques.

Quelles sont les domaines où il faudrait probablement améliorer la qualité de l’enseignement dans les écoles catholiques ? Le Père Kiemde suggère qu’il y a trop de théorie et pas assez de formation pratique et d’esprit critique. La priorité serait : « l’employabilité des sortants de nos écoles et établissements ; il nous faut aller vers plus de science, plus de technique et plus de professionnel dans nos offres d’éducation. » Le Père Kiemde suggère qu’il en est de même pour le domaine du numérique : « Il faudra trouver le moyen pour améliorer l’enseignement des sciences et familiariser davantage les élèves à l’outil informatique. » De plus, il milite pour davantage de liens « entre la vie réelle et ce qui est enseigné en classe. Les élèves se retrouvent peu outillés pour affronter le monde du travail. »

En termes de risques pour l’enseignement catholique, le Père Kiemde note le souci du financement public. Vu la capacité limitée des familles à couvrir les charges de fonctionnement des écoles, le support de l’État est nécessaire. Mais dans un contexte budgétaire difficile, l’État risque de baisser ses subventions, ce qui pourrait affecter la soutenabilité des écoles dans les zones pauvres, surtout en campagne. Un autre enjeu est la montée de l’intégrisme qui provoque la fermeture d’écoles dans les zones affectées. Le Burkina Faso a une longue tradition d’harmonie entre populations de différentes confessions vivant ensemble avec tolérance, mais comme c’est le cas plus largement pour le Sahel, la montée du terrorisme a entraîné des défis majeurs. Les estimations du ministère de l’Éducation nationale, de l’alphabétisation et de la promotion des langues nationales suggèrent qu’à la fin décembre 2021, quelque 3 280 écoles (13 % des écoles du pays) ont dû rester fermées en raison de raids armés.

Enfin, en réponse à une question sur les innovations intéressantes dans des écoles catholiques, le Père Kiemde mentionne deux exemples dans son interview. Le premier est celui de l’éducation inclusive, et en particulier l’offre d’éducation pour les enfants sourds et aveugles. Le second est l’introduction d’activités pratiques périscolaires, en particulier au Lycée Saint Luc de Banfora par le proviseur (co-auteur de cet article) sont une expérience pilote suivie avec intérêt. Les innovations au Lycée privé catholique Saint Luc au Burkina Faso mentionnée par le Père Kiemde font l’objet de cet article sur l’orientation pédagogique au secondaire dans un pays à bas revenu. Ces innovations sont de deux ordres. D’une part, le lycée a mis en œuvre une série d’activités qui visent à mieux préparer et guider les élèves pour leur entrée dans la vie active. D’autres part, le lycée a aussi mis en œuvre une série de pratiques qui aident au respect mutuel des élèves de différentes confessions, ce qui est en fait l’une des missions des écoles catholiques qui ont vocation à accueillir des élèves de multiples confessions[6].

Comme le note l’appel à contribution pour ce numéro d’Educatio, l’orientation scolaire et professionnelle est une préoccupation de toutes les écoles, et non pas seulement les écoles chrétiennes. Chaque école se soucie d’orienter ses élèves vers des débouchés professionnels prometteurs et utiles. Cependant, la question des valeurs doit aussi être posée. Les articles dans ce numéro offrent une réflexion sur ce qu’une approche chrétienne peut apporter à la compréhension de l’orientation scolaire et professionnelle. En particulier, dans une société aux repères parfois incertains, mais où la quête de sens reste primordiale, la question de l’accompagnement non seulement professionnel mais aussi spirituel des jeunes se pose dans les écoles chrétiennes. L’approche particulière du Lycée Saint Luc au Burkina Faso est dans ce cadre intéressante et porteuse d’espérance.

La structure de l’article est la suivante. Pour mettre l’analyse dans le contexte du Burkina Faso pour les lecteurs qui pourraient ne pas être familier avec la situation des systèmes éducatifs au Sahel, la prochaine section est basée sur des données d’enquêtes auprès des ménages nationalement représentatives. L’analyse illustre les défis auquel le système éducatif du Burkina Faso fait face, en particulier en termes de facteurs menant au décrochage scolaire. L’importance de s’assurer que les écoles offrent des formations appropriées pour les élèves vu leur contexte est notée. La section suivante présente quelques caractéristiques du Lycée Saint Luc, puis discute des innovations proposées par le lycée en matière d’orientation tant pédagogique que spirituelle. Une brève conclusion suit.

Contexte du système éducatif et facteurs menant au décrochage

Le contexte de l’éducation au Burkina Faso reste difficile. Le pays a des taux de scolarisation et d’achèvement particulièrement faibles, comme c’est le cas pour les autres pays du Sahel. Comme le montre le Graphique 1 qui se fonde sur les données de l’Institut de la Statistique de l’UNESCO (telles que disponibles dans la base de données des indicateurs du développement de la Banque mondiale), malgré d’importants progrès au cours des vingt dernières années, les taux d’achèvement au primaire et au premier cycle du secondaire restent fort bas, avec de plus une stagnation pour la période la plus récente. Les dernières estimations disponibles suggèrent qu’en 2020, seulement 64,9 % des enfants terminent le cycle primaire. La proportion des élèves qui parviennent à terminer le secondaire du premier cycle est encore plus faible, à 41,4 %. Ces taux sont plus bas que pour l’Afrique sub-Saharienne dans son ensemble. Pour le secondaire supérieur, les statistiques de l’UNESCO ne sont pas disponibles, mais les proportions sont encore plus faibles. De plus, même pour les élèves qui sont scolarisés et achèvent leurs études, la qualité de l’enseignement est basse[7]. Les données de la Banque mondiale suggèrent qu’en 2019, 85 % des enfants de dix ans au Burkina Faso ne maîtrisaient pas la lecture, i.e. n’étaient pas capables de lire et comprendre un simple texte approprié à leur âge[8]. La crise de la pandémie de la COVID-19 a probablement encore affecté l’ensemble de ces résultats à la baisse.


Source : Base des données de la Banque mondiale.

       L’accès et le maintien à l’école restent des défis particulièrement importants pour les groupes vulnérables. Techniquement, les faibles taux d’inscription et d’achèvement peuvent être le résultat du fait que certains enfants ne vont jamais à l’école ou que des enfants abandonnent l’école prématurément. Pour analyser les contraintes auxquelles le système éducatif burkinabé fait face, le cadre conceptuel du Graphique 2 considère cinq étapes séquentielles simples qui sont nécessaires pour que les enfants aillent effectivement à l’école et apprennent suffisamment pendant qu’ils sont à l’école de sorte qu’ils puissent terminer leurs études: (1) les écoles doivent avoir la capacité d’accueillir des élèves et être accessibles; (2) les écoles doivent être abordables compte tenu des dépenses de scolarité, des opportunités et des coûts sociaux potentiels liés à l’envoi des enfants à l’école; (3) aller à l’école doit être sans risque (de violence) et les enfants doivent pouvoir s’épanouir à l’école (malheureusement, des données sur la violence à l’école ne sont pas disponibles dans l’enquête utilisée pour les estimations) ; (4) les enfants doivent être capables d’apprendre à l’école – cela se réfère non seulement aux matières académiques traditionnelles, mais aussi aux compétences socio-émotionnelles et de vie (en outre, les préférences des parents pour le type d’école et ce que les enfants devraient apprendre à l’école doit également être pris en compte); et enfin (5) les filles enceintes et mariées devraient être autorisées à rester à l’école, et pour les garçons comme pour les filles, des programmes de la deuxième chance devraient être disponibles pour les enfants en décrochage scolaire dont les circonstances ne leur permettent pas de retourner à l’école.

       En outre, le Graphique 2 met également en évidence le fait que des processus nationaux ou infranationaux adéquats (tels que la préparation de diagnostics, l’organisation de consultations, l’adoption d’une stratégie et la mobilisation) sont nécessaires pour éclairer les interventions liées à chacune de ces cinq étapes. Cela s’applique aux écoles publiques, mais probablement aussi aux écoles du réseau catholique. Des données sur les raisons déclarées par les parents pour lesquelles leurs enfants n’ont jamais été inscrits à l’école ou ont abandonné l’école de façon prématurée sont disponibles dans une enquête auprès des ménages de l’UEMOA de 2018-19 à laquelle le Burkina Faso a participé (l’enquête harmonisée sur les conditions de vie des ménages ou EHCVM). Une analyse multi-pays de ces données a été réalisée séparément[9]. Ici, l’accent est porté sur les résultats obtenus avec les données de l’enquête pour le Burkina Faso.

Graphique 2 : Cadre conceptuel améliorer les taux de scolarité


Source : Wodon (2022).

Raisons mentionnées par les parents pour la non-scolarité

       Considérons d’abord le fait que certains enfants ne sont pas inscrits à l’école, même au primaire. À partir des données de l’EHCVM 2018-2019, le Tableau 1 catégorise les raisons évoquées par les parents pour expliquer pourquoi (lorsque c’est le cas) leurs enfants n’ont jamais été inscrits à l’école. L’analyse porte sur les enfants de 7 à 12 ans car après 12 ans, il est très peu probable que les enfants aillent à l’école (certains parents dont les enfants sont plus jeunes dans cette tranche d’âge peuvent encore envoyer leurs enfants à l’école à un âge plus avancé, donc les estimations ne sont que suggestives.) L’enquête comprend 14 réponses potentielles des parents. Les modalités des réponses étant détaillées, les données sont probablement un bon indicateur de l’importance relative des différents facteurs conduisant au manque de scolarisation initiale à l’école primaire.

Les 14 modalités ont été regroupées en cinq catégories dans le Tableau, suivant le cadre conceptuel du Graphique 2.

  • Manque d’accessibilité des écoles : Deux raisons pour ne jamais s’inscrire sont incluses dans cette catégorie : (1) le fait qu’il n’y a pas d’écoles ou qu’elles sont situées trop loin, et (2) le fait que les enfants peuvent être malades ou handicapés (le manque d’accessibilité des écoles pour les enfants handicapés peut être l’une des raisons pour lesquelles ces enfants ne se sont jamais inscrits). Les estimations suggèrent que le manque d’accessibilité des écoles et le handicap contribuent à ce que certains enfants ne s’inscrivent jamais, car ces raisons représentent environ un cas sur dix de non-scolarisation.
  • Dépenses de scolarité et coûts d’opportunité : Cinq raisons mentionnées par les parents sont incluses dans cette catégorie: (1) les dépenses de scolarité sont trop élevées; (2) les parents manquent de moyens financiers pour envoyer leurs enfants à l’école; (3) l’enfant (ou la famille) peut avoir une préférence pour que l’enfant travaille, ce qui peut indiquer un coût d’opportunité de la scolarité; (4) l’enfant est impliqué dans des travaux agricoles (plus vraisemblablement pour les garçons); et (5) l’enfant est impliqué dans les tâches ménagères (c’est plus souvent plus le cas pour les filles). La question du coût est très importante, car c’est la cause de la non-inscription pour quatre enfants sur dix qui ne sont pas inscrits.
  • Normes sociales : Trois raisons sont réunies dans cette catégorie : (1) l’enfant est trop jeune pour aller à l’école (ce qui ne s’applique qu’au niveau primaire) ; (2) la famille n’est pas disposée à laisser l’enfant aller à l’école, ce qui pourrait être lié aux normes sociales, par exemple en matière de genre ; et (3) le sexe (« c’est une fille »). Les normes sociales ainsi définies représentent près de quatre cas sur dix des enfants ne s’inscrivant jamais à l’école, avec une proportion légèrement plus élevée pour les filles. Cependant, étant donné que d’autres facteurs peuvent conduire à une réticence des parents à inscrire leurs enfants, cela peut surestimer le rôle des normes sociales qui ont conduit certains enfants à ne jamais s’inscrire.
  • Manque d’apprentissage : Deux raisons sont regroupées dans cette catégorie : (1) les études ne sont pas adaptées à l’enfant (selon la perception des parents) ; et (2) les études ne sont pas utiles. Ces perceptions négatives de la capacité probable des enfants à acquérir des compétences utiles à l’école représentent assez peu de cas de non-inscription selon l’enquête.
  • Autres raisons : Deux raisons sont regroupées dans cette catégorie : (1) l’insécurité ; et (2) la modalité des « autres raisons ». Ces deux raisons représentent une part non négligeable des cas de non-scolarité (surtout pour les « autres » raisons qui ne sont pas explicitées).

 

Dans l’ensemble, le coût, les normes sociales et dans certains cas le manque d’écoles (primaires) disponibles à proximité sont les principales raisons qui poussent les parents à ne pas inscrire certains enfants à l’école. Les différences quant aux résultats obtenus pour les filles et garçons sont typiquement faibles et non statistiquement significatives. À noter que la proportion d’enfants âgés de 7 à 12 ans qui ne se sont jamais inscrits à l’école est assez élevée, avec près d’un tiers des enfants affectés. Comme mentionné précédemment, certains des enfants pris en compte pour l’analyse dans la tranche d’âge de 7 à 12 ans (en particulier de 7 à 8 ans) peuvent encore s’inscrire à l’école plus tard. Néanmoins, un grand nombre d’enfants ne s’inscrivent jamais à l’école, et beaucoup s’inscrivent tardivement, ce qui est susceptible d’avoir un impact négatif sur la probabilité qu’ils achèvent le secondaire ou même l’école primaire.

 

Tableau 1 : Raisons mentionnées par les parents pour ne pas avoir inscrit leurs enfants à l’école (%)

Sexe Garçons Filles
Écoles non accessibles
Pas d’école/distance 7.6 6.7
Malade/handicap 2.2 2.2
Total 9.8 8.9
Coût d’opportunité
Coût trop élevé 0.4 0.3
Manque de moyens 20.7 22.6
Préférence pour le travail 0.6 0.3
Travaux agricoles 17.4 7.7
Tâches domestiques 1.0 9.3
Total 40.1 40.1
Normes sociales
Trop jeune 1.7 1.7
La famille ne veut pas inscrire l’enfant 35.1 33.7
Sexe (fille) 0.0 3.2
Total 36.8 38.6
Manque d’apprentissage
Études non adaptées 2.7 1.4
Études inutiles 2.1 2.1
Total 4.8 3.5
Autres raisons
Insécurité 2.1 2.3
Autres 6.4 6.5
Total 8.5 8.8
Toutes les raisons 100.0 100.0

Source : Auteurs sur base de l’enquête EHCVM 2018-19. Voir Malé et Wodon (2022) pour l’analyse multi-pays.

Raisons mentionnées par les parents pour le décrochage scolaire

Qu’en est-il pour les enfants qui abandonnent l’école après avoir été inscrits au primaire ? En utilisant la même logique que pour les raisons de non-scolarisation, le Tableau 2 catégorise les raisons mentionnées par les parents pour expliquer pourquoi leurs enfants ont abandonné l’école par niveau d’éducation, en considérant séparément l’enseignement primaire, le premier cycle du secondaire et le second cycle du secondaire. Différentes questions sont posées dans l’enquête sur les abandons, selon que cela a eu lieu au cours d’une année scolaire ou entre les années scolaires. Étant donné que les modalités des réponses potentielles sont plus détaillées pour les abandons entre les années scolaires et que ces cas sont également plus probables, c’est la question spécifique utilisée pour les estimations. Là encore, l’enquête comprend de nombreuses (17) réponses potentielles des parents, de sorte que les données sont probablement un bon indicateur de l’importance relative des divers facteurs menant aux abandons.

Les 17 modalités diffèrent légèrement de celles liées au fait de ne jamais s’inscrire, mais elles ont été regroupées selon les cinq mêmes grandes catégories.

  • Manque d’accessibilité des écoles : les deux mêmes raisons d’abandon sont incluses dans cette catégorie comme ce fut le cas pour les non-inscriptions. En règle générale, le manque d’accessibilité des écoles ne semble pas être une raison majeure pour laquelle les enfants abandonnent, car les raisons associées sont généralement citées par moins de 3 % des garçons et des filles à tous les niveaux de scolarité. Notez que la question est posée ici aux parents des enfants qui sont déjà allés à l’école, ce qui implique que dans une certaine mesure, les écoles étaient déjà disponibles, au moins pour le primaire. Par conséquent, cela ne signifie pas que plus d’écoles ou des écoles plus proches du lieu de résidence des élèves ne sont pas nécessaires. Mais il s’agit d’une contrainte de second ordre par rapport à d’autres raisons menant à des abandons parmi les enfants qui ont été inscrits au primaire.
  • Dépenses de scolarité et coût d’opportunité : les cinq mêmes raisons mentionnées par les parents lorsqu’ils examinent les raisons de ne jamais s’inscrire sont incluses dans cette catégorie. À tous les niveaux, le coût est clairement l’une des principales raisons du décrochage scolaire, représentant entre un quart et plus de 60 % des abandons selon le niveau scolaire et le genre. De toute évidence, des interventions peuvent être nécessaires pour réduire le coût (direct et d’opportunité) de la scolarisation, même si les écoles publiques sont en principe gratuites et les écoles catholiques bénéficient de certaines aides publiques.
  • Normes sociales : six raisons sont combinées dans cette catégorie. Outre les raisons déjà identifiées pour les enfants qui ne s’inscrivent jamais, trois autres raisons sont liées aux abandons : (1) l’enfant a terminé ses études (ce qui peut dénoter un manque de valeur perçue pour la poursuite de la scolarisation de l’enfant) ; (2) l’enfant (ou la famille de l’enfant) désire un mariage ; et (3) la jeune fille a eu une grossesse. Le rôle des normes sociales est, comme on pouvait s’y attendre, plus élevé pour les filles que les garçons, mais avec quelques différences dans les facteurs selon le niveau de scolarité (par exemple, le désir de se marier et le risque de grossesse sont des facteurs plus importants dans le secondaire inférieur que dans le primaire ou le secondaire supérieur, dans ce dernier cas probablement en partie parce que les enfants scolarisés sont de milieux plus aisés). Dans l’ensemble, si les contraintes de coût d’opportunité sont plus importantes pour les garçons que pour les filles, les normes sociales importent plus pour les filles que pour les garçons.
  • Manque d’apprentissage : en plus des deux modalités incluses lorsque l’on considère les enfants qui ne se sont jamais inscrits à l’école, une troisième modalité est incluse pour les abandons : l’enfant a abandonné ou a échoué (à un examen). Le fait que l’abandon et l’échec soient combinés en une seule modalité pour les réponses parentales peut conduire à surestimer le rôle du manque d’apprentissage, car d’autres raisons peuvent avoir conduit à un abandon. Cela dit, ces autres raisons sont prises en compte par les autres modalités de réponse, de sorte que cette modalité est susceptible de représenter des problèmes liés à l’apprentissage. À tous les niveaux, mais surtout au niveau du primaire, les résultats sont frappants pour mettre en évidence la nécessité d’améliorer la qualité de l’enseignement dispensé puisque le manque d’apprentissage représente dans certains cas près de la moitié des abandons. Un meilleur apprentissage pourrait peut-être également réduire le rôle des autres facteurs de décrochage. Par exemple, les coûts directs et d’opportunité de la scolarisation peuvent être plus supportables pour les ménages si les enfants apprennent mieux à l’école. L’accent mis sur la nécessité pour les enfants d’apprendre à l’école a été souligné dans le rapport de la Banque mondiale sur la crise de l’apprentissage[10].
  • Autres raisons : le questionnaire sur les raisons d’abandon n’identifie pas le problème de l’insécurité, mais il comporte une modalité « autres raisons ». Ces autres raisons peuvent être assez variées dans les réponses ouvertes, mais elles ne représentent qu’une petite part des abandons, comme ce fut également le cas pour les enfants qui n’ont jamais été inscrits.

 

Tableau 2 : Raisons mentionnées par les parents pour le décrochage scolaire de leurs enfants par niveau d’éducation (%)

Primaire Secondaire inférieur Secondaire supérieur
Sexe Garçons Filles Garçons Filles Garçons Filles
Écoles non accessibles
Pas d’école/distance 1.0 0.3 0.9 0.1 0.0 0.1
Malade/handicap 1.2 2.1 1.3 0.7 0.4 1.0
Total 2.2 2.3 2.1 0.8 0.4 1.1
Coût d’opportunité
Coût trop élevé 0.5 0.6 0.5 0.7 0.1 0.0
Manque de moyens 15.2 13.6 23.1 14.6 15.6 4.0
Préférence pour le travail 11.3 4.0 23.6 15.9 46.5 40.5
Travaux agricoles 5.2 1.3 1.5 0.6 0.4 0.2
Tâches domestiques 0.3 5.5 0.0 2.5 0.0 0.3
Total 32.6 25.0 48.7 34.4 62.5 44.9
Normes sociales
Trop jeune 3.7 4.0 0.0 0.0 0.0 0.0
Études terminées 4.5 4.8 9.3 10.3 20.9 28.8
La famille ne veut pas 3.6 5.0 0.5 1.6 0.0 0.3
Désir de se marier 0.0 3.6 0.2 6.6 0.0 1.8
Sexe (« c’est une fille ») 0.0 0.4 0.0 0.1 0.0 0.1
Grossesse 0.0 0.1 0.0 4.7 0.0 6.2
Total 11.7 17.8 10.0 23.3 20.9 37.1
Manque d’apprentissage
Études non adaptées 1.3 0.6 0.5 0.6 0.0 0.3
Études inutiles 2.6 2.0 1.1 1.1 0.1 0.0
Abandon/échec 45.4 46.6 36.0 37.3 11.7 15.5
Total 49.3 49.2 37.7 39.0 11.8 15.8
Autres raisons
Autres 4.1 5.6 1.4 2.5 4.4 1.1
Toutes les raisons 100.0 100.0 100.0 100.0 100.0 100.0

Source : Auteurs sur base de l’enquête EHCVM 2018-19. Voir Malé et Wodon (2022) pour l’analyse multi-pays.

L’analyse des données de l’enquête ECVHM de 2018-19 montre que de multiples facteurs mènent au décrochage scolaire, et que ce décrochage est assez systématique. En effet, outre les facteurs mentionnés au Tableau 2, il faut souligner que parmi les enfants inscrits au primaire, un tiers n’achèvent pas le cycle (35.3 % pour les garçons et 29 % pour les filles). Ensuite, parmi les enfants terminant leurs études primaires, près de quatre sur dix ne complètent pas le secondaire inférieur (42.2 % pour les garçons et 38.5 % pour les filles). Enfin, parmi les enfants terminant le secondaire inférieur, près de la moitié ne terminent pas le secondaire supérieur (50.4 % pour les garçons et 40.3 % pour les filles). Bien que ces taux soient estimés au niveau national, il est clair que les écoles catholiques peuvent aussi avoir des difficultés.

L’orientation pédagogique et spirituelle au Lycée Saint Luc

L’objectif de la section précédente était de donner quelques points de repère statistiques sur les difficultés rencontrées au Burkina Faso pour permettre aux enfants d’être scolarisés et de le rester jusqu’à leur majorité. Au niveau du primaire, la crise de l’apprentissage amène une part considérable des enfants à ne pas terminer le cycle suite à l’échec scolaire et l’abandon qui en résulte. Au niveau du secondaire, l’analyse suggère que le manque de moyens financiers et surtout la préférence pour le travail (plutôt que de poursuivre des études) ou le fait que les parents considèrent que leurs enfants ont terminé leurs études sont des facteurs majeurs contribuant au décrochage scolaire. Pour les adolescentes, les normes sociales dont le mariage des enfants qui reste fort prévalent et l’implication des grossesses jouent aussi un rôle important pour le décrochage scolaire au secondaire.

Les statistiques au niveau du secondaire en particulier reflètent une perception, au moins au sein d’une partie de la population, que la poursuite de la scolarité peut ne pas apporter suffisamment d’intérêt pour en justifier le coût (direct ou d’opportunité). Comme le note le Père Kiemde dans l’entretien mentionné précédemment, le curriculum qui est enseigné dans les écoles reste trop théorique. Il faudrait que les écoles, y compris les écoles catholiques, aient un lien plus fort avec la vie réelle de sorte que les élèves soient mieux équipés pour affronter le marché du travail. Si les écoles ne forment pas leurs élèves en tenant compte des réalités quant aux options d’emploi, les taux de décrochage demeureront élevés, et la contribution des élèves à leur famille future et à leur communauté en sera affectée. Dans cette section, l’approche du Lycée Saint Luc est décrite pour montrer comment l’orientation peut aider les élèves à bien choisir leurs séries et à amoindrir le risque de décrochage. Après une présentation de quelques caractéristiques du lycée, les aspects pédagogiques de l’orientation sont discutés. De plus, les aspects spirituels du projet éducatif sont discutés, ce qui est important face à la montée de l’extrémisme.

Quelques caractéristiques du Lycée Saint Luc[11]

Le Lycée Saint Luc de Banfora a vu le jour en septembre 2012 suite à la volonté de l’évêque et du directeur diocésain de créer dans la ville de Banfora un établissement de référence et de qualité. Banfora est une ville au sud-ouest du pays avec une population d’environ 120 000 habitants. C’est la sixième ville la plus peuplée du pays, à 85 kilomètres de Bobo-Dioulasso, la seconde ville du pays. Le lycée Saint Luc a accueilli 503 élèves à la rentrée scolaire 2020-2021 (248 garçons et 255 filles). Depuis que des élèves se sont présentés au Brevet d’études du premier cycle du second degré (BEPC, depuis 2016) et au baccalauréat (BAC, depuis 2019), le lycée a obtenu chaque année les meilleurs taux de succès (près de 100 % chaque année) au niveau de la région où il est implanté. La devise du lycée est « l’amour du travail dans la discipline et la persévérance ». Quand on arrive à faire en sorte qu’un apprenant aime ce qu’il apprend, il le fait bien et il est prêt à faire les sacrifices dans la durée pour apprendre. Un hymne a été composé à partir de la devise. Cet hymne est chanté par tous les élèves à la descente et à la montée des couleurs en début et à la fin de la semaine durant toute l’année.

  • Les élèves sont encadrés par 57 personnes (28 enseignants, 12 moniteurs d’atelier, 12 membres du personnel administratif et de soutien, 3 surveillants, et 2 maîtresses d’internat). Les enseignants sont sous contrat à durée déterminée (contrat d’une année scolaire renouvelable après appréciation de leur travail). Conscients du rôle capital de l’éducateur, le projet éducatif de Saint Luc mise sur la qualité du corps enseignant, avec un accent tant sur les qualités morales qu’intellectuelles. Les apprenants contribuent à l’évaluation des enseignants à travers une enquête où chaque élève apprécie l’action pédagogique et les valeurs humaines de leurs formateurs.
  • En plus des matières traditionnelles inscrites dans le programme officiel, des cours spécifiques comme le cours de culture africaine, le cours de solfège et un cours de latin sont dispensés aux élèves particulièrement au premier cycle. Le cours d’africanité permet aux apprenants de s’approprier leurs valeurs culturelles dans un monde d’échange et qui change. Quant au cours de solfège, c’est une initiation à la musique pour éveiller d’éventuels talents. Le cours de latin est non seulement un renforcement de l’apprentissage du français mais surtout une initiation à la logique et à l’esprit critique.En termes d’évaluations des élèves, une certaine régularité a pour but de pousser les apprenants au travail continuel. Au premier cycle, une évaluation est exigée tous les 15 jours dans chaque matière. Le trimestre est sanctionné par la composition. Au second cycle, en plus de la composition, un devoir par mois est exigé dans chaque matière.

Un rituel de la transmission de la flamme de l’excellence est organisé en début d’année scolaire (le 18 octobre, la fête de Saint Luc). Au cours de la cérémonie, les deux responsables de classe des promotions lauréates au BEPC et au BAC remettent une grande bougie (à l’allure d’un cierge pascal) aux responsables de classe de troisième et de terminale, les futurs lauréats. Les responsables à leur tour, à partir de la grande bougie, allument les petites bougies que chaque candidat tient à la main. Deux discours sont prononcés : celui du représentant des lauréats et celui du représentant des candidats de l’année en cours. Le premier rappel leur performances et les sacrifices consentis et le second s’engage au nom des autres à maintenir haut le flambeau de l’excellence. Après quoi, tous soulèvent leur bougie tenue par la main droite et l’autre main à la poitrine l’hymne de l’excellence est solennellement exécuté. C’est un moment d’engagement en présence de tous les autres élèves de l’établissement, des parents et des professeurs dans la salle communautaire de rencontre.

L’orientation pédagogique des élèves

Dans le système éducatif du Burkina Faso, l’orientation des élèves selon les séries se fait essentiellement à deux étapes de leur cursus scolaire : la fin du cycle post-primaire sanctionnée par le BEPC et la fin du cycle secondaire sanctionnée par le Baccalauréat qui ouvre l’accès au cursus académique. A la fin du post-primaire, les élèves généralement choisissent une série donnée pour commencer la classe de seconde. Il peut s’agir en fonction des opportunités qui dépendent des localités d’une série littéraire, d’une série scientifique ou d’une série technique. Au niveau de la série littéraire, c’est essentiellement la série nommée A, série des lettres et langues (français, anglais et allemand). La série scientifique concerne les mathématiques et sciences de la nature pour la série D et les mathématiques et sciences physiques pour la série C. La série technique (ou professionnelle) concerne beaucoup plus les filières professionnalisantes comme le secrétariat et la comptabilité (série ACC), l’électrotechnique (série F3), la maçonnerie, l’art culinaire, la plomberie, etc. Au niveau du lycée saint Luc, deux séries sont offertes : la littéraire (A 4) et la scientifique (D). Le Lycée Saint Luc oriente les élèves qui veulent faire la série C ou des filières techniques (ACC et F3) dans d’autres établissements de la place (voir le Tableau 3, où certains élèves sont orientés vers l’établissement Louis Quernes).

Tableau 3 : Orientation des élèves en classes de seconde année scolaire (2021-2022)

Série Contenu Effectif Établissement
A Littérature 60 Lycée Saint Luc
D Mathématiques et sciences de la nature 35 Lycée Saint Luc
ACC Secrétariat et comptabilité 15 Etablissement Louis Quernes
F3 Électronique 10 Etablissement Louis Quernes

Source : Auteurs sur base de données administratives.

De façon générale dans l’enseignement public, l’élève est souvent laissé à lui seul pour choisir sa série. Dans le meilleur des cas, il le fait en lien avec ses parents qui pour la plupart ne sont pas alphabètes (les dernières données disponibles au Burkina Faso dans la base de données de l’Institut de la Statistique de l’UNESCO suggèrent un taux d’alphabétisation de 39 % pour la population adulte en 2018). Il se pose donc un problème de choix de série qui ne correspond pas souvent aux aptitudes du candidat. Beaucoup de candidats laissés à eux-mêmes choisissent leur série par complaisance ou par imitation de leurs camarades. D’autres se voient imposer les séries par les parents qui misent sur les opportunités de travail. Cela explique en partie le taux de redoublement et de décrochage au secondaire car beaucoup d’élèves abandonnent à cause du mauvais choix de série.

L’orientation fondamentale se fait généralement après le BEPC. Cette orientation détermine le type de série que l’élève doit commencer en seconde. Le principe de l’orientation au Lycée Saint Luc est basé sur un rapport objectif des moyennes de l’élève. Chaque année, un bilan annuel des moyennes des matières littéraires et celles des matières scientifiques est fait pour chaque élève. Après le BEPC, le comité d’orientation du lycée qui est composé des enseignants qui ont tenu les élèves en classe pendant l’année en cours, fait le point des bilans par élève en considérant l’ensemble du cursus de l’élève depuis la 6ème année jusqu’en 3ème année. Le bilan des notes de l’examen est aussi considéré. Les élèves sont orientés selon leurs moyennes générales. La moyenne de 10 est requise pour pouvoir s’orienter soit en littérature, soit en science. Le comité d’orientation de l’établissement propose ainsi à chaque élève une série selon les aptitudes littéraires ou scientifiques révélées objectivement par les différentes moyennes pendant tout son cursus post-primaire. Des recrutements complémentaires sont réalisés en classe de seconde en recevant des élèves provenant d’autres établissements. Dans ce cas, le lycée demande les bulletins des candidats pour faire la même opération.

       Parallèlement, il est demandé à l’élève en concertation avec les parents de proposer la série qu’il estime pouvoir faire. Après, le proviseur rencontre chaque élève pour lui communiquer les suggestions du comité des professeurs. En cas de discordance entre le choix de l’élève et la proposition du comité, le proviseur écoute les mobiles de l’élève, lui présente les exigences des deux séries et laisse l’apprenant choisir en fin de compte. En tout état de cause, le choix de l’apprenant est respecté. Quant à l’orientation après le baccalauréat, elle est beaucoup plus laissée à la discrétion des bacheliers qui souvent choisissent les types d’études selon les possibilités de bourses, ou selon les projets professionnels ou la proximité des universités. Le choix de l’orientation pour les études académiques est beaucoup influencé par les parents à cause de l’implication financière que cela nécessite. Il faut noter qu’avant l’examen du baccalauréat, le service d’orientation du ministère de l’éducation publique vient au lycée pour sensibiliser les élèves sur les choix d’orientation après le baccalauréat.

       Les résultats de cette approche semblent fort positifs. Le Tableau 4 pour l’année scolaire 2021-22 montre que le taux d’abandon, d’exclusion et de redoublement est très faible. Le Tableau 5 montre les taux de réussite très élevés au BAC pour l’année scolaire 2021-22.

Tableau 4 : Résultats scolaires, année scolaire 2021-22, Lycée Saint Luc

Classe Effectif Abandon Exclusion Redoublement Admis en classe

Supérieure

Seconde littéraire 60 0 1 2 57
Seconde scientifique 35 0 0 1 34
1ère littéraire 45 0 0 1 44
1ère scientifique 38 1 0 1 36

Source : Rapport de fin d’année 2021-2022/ lycée saint Luc

Tableau 5 : Résultats des examens de fin cycle, année scolaire 2021-22, Lycée Saint Luc

Examens Effectif Admis Taux de réussite
BAC A 45 45 100%
BAC D 40 39 97,5%

Source : rapport de fin d’année scolaire 2021-2022/ lycée saint Luc

 

Les ateliers au service de l’orientation pédagogique

Dans le projet éducatif du Lycée Saint Luc, des ateliers ont été institués pour aider à l’éveil des talents et renforcer le sens de la créativité souvent délaissés par le système scolaire qui tend à valoriser l’intelligence logico-mathématique au détriment du savoir-faire.  Les ateliers sont des lieux d’éveil des talents pour permettre aux élèves de libérer leur potentiel naturel. Ils se tiennent tous les jeudis soir, un moment où les cours classiques sont suspendus. Ces ateliers sont assez diversifiés : le théâtre, la coiffure masculine et féminine, la chorégraphie, l’atelier de musique, la couture, le Taekwondo, le football, l’acrobatie, l’atelier de Batik, l’atelier environnementaliste, et l’atelier des entrepreneurs ou futurs hommes d’affaire (voir le Tableau 6 pour la liste des principaux ateliers).

Tableau 6 : Liste des ateliers au service de l’orientation scolaire

Atelier Compétence/talent Option académique conseillée
Entreprenariat Sens de l’entreprenariat Marketing

Économie

Banques et assurances

Comptabilité

Théâtre, chorégraphie, musique Acteurs et sens de la communication, chorégraphe Art et communication

Journalisme

Troupes professionnelles de chorégraphie, musique et théâtre

Acrobaties, arts martiaux Athlètes Club d’athlétisme professionnel en parallèle avec les études
Football Footballers

 

Académie de football ou des clubs de football professionnels
Coiffure, couture Coiffeur, couturier Salon de coiffure ou de couture en activités connexes avec les études académiques

Source : Auteurs.

En début d’année scolaire, chaque élève s’inscrit librement dans un atelier ou « Dankan ».  Des moniteurs attitrés, des artisans de la place, accompagnent les élèves dans chaque atelier. Des sessions mensuelles de développement personnel sont aussi organisées tout au long de l’année scolaire. La fête du lycée et la clôture de l’année scolaire donnent l’occasion à chaque atelier de présenter ses créations et ses innovations. Le cadre des ateliers permet ainsi de découvrir les habiletés techniques et pratiques des apprenants. L’expérience des ateliers est particulièrement utile pour prodiguer des conseils aux élèves pour leur orientation professionnelle future, surtout après le baccalauréat. Selon les talents qu’ils ont pu démontrer au cours de leurs cursus, y compris via les ateliers, l’équipe du lycée prodigue des conseils pour leur futures études académiques ou leur profession potentielle.

Ces ateliers semblent avoir des résultats positifs. La première promotion au Baccalauréat date de 2019, et déjà le lycée a deux anciens étudiants qui ont créé leur propre entreprise. Il s’agit d’une entreprise dans le domaine de l’organisation d’événements culturels et d’une autre dans le domaine de la formation en informatique. Quatre joueurs de l’atelier de football ont déjà signé un contrat professionnel dans des clubs de la place. Par ailleurs, l’expérience des ateliers aide à orienter des élèves dès la seconde année en série technique (maçonnerie, plomberie, électricité) ou commerciale. Ce sont des élèves qui révèlent des habilités techniques ou qui ont déjà le sens du business en l’occurrence dans l’atelier des hommes d’affaires ou au niveau des ateliers qui demandent une certaine habileté manuelle (coiffure, couture). En définitive, l’orientation scolaire est capitale dans la réussite du cursus de l’apprenant. Une bonne orientation stimule la dynamique motivationnelle de l’apprenant. Une mauvaise orientation peut favoriser la déscolarisation et le dégoût de l’école. D’où l’importance de mettre en place une bonne politique d’orientation qui prenne en compte non pas seulement les aptitudes intellectuelles, mais les talents et le savoir-faire de l’apprenant.

L’école telle qu’elle est de nos jours dans les pays d’Afrique de l’Ouest n’arrive souvent plus à honorer sa promesse de garantir aux jeunes un emploi dans la fonction publique (c’est le type d’emploi que traditionnellement les détenteurs du baccalauréat pouvaient obtenir au Burkina Faso et dans la sous-région). Elle forme actuellement plutôt des savants (à tout le moins pour ceux qui réussissent) et non pas des sachants-faire, ce qui est souvent plus important pour le futur des étudiants. Une politique éducative axée sur l’éveil des talents aide les jeunes à découvrir et déployer leurs aptitudes naturelles et c’est l’approche pratique qui est suivie au Lycée Saint Luc. Comme l’aurait dit Albert Einstein, si tu passes ton temps à demander à un poisson de grimper sur un arbre, il pensera toute sa vie qu’il est un imbécile. Aider le jeune en pleine croissance à découvrir ses aptitudes naturelles est une mission essentielle de l’école, et pour cela une bonne stratégie d’orientation est nécessaire.

 

L’orientation spirituelle : s’ouvrir à l’autre[12]

  • L’approche de l’orientation pédagogique du Lycée Saint Luc telle qu’elle est décrite dans la section précédente est innovante au Burkina Faso, mais elle n’est pas particulièrement chrétienne. En parallèle avec cette approche pédagogique, le lycée propose aussi une orientation spirituelle visant au respect des différentes religions. En effet, en termes d’affiliations religieuses, le lycée accueille des élèves de différentes confessions (en 2021-2022, la répartition était la suivante : 249 catholiques, 83 protestants, 139 musulmans et 33 élèves des religions traditionnelles). L’équipe éducatrice est aussi multiconfessionnelle avec deux-tiers du staff catholiques ou chrétiens, un tiers de musulmans et quelques membres des religions traditionnelles africaines. La diversité confessionnelle de l’équipe d’encadrement est elle-même un instrument d’éducation au dialogue inter-religieux[13].
  • Plus que la tolérance, le projet éducatif de saint Luc vise l’acceptation de l’autre dans sa différence de foi. L’idée de tolérance sous-entend une résistance alors que celle de l’acceptation suppose une adhésion libre et volontaire. A saint Luc, cette adhésion libre et volontaire est matérialisée par un contrat signé par le parent de l’élève, l’élève et le proviseur. La spécificité du projet éducatif est expliquée au parent et au nouvel élève. Il est clairement mentionné que les activités pastorales font partie intégrante du projet de l’établissement. Il s’agit notamment de la prière chrétienne catholique dite au début et à la fin des cours, des messes au sein de l’établissement, de l’instruction du cours de religion et du cours de culture africaine comme matières spécifiques, ainsi que de l’existence de mouvements d’action catholique et l’existence du comité de dialogue inter-religieux. Deux activités en particulier sont importantes pour l’approche spirituelle du lycée visant au respect mutuel des élèves de différentes religions : le cours d’instruction religieuse et le comité « Balimaya ».
  • Le cours d’instruction religieuse obligatoire pour tous est dispensé pendant tout le cursus de l’élève. Au premier cycle, il est essentiellement axé sur la connaissance des différentes religions en l’occurrence le christianisme, l’Islam et la religion traditionnelle africaine communément appelée animisme. L’objectif est de faire découvrir l’histoire, les valeurs, et la pratique religieuse de chaque religion. Au second cycle, un regard plus critique est jeté sur les religions avec une insistance sur leur contribution à la paix et à la cohésion sociale. Une ouverture est faite aux autres religions du monde (bouddhisme, hindouisme, etc.). Ce cours est dispensé par des enseignants ayant une formation sur le fait religieux, capables d’une certaine ouverture d’esprit. Le prosélytisme ou l’apologie d’une quelconque religion par rapport à une autre est strictement interdite.

L’autre instrument pédagogique pour la promotion du dialogue entre religions est le comité « Balimaya ». Il est composé d’élèves représentant les différentes religions. Son rôle est de représenter l’ensemble des élèves au niveau des différents évènements spécifiques à une religion. Il s’agit essentiellement du temps du carême, du jeûne musulman, et des différentes fêtes chrétiennes et musulmanes. Par exemple, au début du carême, les musulmans souhaitent à tous les chrétiens en présence des musulmans un bon temps de carême. Le mot ou message est lu par un élève musulman. Il en est de même pour le jeûne du Ramadan où c’est un chrétien qui lit le message. Par ailleurs, un geste commun de solidarité est posé chaque année par les élèves chrétiens et musulmans à la fin du carême et du jeune du Ramadan (récemment, ce fut un don à un orphelinat de la place).

Plus généralement, pour permettre une expression de sa foi chrétienne (pour les élèves catholiques ou chrétiens) sans l’imposer aux autres qui sont invités à la respecter, le lycée applique le principe de la participation pour les chrétiens et celle de l’assistance pour les autres. Le résultat est l’acceptation de l’autre dans sa différence de croyance et de pratique confessionnelle. Au niveau des élèves non-chrétiens, surtout ceux qui intègrent l’établissement pour la première fois, une certaine méfiance et parfois une résistance quant à la participation passive à la prière chrétienne est observée. Cette résistance, de façon générale, disparait lorsque le climat de confiance et de respect s’installe. La plupart des élèves terminent leur cursus scolaire fidèles à leur propre religion (il y a peu de conversions et ces conversions ne sont certainement pas un objectif) avec un esprit ouvert aux autres confessions.

  • L’école catholique dans sa vocation d’éduquer « tout homme et tout l’homme » doit offrir aux élèves cette possibilité d’ouverture et de dialogue entre les religions. Dans un contexte national au Burkina Faso et international de la montée de l’extrémisme religieux, il est plus que jamais nécessaire de promouvoir dans les structures éducatives l’éducation au dialogue interreligieux. Cette éducation n’est pas synonyme d’un renoncement à son identité culturelle ou religieuse. Elle est ouverture à l’autre, tel qu’il est, acceptation de l’autre tel qu’il croit. Dans un contexte social multiconfessionnel tel que celui du Burkina Faso, il est indispensable de mettre au cœur de tout projet éducatif le souci de découvrir l’autre dans son rapport à la transcendance. Tout en ne renonçant pas à son identité religieuse ou en ne la comprimant pas dans une sphère privée, au Lycée Saint Luc on l’exprime et on apprend à découvrir et à respecter celle des autres. On apprend à bien croire pour mieux vivre ensemble. C’est la foi au service de la cohésion sociale, une arme contre l’extrémisme dans le monde.

Conclusion

Malgré d’importants progrès au cours des vingt dernières années, le Burkina Faso a encore des taux d’achèvement très faibles au niveau primaire et plus encore au niveau du secondaire. De nombreux élèves ne sont jamais inscrits à l’école ou sont victimes du décrochage scolaire. La première partie de cet article a fourni une analyse des facteurs menant à la non-scolarisation et au décrochage scolaire au Burkina Faso sur base des données d’une enquête auprès des ménages représentative au niveau national. Conceptuellement, les facteurs limitant la scolarité comprennent le manque d’accès à l’école, les coûts directs et d’opportunité, les normes sociales dont celles basées sur le genre, le manque d’apprentissage (surtout au primaire) et le manque de programmes pour retourner à l’école ou, comme alternative, s’engager dans des programmes d’éducation non formelle.

Les résultats de l’analyse suggèrent qu’au Burkina Faso, le manque de moyens financiers et la préférence pour le travail ainsi que le fait que les parents considèrent que leurs enfants ont terminé leurs études sont des facteurs majeurs contribuant au décrochage scolaire au niveau du secondaire. Ces statistiques suggèrent que pour au moins une partie de la population, la poursuite de la scolarité peut ne pas apporter suffisamment d’intérêt pour en justifier le coût (direct ou d’opportunité), ou peut-être la valeur potentielle de la poursuite des études n’est pas intériorisée. L’un des facteurs pouvant mener à ces perceptions est le fait que le curriculum reste souvent trop théorique. D’après le Secrétaire Général de l’enseignement catholique, les écoles, y compris les écoles catholiques, devraient promouvoir un lien plus fort de leur enseignement avec la vie réelle, de sorte que les élèves soient mieux équipés pour le marché du travail. Un autre défi mentionné par le Secrétaire Général de l’enseignement catholique est la montée de l’extrémisme intégriste avec des attaques dans certaines parties du pays menant à la fermeture d’un grand nombre d’écoles.

Comment répondre à ces défis ? La seconde section de l’article a été consacrée à une étude de cas sur les modes d’orientation pédagogique et spirituelle au Lycée privé catholique Saint Luc au Burkina Faso. Créé en 2012, le lycée a eu un succès remarquable en termes de taux de succès de ses étudiants au BEPC et au BAC. Sans pouvoir établir un lien causal, il est vraisemblable que les pratiques d’orientation du lycée y ont contribué. Ces pratiques incluent sur le plan pédagogique un support aux étudiants pour choisir la filière qui leur convient le mieux, ainsi que de nombreux ateliers orientés vers la pratique des professions.

Selon le ministère de l’éducation nationale, de l’alphabétisation et de la promotion des langues nationales, de nombreux cas d’abandon scolaire sont liés à plusieurs raisons comme l’orpaillage, les grossesses précoces, le mariage précoce, le redoublement scolaire et le mauvais climat scolaire.  La politique d’orientation du lycée saint Luc permet d’amoindrir le risque de décrochage en optimisant la possibilité de l’apprenant de passer en classe supérieure. En effet, en aidant l’élève à choisir sa série en adéquation avec ses aptitudes naturelles, cela réduit considérablement le risque de redoublement. Étant dans une série dont il a les aptitudes, l’élève obtient généralement la moyenne de passage en classe supérieur et termine sans difficultés majeurs son cycle secondaire avec l’admission au BAC. Par ailleurs, lorsque l’élève a les aptitudes minimales requises, cela facilite la persévérance scolaire en le mettant à l’abri de très mauvaises notes qui finissent souvent par lui faire perdre l’estime de soi. Le taux très faible d’abandon scolaire et de redoublement à saint Luc témoignent de cette persévérance.

De plus, dans un contexte multiconfessionnel, le lycée introduit les étudiants au respect mutuel de l’autre dans ses croyances. Cela se réalise entre autres via le cours d’instruction religieuse et le comité « Balimaya » qui vise à encourager les élèves d’une religion à célébrer la pratique religieuse des élèves d’une autre religion. Ces diverses activités sont importantes dans un contexte où il y a une montée de l’extrémisme dans une petite frange de la population, mais avec des conséquences dramatiques pour une partie du pays, y compris au niveau des écoles.  Bien que les pratiques d’orientation pédagogique et spirituelle au Lycée Saint Luc aient été discutées séparément dans cet article, elles se renforcent l’une et l’autre via la promotion d’un climat d’excellence qui est aussi respectueux des différentes traditions dans lesquelles les élèves ont grandi tant à la maison que dans leur communauté.

En effet, l’éducation à l’acceptation de l’autre malgré sa différence confessionnelle, cette politique éducative joue positivement sur le climat scolaire. L’ouverture à la tolérance instaure un climat de convivialité, de respect de soi, de fraternité et d’amitié entre les apprenants. Ce climat de convivialité développe le sentiment d’appartenance au groupe et impacte positivement sur le rendement scolaire. Les activités comme les visites rendues aux différentes familles lors des différentes fêtes ou des évènements malheureux ou heureux renforcent le sentiment d’appartenance au groupe et le climat de fraternité.

La politique d’orientation et l’éducation à l’acceptation de l’autre malgré sa différence confessionnelle sont deux aspects complémentaires du projet éducatif Saint Luc qui participent à la lutte contre le décrochage et l’abandon scolaire. L’offre éducative intégrée du lycée prépare les élèves de façon tant professionnelle que spirituelle. Les pratiques du Lycée Saint Luc sont innovatrices et prometteuses, et pourraient être adoptées dans d’autres établissements.

Bibliographie

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Pour citer cet article

Référence électronique

Alexandre Bingo et Quentin Wodon, « Lutte contre le décrochage scolaire et orientation des étudiants : l’orientation pédagogique et spirituelle au Lycée Saint Luc au Burkina Faso », Educatio [En ligne], 13| 2022. URL : https://revue-educatio.eu

Droits d’auteurs

Tous droits réservés

 

[1] Alexandre Bingo est proviseur du Lycée Saint Luc au Burkina Faso. Quentin Wodon est Lead Economist à la Banque mondiale et dans le cadre de son volontariat responsable du projet Global Catholic Education. L’analyse et les opinions exprimées dans cet article n’engagent que les auteurs et non pas la Banque mondiale, ses directeurs exécutifs ou les pays qu’ils représentent.

[2] Secretariat of State [of the Vatican]. Annuarium statisticum Ecclesiae 2018 / Statistical yearbook of the Church 2018 / Annuaire statistique de l’Eglise 2019. Vatican City: Libreria Editrice Vaticana, 2021.

[3] Kiemde, Hubert. « Entretien avec l’abbé Hubert Kiemde, Secrétaire Général des écoles catholiques au Burkina Faso. » Global Catholic Education Interview Series. Washington, DC: Global Catholic Education, 2021.

[4] Comme le note le Père Hubert Kiemde, op cit. « tous les enfants qui arrivent dans l’enseignement catholique savent qu’ils ont l’obligation de se comporter différemment. Il en est de même pour les enseignants et le personnel administratif. »

[5] Sur la motivation à envoyer les enfants dans différents types d’écoles, y compris les écoles catholiques ou chrétiennes au Burkina Faso, voir Gemignani, Regina, Mary Sojo, et Quentin Wodon. “What Drives the Choice of Faith-inspired Schools by Households? Qualitative Evidence from Two African Countries,” Review of Faith & International Affairs, no. 12(2) (2014): 66-76. https://doi.org/10.1080/15570274.2014.918748. Voir aussi Gemignani, Regina et Quentin Wodon. “Gender Roles and Girls’ Education in Burkina Faso: A Tale of Heterogeneity between Rural Communities,” American Review of Political Economy, no. 11(2) (2017): 163-75. https://doi.org/10.38024/arpe.142. Au Burkina Faso, les écoles catholiques sont principalement des écoles privées dans lesquelles les performances des élèves sont en moyenne meilleures que dans les autres écoles. Dans certains autres pays africains où de nombreuses écoles catholiques sont des écoles publiques, les performances des élèves ne sont pas nécessairement meilleures (pour une analyse pour l’Ouganda, voir Wodon, Quentin et Clarence Tsimpo. “Not All Catholic Schools Are Private Schools: Does It Matter for Student Performance?” International Studies in Catholic Education, no. 13(2) (Fall 2021): 175-189. https://doi.org/10.1080/19422539.2021.2010457).

[6] Sur la mission des écoles catholiques, voir Congregation for Catholic Education. The Catholic School. Vatican City: Libreria Editrice Vaticana, 1977. Voir aussi Congregation for Catholic Education. Educating to Fraternal Humanism: Building a “Civilization of LovL” 50 Years after Populorum Progressio. Vatican City: Libreria Editrice Vaticana, 2017. Sur le pluralisme religieux et le rôle de l’éducation religieuse pour sa sauvegarde, voir Seligman, Adam B., ed. Religious Education and the Challenge of Pluralism. Oxford: Oxford University Press, 2014. Sur la taille des réseaux des écoles catholiques en Afrique et dans le monde, voir Wodon, Quentin. Global Catholic Education Report 2021: Education Pluralism, Learning Poverty, and the Right to Education. Washington, DC: Global Catholic Education, 2021. Sur les écoles catholiques au Burkina Faso, voir Compaoré, Maxime. « La refondation de l’enseignement catholique au Burkina Faso, » Cahiers d’Études Africaines, no. 169-170 (Janvier 2003): 87-98. https://doi.org/10.4000/etudesafricaines.191. Enfin, sur les perspectives des dirigeants de l’éducation catholique en Afrique, y compris au Burkina Faso (c’est-à-dire l’entretien mentionné avec le Père Kiemde), voir Wodon, Quentin, ed. Catholic Education in Africa and the Middle East: Perspectives from National Leaders, Washington, DC: Global Catholic Education, 2021.

 

[7] World Bank. World Development Report 2018: Learning to Realize Education’s Promise. Washington, DC: The World Bank, 2018.

[8] World Bank. Ending Learning Poverty: What Will It Take? Washington, DC: The World Bank, 2019.

[9] Malé, Chata et Quentin Wodon. « Facteurs menant à la non-inscription à l’école et au décrochage scolaire en Afrique de l’Ouest. » Mimeo, Washington, DC: The World Bank, 2022.

[10] World Bank, 2018, op.cit.

[11] Cette section est en partie adaptée de Bingo, Alexandre. “Catholic Education and the Challenge of Religious Pluralism: The Private Catholic High School Saint Luc in Burkina Faso.” Journal of Global Catholicism, no. 6(2) (Spring 2022) : 16-43.

[12] Pour une discussion plus détaillée de l’approche spirituelle du lycée, voir Bingo, 2022, op cit.

[13] Les recherches sur les perceptions des enseignants vis-à-vis de la diversité religieuse dans les pays européens montrent comment les expériences personnelles des enseignants et les facteurs socio‐culturels plus larges ainsi que les normes nationales façonnent leurs réponses à la diversité (voir par exemple Everington, Judith, Ina ter Avest, Cok Bakker, et Anna van der Want. “European religious education teachers’ perceptions of and responses to classroom diversity and their relationship to personal and professional biographies,” British Journal of Religious Education, no. 33(2) (2011): 241-256. https://doi.org/10.1080/01416200.2011.546669). La diversité des enseignants et leur respect des différentes religions peuvent être un atout pour l’éducation religieuse, comme le suggère une étude des perceptions des élèves dans un lycée juif américain (Finefter-Rosenbluh, Illana et Lotem Perry-Hazan. “Teacher diversity and the right to adaptable education in the religiously oriented school: What can we learn from students’ perceptions?”, Youth & Society, no. 50(5) (2018): 615–635. https://doi.org/10.1177/0044118X15621224). L’avantage d’avoir des enseignants de différentes religions est également noté dans une étude de cas sur une école finlandaise (Kimanen, Anuleena. “Truth claims, commitment and openness in Finnish Islamic and Lutheran religious education classrooms,” Issues in Educational Research, no. 29(1) (2019): 141-157.  http://www.iier.org.au/iier29/kimanen.pdf). Voir sur ces questions pour l’Indonésie Parker, Lyn. “Religious education for peaceful coexistence in Indonesia?” South East Asia Research, no. 22(4) (2014): 487-504. https://www.jstor.org/stable/43818549. Voir aussi pour l’Afrique du Sud Chidester, David. “Religion education in South Africa: Teaching and learning about religion, religions, and religious diversity.” British Journal of Religious Education, no. 25(4) (2003), 261-278. https://doi.org/10.1080/0141620030250402.

 

Résumé : l’orientation scolaire et professionnelle est une préoccupation de toutes les écoles. Chaque école se soucie d’orienter ses élèves vers des débouchés professionnels prometteurs et utiles. Cependant, la question des valeurs doit aussi être posée, en particulier dans les écoles chrétiennes. Dans une société aux repères parfois incertains, mais où la quête de sens reste primordiale, la question de l’accompagnement non seulement professionnel mais aussi spirituel des élèves se pose. Cet article décrit l’approche de l’orientation pédagogique et spirituelle au Lycée Saint Luc au Burkina Faso. Dans un premier temps, pour ancrer l’analyse dans le contexte du pays, une analyse sur des données d’enquêtes auprès des ménages illustre les défis auquel le système éducatif fait face, avec un accent sur les facteurs menant au décrochage scolaire. Ensuite, après une présentation de quelques caractéristiques du Lycée Saint Luc, l’article discute des innovations proposées par le lycée en matière d’orientation tant pédagogique que spirituelle, dans ce dernier cas en tenant compte du pluralisme religieux qui caractérise le pays.

Mots-clés : écoles catholiques ; Burkina Faso ; décrochage scolaire ; pluralisme religieux ; orientation pédagogique ; orientation spirituelle.

Introduction

L’Église catholique a une présence limitée, mais néanmoins importante dans le secteur de l’éducation au Burkina Faso. Selon les données de l’annuaire statistique de l’Église[2], il y avait en 2018 366 écoles catholiques dans le pays (63 écoles maternelles, 176 écoles primaires et 127 écoles secondaires) servant plus de 100 000 étudiants (9 263 au préscolaire, 53 482 au primaire, et 43 026 au secondaire). Comme le mentionne dans un récent interview le Père Hubert Kiemde[3], le Secrétaire Général de l’enseignement catholique au Burkina Faso, les écoles catholiques ont une bonne réputation dans le pays, pour plusieurs raisons : l’unité et la solidarité entre responsables qui facilite le dialogue avec l’État ;  une certaine discipline et rigueur dans le travail[4] ; l’attention à l’éducation des esprits des élèves ; la bonne réputation auprès des parents[5]; et de bons résultats scolaires, supérieurs à la moyenne nationale dans la plupart des écoles catholiques.

Quelles sont les domaines où il faudrait probablement améliorer la qualité de l’enseignement dans les écoles catholiques ? Le Père Kiemde suggère qu’il y a trop de théorie et pas assez de formation pratique et d’esprit critique. La priorité serait : « l’employabilité des sortants de nos écoles et établissements ; il nous faut aller vers plus de science, plus de technique et plus de professionnel dans nos offres d’éducation. » Le Père Kiemde suggère qu’il en est de même pour le domaine du numérique : « Il faudra trouver le moyen pour améliorer l’enseignement des sciences et familiariser davantage les élèves à l’outil informatique. » De plus, il milite pour davantage de liens « entre la vie réelle et ce qui est enseigné en classe. Les élèves se retrouvent peu outillés pour affronter le monde du travail. »

En termes de risques pour l’enseignement catholique, le Père Kiemde note le souci du financement public. Vu la capacité limitée des familles à couvrir les charges de fonctionnement des écoles, le support de l’État est nécessaire. Mais dans un contexte budgétaire difficile, l’État risque de baisser ses subventions, ce qui pourrait affecter la soutenabilité des écoles dans les zones pauvres, surtout en campagne. Un autre enjeu est la montée de l’intégrisme qui provoque la fermeture d’écoles dans les zones affectées. Le Burkina Faso a une longue tradition d’harmonie entre populations de différentes confessions vivant ensemble avec tolérance, mais comme c’est le cas plus largement pour le Sahel, la montée du terrorisme a entraîné des défis majeurs. Les estimations du ministère de l’Éducation nationale, de l’alphabétisation et de la promotion des langues nationales suggèrent qu’à la fin décembre 2021, quelque 3 280 écoles (13 % des écoles du pays) ont dû rester fermées en raison de raids armés.

Enfin, en réponse à une question sur les innovations intéressantes dans des écoles catholiques, le Père Kiemde mentionne deux exemples dans son interview. Le premier est celui de l’éducation inclusive, et en particulier l’offre d’éducation pour les enfants sourds et aveugles. Le second est l’introduction d’activités pratiques périscolaires, en particulier au Lycée Saint Luc de Banfora par le proviseur (co-auteur de cet article) sont une expérience pilote suivie avec intérêt. Les innovations au Lycée privé catholique Saint Luc au Burkina Faso mentionnée par le Père Kiemde font l’objet de cet article sur l’orientation pédagogique au secondaire dans un pays à bas revenu. Ces innovations sont de deux ordres. D’une part, le lycée a mis en œuvre une série d’activités qui visent à mieux préparer et guider les élèves pour leur entrée dans la vie active. D’autres part, le lycée a aussi mis en œuvre une série de pratiques qui aident au respect mutuel des élèves de différentes confessions, ce qui est en fait l’une des missions des écoles catholiques qui ont vocation à accueillir des élèves de multiples confessions[6].

Comme le note l’appel à contribution pour ce numéro d’Educatio, l’orientation scolaire et professionnelle est une préoccupation de toutes les écoles, et non pas seulement les écoles chrétiennes. Chaque école se soucie d’orienter ses élèves vers des débouchés professionnels prometteurs et utiles. Cependant, la question des valeurs doit aussi être posée. Les articles dans ce numéro offrent une réflexion sur ce qu’une approche chrétienne peut apporter à la compréhension de l’orientation scolaire et professionnelle. En particulier, dans une société aux repères parfois incertains, mais où la quête de sens reste primordiale, la question de l’accompagnement non seulement professionnel mais aussi spirituel des jeunes se pose dans les écoles chrétiennes. L’approche particulière du Lycée Saint Luc au Burkina Faso est dans ce cadre intéressante et porteuse d’espérance.

La structure de l’article est la suivante. Pour mettre l’analyse dans le contexte du Burkina Faso pour les lecteurs qui pourraient ne pas être familier avec la situation des systèmes éducatifs au Sahel, la prochaine section est basée sur des données d’enquêtes auprès des ménages nationalement représentatives. L’analyse illustre les défis auquel le système éducatif du Burkina Faso fait face, en particulier en termes de facteurs menant au décrochage scolaire. L’importance de s’assurer que les écoles offrent des formations appropriées pour les élèves vu leur contexte est notée. La section suivante présente quelques caractéristiques du Lycée Saint Luc, puis discute des innovations proposées par le lycée en matière d’orientation tant pédagogique que spirituelle. Une brève conclusion suit.

Contexte du système éducatif et facteurs menant au décrochage

Le contexte de l’éducation au Burkina Faso reste difficile. Le pays a des taux de scolarisation et d’achèvement particulièrement faibles, comme c’est le cas pour les autres pays du Sahel. Comme le montre le Graphique 1 qui se fonde sur les données de l’Institut de la Statistique de l’UNESCO (telles que disponibles dans la base de données des indicateurs du développement de la Banque mondiale), malgré d’importants progrès au cours des vingt dernières années, les taux d’achèvement au primaire et au premier cycle du secondaire restent fort bas, avec de plus une stagnation pour la période la plus récente. Les dernières estimations disponibles suggèrent qu’en 2020, seulement 64,9 % des enfants terminent le cycle primaire. La proportion des élèves qui parviennent à terminer le secondaire du premier cycle est encore plus faible, à 41,4 %. Ces taux sont plus bas que pour l’Afrique sub-Saharienne dans son ensemble. Pour le secondaire supérieur, les statistiques de l’UNESCO ne sont pas disponibles, mais les proportions sont encore plus faibles. De plus, même pour les élèves qui sont scolarisés et achèvent leurs études, la qualité de l’enseignement est basse[7]. Les données de la Banque mondiale suggèrent qu’en 2019, 85 % des enfants de dix ans au Burkina Faso ne maîtrisaient pas la lecture, i.e. n’étaient pas capables de lire et comprendre un simple texte approprié à leur âge[8]. La crise de la pandémie de la COVID-19 a probablement encore affecté l’ensemble de ces résultats à la baisse.

Source : Base des données de la Banque mondiale.

       L’accès et le maintien à l’école restent des défis particulièrement importants pour les groupes vulnérables. Techniquement, les faibles taux d’inscription et d’achèvement peuvent être le résultat du fait que certains enfants ne vont jamais à l’école ou que des enfants abandonnent l’école prématurément. Pour analyser les contraintes auxquelles le système éducatif burkinabé fait face, le cadre conceptuel du Graphique 2 considère cinq étapes séquentielles simples qui sont nécessaires pour que les enfants aillent effectivement à l’école et apprennent suffisamment pendant qu’ils sont à l’école de sorte qu’ils puissent terminer leurs études: (1) les écoles doivent avoir la capacité d’accueillir des élèves et être accessibles; (2) les écoles doivent être abordables compte tenu des dépenses de scolarité, des opportunités et des coûts sociaux potentiels liés à l’envoi des enfants à l’école; (3) aller à l’école doit être sans risque (de violence) et les enfants doivent pouvoir s’épanouir à l’école (malheureusement, des données sur la violence à l’école ne sont pas disponibles dans l’enquête utilisée pour les estimations) ; (4) les enfants doivent être capables d’apprendre à l’école – cela se réfère non seulement aux matières académiques traditionnelles, mais aussi aux compétences socio-émotionnelles et de vie (en outre, les préférences des parents pour le type d’école et ce que les enfants devraient apprendre à l’école doit également être pris en compte); et enfin (5) les filles enceintes et mariées devraient être autorisées à rester à l’école, et pour les garçons comme pour les filles, des programmes de la deuxième chance devraient être disponibles pour les enfants en décrochage scolaire dont les circonstances ne leur permettent pas de retourner à l’école.

       En outre, le Graphique 2 met également en évidence le fait que des processus nationaux ou infranationaux adéquats (tels que la préparation de diagnostics, l’organisation de consultations, l’adoption d’une stratégie et la mobilisation) sont nécessaires pour éclairer les interventions liées à chacune de ces cinq étapes. Cela s’applique aux écoles publiques, mais probablement aussi aux écoles du réseau catholique. Des données sur les raisons déclarées par les parents pour lesquelles leurs enfants n’ont jamais été inscrits à l’école ou ont abandonné l’école de façon prématurée sont disponibles dans une enquête auprès des ménages de l’UEMOA de 2018-19 à laquelle le Burkina Faso a participé (l’enquête harmonisée sur les conditions de vie des ménages ou EHCVM). Une analyse multi-pays de ces données a été réalisée séparément[9]. Ici, l’accent est porté sur les résultats obtenus avec les données de l’enquête pour le Burkina Faso.

Graphique 2 : Cadre conceptuel améliorer les taux de scolarité

Source : Wodon (2022).

Raisons mentionnées par les parents pour la non-scolarité

       Considérons d’abord le fait que certains enfants ne sont pas inscrits à l’école, même au primaire. À partir des données de l’EHCVM 2018-2019, le Tableau 1 catégorise les raisons évoquées par les parents pour expliquer pourquoi (lorsque c’est le cas) leurs enfants n’ont jamais été inscrits à l’école. L’analyse porte sur les enfants de 7 à 12 ans car après 12 ans, il est très peu probable que les enfants aillent à l’école (certains parents dont les enfants sont plus jeunes dans cette tranche d’âge peuvent encore envoyer leurs enfants à l’école à un âge plus avancé, donc les estimations ne sont que suggestives.) L’enquête comprend 14 réponses potentielles des parents. Les modalités des réponses étant détaillées, les données sont probablement un bon indicateur de l’importance relative des différents facteurs conduisant au manque de scolarisation initiale à l’école primaire.

Les 14 modalités ont été regroupées en cinq catégories dans le Tableau, suivant le cadre conceptuel du Graphique 2.

  • Manque d’accessibilité des écoles : Deux raisons pour ne jamais s’inscrire sont incluses dans cette catégorie : (1) le fait qu’il n’y a pas d’écoles ou qu’elles sont situées trop loin, et (2) le fait que les enfants peuvent être malades ou handicapés (le manque d’accessibilité des écoles pour les enfants handicapés peut être l’une des raisons pour lesquelles ces enfants ne se sont jamais inscrits). Les estimations suggèrent que le manque d’accessibilité des écoles et le handicap contribuent à ce que certains enfants ne s’inscrivent jamais, car ces raisons représentent environ un cas sur dix de non-scolarisation.
  • Dépenses de scolarité et coûts d’opportunité : Cinq raisons mentionnées par les parents sont incluses dans cette catégorie: (1) les dépenses de scolarité sont trop élevées; (2) les parents manquent de moyens financiers pour envoyer leurs enfants à l’école; (3) l’enfant (ou la famille) peut avoir une préférence pour que l’enfant travaille, ce qui peut indiquer un coût d’opportunité de la scolarité; (4) l’enfant est impliqué dans des travaux agricoles (plus vraisemblablement pour les garçons); et (5) l’enfant est impliqué dans les tâches ménagères (c’est plus souvent plus le cas pour les filles). La question du coût est très importante, car c’est la cause de la non-inscription pour quatre enfants sur dix qui ne sont pas inscrits.
  • Normes sociales : Trois raisons sont réunies dans cette catégorie : (1) l’enfant est trop jeune pour aller à l’école (ce qui ne s’applique qu’au niveau primaire) ; (2) la famille n’est pas disposée à laisser l’enfant aller à l’école, ce qui pourrait être lié aux normes sociales, par exemple en matière de genre ; et (3) le sexe (« c’est une fille »). Les normes sociales ainsi définies représentent près de quatre cas sur dix des enfants ne s’inscrivant jamais à l’école, avec une proportion légèrement plus élevée pour les filles. Cependant, étant donné que d’autres facteurs peuvent conduire à une réticence des parents à inscrire leurs enfants, cela peut surestimer le rôle des normes sociales qui ont conduit certains enfants à ne jamais s’inscrire.
  • Manque d’apprentissage : Deux raisons sont regroupées dans cette catégorie : (1) les études ne sont pas adaptées à l’enfant (selon la perception des parents) ; et (2) les études ne sont pas utiles. Ces perceptions négatives de la capacité probable des enfants à acquérir des compétences utiles à l’école représentent assez peu de cas de non-inscription selon l’enquête.
  • Autres raisons : Deux raisons sont regroupées dans cette catégorie : (1) l’insécurité ; et (2) la modalité des « autres raisons ». Ces deux raisons représentent une part non négligeable des cas de non-scolarité (surtout pour les « autres » raisons qui ne sont pas explicitées).

 

Dans l’ensemble, le coût, les normes sociales et dans certains cas le manque d’écoles (primaires) disponibles à proximité sont les principales raisons qui poussent les parents à ne pas inscrire certains enfants à l’école. Les différences quant aux résultats obtenus pour les filles et garçons sont typiquement faibles et non statistiquement significatives. À noter que la proportion d’enfants âgés de 7 à 12 ans qui ne se sont jamais inscrits à l’école est assez élevée, avec près d’un tiers des enfants affectés. Comme mentionné précédemment, certains des enfants pris en compte pour l’analyse dans la tranche d’âge de 7 à 12 ans (en particulier de 7 à 8 ans) peuvent encore s’inscrire à l’école plus tard. Néanmoins, un grand nombre d’enfants ne s’inscrivent jamais à l’école, et beaucoup s’inscrivent tardivement, ce qui est susceptible d’avoir un impact négatif sur la probabilité qu’ils achèvent le secondaire ou même l’école primaire.

 

Tableau 1 : Raisons mentionnées par les parents pour ne pas avoir inscrit leurs enfants à l’école (%)

Sexe Garçons Filles
Écoles non accessibles
Pas d’école/distance 7.6 6.7
Malade/handicap 2.2 2.2
Total 9.8 8.9
Coût d’opportunité
Coût trop élevé 0.4 0.3
Manque de moyens 20.7 22.6
Préférence pour le travail 0.6 0.3
Travaux agricoles 17.4 7.7
Tâches domestiques 1.0 9.3
Total 40.1 40.1
Normes sociales
Trop jeune 1.7 1.7
La famille ne veut pas inscrire l’enfant 35.1 33.7
Sexe (fille) 0.0 3.2
Total 36.8 38.6
Manque d’apprentissage
Études non adaptées 2.7 1.4
Études inutiles 2.1 2.1
Total 4.8 3.5
Autres raisons
Insécurité 2.1 2.3
Autres 6.4 6.5
Total 8.5 8.8
Toutes les raisons 100.0 100.0

Source : Auteurs sur base de l’enquête EHCVM 2018-19. Voir Malé et Wodon (2022) pour l’analyse multi-pays.

Raisons mentionnées par les parents pour le décrochage scolaire

Qu’en est-il pour les enfants qui abandonnent l’école après avoir été inscrits au primaire ? En utilisant la même logique que pour les raisons de non-scolarisation, le Tableau 2 catégorise les raisons mentionnées par les parents pour expliquer pourquoi leurs enfants ont abandonné l’école par niveau d’éducation, en considérant séparément l’enseignement primaire, le premier cycle du secondaire et le second cycle du secondaire. Différentes questions sont posées dans l’enquête sur les abandons, selon que cela a eu lieu au cours d’une année scolaire ou entre les années scolaires. Étant donné que les modalités des réponses potentielles sont plus détaillées pour les abandons entre les années scolaires et que ces cas sont également plus probables, c’est la question spécifique utilisée pour les estimations. Là encore, l’enquête comprend de nombreuses (17) réponses potentielles des parents, de sorte que les données sont probablement un bon indicateur de l’importance relative des divers facteurs menant aux abandons.

Les 17 modalités diffèrent légèrement de celles liées au fait de ne jamais s’inscrire, mais elles ont été regroupées selon les cinq mêmes grandes catégories.

  • Manque d’accessibilité des écoles : les deux mêmes raisons d’abandon sont incluses dans cette catégorie comme ce fut le cas pour les non-inscriptions. En règle générale, le manque d’accessibilité des écoles ne semble pas être une raison majeure pour laquelle les enfants abandonnent, car les raisons associées sont généralement citées par moins de 3 % des garçons et des filles à tous les niveaux de scolarité. Notez que la question est posée ici aux parents des enfants qui sont déjà allés à l’école, ce qui implique que dans une certaine mesure, les écoles étaient déjà disponibles, au moins pour le primaire. Par conséquent, cela ne signifie pas que plus d’écoles ou des écoles plus proches du lieu de résidence des élèves ne sont pas nécessaires. Mais il s’agit d’une contrainte de second ordre par rapport à d’autres raisons menant à des abandons parmi les enfants qui ont été inscrits au primaire.
  • Dépenses de scolarité et coût d’opportunité : les cinq mêmes raisons mentionnées par les parents lorsqu’ils examinent les raisons de ne jamais s’inscrire sont incluses dans cette catégorie. À tous les niveaux, le coût est clairement l’une des principales raisons du décrochage scolaire, représentant entre un quart et plus de 60 % des abandons selon le niveau scolaire et le genre. De toute évidence, des interventions peuvent être nécessaires pour réduire le coût (direct et d’opportunité) de la scolarisation, même si les écoles publiques sont en principe gratuites et les écoles catholiques bénéficient de certaines aides publiques.
  • Normes sociales : six raisons sont combinées dans cette catégorie. Outre les raisons déjà identifiées pour les enfants qui ne s’inscrivent jamais, trois autres raisons sont liées aux abandons : (1) l’enfant a terminé ses études (ce qui peut dénoter un manque de valeur perçue pour la poursuite de la scolarisation de l’enfant) ; (2) l’enfant (ou la famille de l’enfant) désire un mariage ; et (3) la jeune fille a eu une grossesse. Le rôle des normes sociales est, comme on pouvait s’y attendre, plus élevé pour les filles que les garçons, mais avec quelques différences dans les facteurs selon le niveau de scolarité (par exemple, le désir de se marier et le risque de grossesse sont des facteurs plus importants dans le secondaire inférieur que dans le primaire ou le secondaire supérieur, dans ce dernier cas probablement en partie parce que les enfants scolarisés sont de milieux plus aisés). Dans l’ensemble, si les contraintes de coût d’opportunité sont plus importantes pour les garçons que pour les filles, les normes sociales importent plus pour les filles que pour les garçons.
  • Manque d’apprentissage : en plus des deux modalités incluses lorsque l’on considère les enfants qui ne se sont jamais inscrits à l’école, une troisième modalité est incluse pour les abandons : l’enfant a abandonné ou a échoué (à un examen). Le fait que l’abandon et l’échec soient combinés en une seule modalité pour les réponses parentales peut conduire à surestimer le rôle du manque d’apprentissage, car d’autres raisons peuvent avoir conduit à un abandon. Cela dit, ces autres raisons sont prises en compte par les autres modalités de réponse, de sorte que cette modalité est susceptible de représenter des problèmes liés à l’apprentissage. À tous les niveaux, mais surtout au niveau du primaire, les résultats sont frappants pour mettre en évidence la nécessité d’améliorer la qualité de l’enseignement dispensé puisque le manque d’apprentissage représente dans certains cas près de la moitié des abandons. Un meilleur apprentissage pourrait peut-être également réduire le rôle des autres facteurs de décrochage. Par exemple, les coûts directs et d’opportunité de la scolarisation peuvent être plus supportables pour les ménages si les enfants apprennent mieux à l’école. L’accent mis sur la nécessité pour les enfants d’apprendre à l’école a été souligné dans le rapport de la Banque mondiale sur la crise de l’apprentissage[10].
  • Autres raisons : le questionnaire sur les raisons d’abandon n’identifie pas le problème de l’insécurité, mais il comporte une modalité « autres raisons ». Ces autres raisons peuvent être assez variées dans les réponses ouvertes, mais elles ne représentent qu’une petite part des abandons, comme ce fut également le cas pour les enfants qui n’ont jamais été inscrits.

 

Tableau 2 : Raisons mentionnées par les parents pour le décrochage scolaire de leurs enfants par niveau d’éducation (%)

Primaire Secondaire inférieur Secondaire supérieur
Sexe Garçons Filles Garçons Filles Garçons Filles
Écoles non accessibles
Pas d’école/distance 1.0 0.3 0.9 0.1 0.0 0.1
Malade/handicap 1.2 2.1 1.3 0.7 0.4 1.0
Total 2.2 2.3 2.1 0.8 0.4 1.1
Coût d’opportunité
Coût trop élevé 0.5 0.6 0.5 0.7 0.1 0.0
Manque de moyens 15.2 13.6 23.1 14.6 15.6 4.0
Préférence pour le travail 11.3 4.0 23.6 15.9 46.5 40.5
Travaux agricoles 5.2 1.3 1.5 0.6 0.4 0.2
Tâches domestiques 0.3 5.5 0.0 2.5 0.0 0.3
Total 32.6 25.0 48.7 34.4 62.5 44.9
Normes sociales
Trop jeune 3.7 4.0 0.0 0.0 0.0 0.0
Études terminées 4.5 4.8 9.3 10.3 20.9 28.8
La famille ne veut pas 3.6 5.0 0.5 1.6 0.0 0.3
Désir de se marier 0.0 3.6 0.2 6.6 0.0 1.8
Sexe (« c’est une fille ») 0.0 0.4 0.0 0.1 0.0 0.1
Grossesse 0.0 0.1 0.0 4.7 0.0 6.2
Total 11.7 17.8 10.0 23.3 20.9 37.1
Manque d’apprentissage
Études non adaptées 1.3 0.6 0.5 0.6 0.0 0.3
Études inutiles 2.6 2.0 1.1 1.1 0.1 0.0
Abandon/échec 45.4 46.6 36.0 37.3 11.7 15.5
Total 49.3 49.2 37.7 39.0 11.8 15.8
Autres raisons
Autres 4.1 5.6 1.4 2.5 4.4 1.1
Toutes les raisons 100.0 100.0 100.0 100.0 100.0 100.0

Source : Auteurs sur base de l’enquête EHCVM 2018-19. Voir Malé et Wodon (2022) pour l’analyse multi-pays.

L’analyse des données de l’enquête ECVHM de 2018-19 montre que de multiples facteurs mènent au décrochage scolaire, et que ce décrochage est assez systématique. En effet, outre les facteurs mentionnés au Tableau 2, il faut souligner que parmi les enfants inscrits au primaire, un tiers n’achèvent pas le cycle (35.3 % pour les garçons et 29 % pour les filles). Ensuite, parmi les enfants terminant leurs études primaires, près de quatre sur dix ne complètent pas le secondaire inférieur (42.2 % pour les garçons et 38.5 % pour les filles). Enfin, parmi les enfants terminant le secondaire inférieur, près de la moitié ne terminent pas le secondaire supérieur (50.4 % pour les garçons et 40.3 % pour les filles). Bien que ces taux soient estimés au niveau national, il est clair que les écoles catholiques peuvent aussi avoir des difficultés.

L’orientation pédagogique et spirituelle au Lycée Saint Luc

L’objectif de la section précédente était de donner quelques points de repère statistiques sur les difficultés rencontrées au Burkina Faso pour permettre aux enfants d’être scolarisés et de le rester jusqu’à leur majorité. Au niveau du primaire, la crise de l’apprentissage amène une part considérable des enfants à ne pas terminer le cycle suite à l’échec scolaire et l’abandon qui en résulte. Au niveau du secondaire, l’analyse suggère que le manque de moyens financiers et surtout la préférence pour le travail (plutôt que de poursuivre des études) ou le fait que les parents considèrent que leurs enfants ont terminé leurs études sont des facteurs majeurs contribuant au décrochage scolaire. Pour les adolescentes, les normes sociales dont le mariage des enfants qui reste fort prévalent et l’implication des grossesses jouent aussi un rôle important pour le décrochage scolaire au secondaire.

Les statistiques au niveau du secondaire en particulier reflètent une perception, au moins au sein d’une partie de la population, que la poursuite de la scolarité peut ne pas apporter suffisamment d’intérêt pour en justifier le coût (direct ou d’opportunité). Comme le note le Père Kiemde dans l’entretien mentionné précédemment, le curriculum qui est enseigné dans les écoles reste trop théorique. Il faudrait que les écoles, y compris les écoles catholiques, aient un lien plus fort avec la vie réelle de sorte que les élèves soient mieux équipés pour affronter le marché du travail. Si les écoles ne forment pas leurs élèves en tenant compte des réalités quant aux options d’emploi, les taux de décrochage demeureront élevés, et la contribution des élèves à leur famille future et à leur communauté en sera affectée. Dans cette section, l’approche du Lycée Saint Luc est décrite pour montrer comment l’orientation peut aider les élèves à bien choisir leurs séries et à amoindrir le risque de décrochage. Après une présentation de quelques caractéristiques du lycée, les aspects pédagogiques de l’orientation sont discutés. De plus, les aspects spirituels du projet éducatif sont discutés, ce qui est important face à la montée de l’extrémisme.

Quelques caractéristiques du Lycée Saint Luc[11]

Le Lycée Saint Luc de Banfora a vu le jour en septembre 2012 suite à la volonté de l’évêque et du directeur diocésain de créer dans la ville de Banfora un établissement de référence et de qualité. Banfora est une ville au sud-ouest du pays avec une population d’environ 120 000 habitants. C’est la sixième ville la plus peuplée du pays, à 85 kilomètres de Bobo-Dioulasso, la seconde ville du pays. Le lycée Saint Luc a accueilli 503 élèves à la rentrée scolaire 2020-2021 (248 garçons et 255 filles). Depuis que des élèves se sont présentés au Brevet d’études du premier cycle du second degré (BEPC, depuis 2016) et au baccalauréat (BAC, depuis 2019), le lycée a obtenu chaque année les meilleurs taux de succès (près de 100 % chaque année) au niveau de la région où il est implanté. La devise du lycée est « l’amour du travail dans la discipline et la persévérance ». Quand on arrive à faire en sorte qu’un apprenant aime ce qu’il apprend, il le fait bien et il est prêt à faire les sacrifices dans la durée pour apprendre. Un hymne a été composé à partir de la devise. Cet hymne est chanté par tous les élèves à la descente et à la montée des couleurs en début et à la fin de la semaine durant toute l’année.

  • Les élèves sont encadrés par 57 personnes (28 enseignants, 12 moniteurs d’atelier, 12 membres du personnel administratif et de soutien, 3 surveillants, et 2 maîtresses d’internat). Les enseignants sont sous contrat à durée déterminée (contrat d’une année scolaire renouvelable après appréciation de leur travail). Conscients du rôle capital de l’éducateur, le projet éducatif de Saint Luc mise sur la qualité du corps enseignant, avec un accent tant sur les qualités morales qu’intellectuelles. Les apprenants contribuent à l’évaluation des enseignants à travers une enquête où chaque élève apprécie l’action pédagogique et les valeurs humaines de leurs formateurs.
  • En plus des matières traditionnelles inscrites dans le programme officiel, des cours spécifiques comme le cours de culture africaine, le cours de solfège et un cours de latin sont dispensés aux élèves particulièrement au premier cycle. Le cours d’africanité permet aux apprenants de s’approprier leurs valeurs culturelles dans un monde d’échange et qui change. Quant au cours de solfège, c’est une initiation à la musique pour éveiller d’éventuels talents. Le cours de latin est non seulement un renforcement de l’apprentissage du français mais surtout une initiation à la logique et à l’esprit critique.En termes d’évaluations des élèves, une certaine régularité a pour but de pousser les apprenants au travail continuel. Au premier cycle, une évaluation est exigée tous les 15 jours dans chaque matière. Le trimestre est sanctionné par la composition. Au second cycle, en plus de la composition, un devoir par mois est exigé dans chaque matière.

Un rituel de la transmission de la flamme de l’excellence est organisé en début d’année scolaire (le 18 octobre, la fête de Saint Luc). Au cours de la cérémonie, les deux responsables de classe des promotions lauréates au BEPC et au BAC remettent une grande bougie (à l’allure d’un cierge pascal) aux responsables de classe de troisième et de terminale, les futurs lauréats. Les responsables à leur tour, à partir de la grande bougie, allument les petites bougies que chaque candidat tient à la main. Deux discours sont prononcés : celui du représentant des lauréats et celui du représentant des candidats de l’année en cours. Le premier rappel leur performances et les sacrifices consentis et le second s’engage au nom des autres à maintenir haut le flambeau de l’excellence. Après quoi, tous soulèvent leur bougie tenue par la main droite et l’autre main à la poitrine l’hymne de l’excellence est solennellement exécuté. C’est un moment d’engagement en présence de tous les autres élèves de l’établissement, des parents et des professeurs dans la salle communautaire de rencontre.

L’orientation pédagogique des élèves

Dans le système éducatif du Burkina Faso, l’orientation des élèves selon les séries se fait essentiellement à deux étapes de leur cursus scolaire : la fin du cycle post-primaire sanctionnée par le BEPC et la fin du cycle secondaire sanctionnée par le Baccalauréat qui ouvre l’accès au cursus académique. A la fin du post-primaire, les élèves généralement choisissent une série donnée pour commencer la classe de seconde. Il peut s’agir en fonction des opportunités qui dépendent des localités d’une série littéraire, d’une série scientifique ou d’une série technique. Au niveau de la série littéraire, c’est essentiellement la série nommée A, série des lettres et langues (français, anglais et allemand). La série scientifique concerne les mathématiques et sciences de la nature pour la série D et les mathématiques et sciences physiques pour la série C. La série technique (ou professionnelle) concerne beaucoup plus les filières professionnalisantes comme le secrétariat et la comptabilité (série ACC), l’électrotechnique (série F3), la maçonnerie, l’art culinaire, la plomberie, etc. Au niveau du lycée saint Luc, deux séries sont offertes : la littéraire (A 4) et la scientifique (D). Le Lycée Saint Luc oriente les élèves qui veulent faire la série C ou des filières techniques (ACC et F3) dans d’autres établissements de la place (voir le Tableau 3, où certains élèves sont orientés vers l’établissement Louis Quernes).

Tableau 3 : Orientation des élèves en classes de seconde année scolaire (2021-2022)

Série Contenu Effectif Établissement
A Littérature 60 Lycée Saint Luc
D Mathématiques et sciences de la nature 35 Lycée Saint Luc
ACC Secrétariat et comptabilité 15 Etablissement Louis Quernes
F3 Électronique 10 Etablissement Louis Quernes

Source : Auteurs sur base de données administratives.

De façon générale dans l’enseignement public, l’élève est souvent laissé à lui seul pour choisir sa série. Dans le meilleur des cas, il le fait en lien avec ses parents qui pour la plupart ne sont pas alphabètes (les dernières données disponibles au Burkina Faso dans la base de données de l’Institut de la Statistique de l’UNESCO suggèrent un taux d’alphabétisation de 39 % pour la population adulte en 2018). Il se pose donc un problème de choix de série qui ne correspond pas souvent aux aptitudes du candidat. Beaucoup de candidats laissés à eux-mêmes choisissent leur série par complaisance ou par imitation de leurs camarades. D’autres se voient imposer les séries par les parents qui misent sur les opportunités de travail. Cela explique en partie le taux de redoublement et de décrochage au secondaire car beaucoup d’élèves abandonnent à cause du mauvais choix de série.

L’orientation fondamentale se fait généralement après le BEPC. Cette orientation détermine le type de série que l’élève doit commencer en seconde. Le principe de l’orientation au Lycée Saint Luc est basé sur un rapport objectif des moyennes de l’élève. Chaque année, un bilan annuel des moyennes des matières littéraires et celles des matières scientifiques est fait pour chaque élève. Après le BEPC, le comité d’orientation du lycée qui est composé des enseignants qui ont tenu les élèves en classe pendant l’année en cours, fait le point des bilans par élève en considérant l’ensemble du cursus de l’élève depuis la 6ème année jusqu’en 3ème année. Le bilan des notes de l’examen est aussi considéré. Les élèves sont orientés selon leurs moyennes générales. La moyenne de 10 est requise pour pouvoir s’orienter soit en littérature, soit en science. Le comité d’orientation de l’établissement propose ainsi à chaque élève une série selon les aptitudes littéraires ou scientifiques révélées objectivement par les différentes moyennes pendant tout son cursus post-primaire. Des recrutements complémentaires sont réalisés en classe de seconde en recevant des élèves provenant d’autres établissements. Dans ce cas, le lycée demande les bulletins des candidats pour faire la même opération.

       Parallèlement, il est demandé à l’élève en concertation avec les parents de proposer la série qu’il estime pouvoir faire. Après, le proviseur rencontre chaque élève pour lui communiquer les suggestions du comité des professeurs. En cas de discordance entre le choix de l’élève et la proposition du comité, le proviseur écoute les mobiles de l’élève, lui présente les exigences des deux séries et laisse l’apprenant choisir en fin de compte. En tout état de cause, le choix de l’apprenant est respecté. Quant à l’orientation après le baccalauréat, elle est beaucoup plus laissée à la discrétion des bacheliers qui souvent choisissent les types d’études selon les possibilités de bourses, ou selon les projets professionnels ou la proximité des universités. Le choix de l’orientation pour les études académiques est beaucoup influencé par les parents à cause de l’implication financière que cela nécessite. Il faut noter qu’avant l’examen du baccalauréat, le service d’orientation du ministère de l’éducation publique vient au lycée pour sensibiliser les élèves sur les choix d’orientation après le baccalauréat.

       Les résultats de cette approche semblent fort positifs. Le Tableau 4 pour l’année scolaire 2021-22 montre que le taux d’abandon, d’exclusion et de redoublement est très faible. Le Tableau 5 montre les taux de réussite très élevés au BAC pour l’année scolaire 2021-22.

Tableau 4 : Résultats scolaires, année scolaire 2021-22, Lycée Saint Luc

Classe Effectif Abandon Exclusion Redoublement Admis en classe

Supérieure

Seconde littéraire 60 0 1 2 57
Seconde scientifique 35 0 0 1 34
1ère littéraire 45 0 0 1 44
1ère scientifique 38 1 0 1 36

Source : Rapport de fin d’année 2021-2022/ lycée saint Luc

Tableau 5 : Résultats des examens de fin cycle, année scolaire 2021-22, Lycée Saint Luc

Examens Effectif Admis Taux de réussite
BAC A 45 45 100%
BAC D 40 39 97,5%

Source : rapport de fin d’année scolaire 2021-2022/ lycée saint Luc

 

Les ateliers au service de l’orientation pédagogique

Dans le projet éducatif du Lycée Saint Luc, des ateliers ont été institués pour aider à l’éveil des talents et renforcer le sens de la créativité souvent délaissés par le système scolaire qui tend à valoriser l’intelligence logico-mathématique au détriment du savoir-faire.  Les ateliers sont des lieux d’éveil des talents pour permettre aux élèves de libérer leur potentiel naturel. Ils se tiennent tous les jeudis soir, un moment où les cours classiques sont suspendus. Ces ateliers sont assez diversifiés : le théâtre, la coiffure masculine et féminine, la chorégraphie, l’atelier de musique, la couture, le Taekwondo, le football, l’acrobatie, l’atelier de Batik, l’atelier environnementaliste, et l’atelier des entrepreneurs ou futurs hommes d’affaire (voir le Tableau 6 pour la liste des principaux ateliers).

Tableau 6 : Liste des ateliers au service de l’orientation scolaire

Atelier Compétence/talent Option académique conseillée
Entreprenariat Sens de l’entreprenariat Marketing

Économie

Banques et assurances

Comptabilité

Théâtre, chorégraphie, musique Acteurs et sens de la communication, chorégraphe Art et communication

Journalisme

Troupes professionnelles de chorégraphie, musique et théâtre

Acrobaties, arts martiaux Athlètes Club d’athlétisme professionnel en parallèle avec les études
Football Footballers

 

Académie de football ou des clubs de football professionnels
Coiffure, couture Coiffeur, couturier Salon de coiffure ou de couture en activités connexes avec les études académiques

Source : Auteurs.

En début d’année scolaire, chaque élève s’inscrit librement dans un atelier ou « Dankan ».  Des moniteurs attitrés, des artisans de la place, accompagnent les élèves dans chaque atelier. Des sessions mensuelles de développement personnel sont aussi organisées tout au long de l’année scolaire. La fête du lycée et la clôture de l’année scolaire donnent l’occasion à chaque atelier de présenter ses créations et ses innovations. Le cadre des ateliers permet ainsi de découvrir les habiletés techniques et pratiques des apprenants. L’expérience des ateliers est particulièrement utile pour prodiguer des conseils aux élèves pour leur orientation professionnelle future, surtout après le baccalauréat. Selon les talents qu’ils ont pu démontrer au cours de leurs cursus, y compris via les ateliers, l’équipe du lycée prodigue des conseils pour leur futures études académiques ou leur profession potentielle.

Ces ateliers semblent avoir des résultats positifs. La première promotion au Baccalauréat date de 2019, et déjà le lycée a deux anciens étudiants qui ont créé leur propre entreprise. Il s’agit d’une entreprise dans le domaine de l’organisation d’événements culturels et d’une autre dans le domaine de la formation en informatique. Quatre joueurs de l’atelier de football ont déjà signé un contrat professionnel dans des clubs de la place. Par ailleurs, l’expérience des ateliers aide à orienter des élèves dès la seconde année en série technique (maçonnerie, plomberie, électricité) ou commerciale. Ce sont des élèves qui révèlent des habilités techniques ou qui ont déjà le sens du business en l’occurrence dans l’atelier des hommes d’affaires ou au niveau des ateliers qui demandent une certaine habileté manuelle (coiffure, couture). En définitive, l’orientation scolaire est capitale dans la réussite du cursus de l’apprenant. Une bonne orientation stimule la dynamique motivationnelle de l’apprenant. Une mauvaise orientation peut favoriser la déscolarisation et le dégoût de l’école. D’où l’importance de mettre en place une bonne politique d’orientation qui prenne en compte non pas seulement les aptitudes intellectuelles, mais les talents et le savoir-faire de l’apprenant.

L’école telle qu’elle est de nos jours dans les pays d’Afrique de l’Ouest n’arrive souvent plus à honorer sa promesse de garantir aux jeunes un emploi dans la fonction publique (c’est le type d’emploi que traditionnellement les détenteurs du baccalauréat pouvaient obtenir au Burkina Faso et dans la sous-région). Elle forme actuellement plutôt des savants (à tout le moins pour ceux qui réussissent) et non pas des sachants-faire, ce qui est souvent plus important pour le futur des étudiants. Une politique éducative axée sur l’éveil des talents aide les jeunes à découvrir et déployer leurs aptitudes naturelles et c’est l’approche pratique qui est suivie au Lycée Saint Luc. Comme l’aurait dit Albert Einstein, si tu passes ton temps à demander à un poisson de grimper sur un arbre, il pensera toute sa vie qu’il est un imbécile. Aider le jeune en pleine croissance à découvrir ses aptitudes naturelles est une mission essentielle de l’école, et pour cela une bonne stratégie d’orientation est nécessaire.

 

L’orientation spirituelle : s’ouvrir à l’autre[12]

  • L’approche de l’orientation pédagogique du Lycée Saint Luc telle qu’elle est décrite dans la section précédente est innovante au Burkina Faso, mais elle n’est pas particulièrement chrétienne. En parallèle avec cette approche pédagogique, le lycée propose aussi une orientation spirituelle visant au respect des différentes religions. En effet, en termes d’affiliations religieuses, le lycée accueille des élèves de différentes confessions (en 2021-2022, la répartition était la suivante : 249 catholiques, 83 protestants, 139 musulmans et 33 élèves des religions traditionnelles). L’équipe éducatrice est aussi multiconfessionnelle avec deux-tiers du staff catholiques ou chrétiens, un tiers de musulmans et quelques membres des religions traditionnelles africaines. La diversité confessionnelle de l’équipe d’encadrement est elle-même un instrument d’éducation au dialogue inter-religieux[13].
  • Plus que la tolérance, le projet éducatif de saint Luc vise l’acceptation de l’autre dans sa différence de foi. L’idée de tolérance sous-entend une résistance alors que celle de l’acceptation suppose une adhésion libre et volontaire. A saint Luc, cette adhésion libre et volontaire est matérialisée par un contrat signé par le parent de l’élève, l’élève et le proviseur. La spécificité du projet éducatif est expliquée au parent et au nouvel élève. Il est clairement mentionné que les activités pastorales font partie intégrante du projet de l’établissement. Il s’agit notamment de la prière chrétienne catholique dite au début et à la fin des cours, des messes au sein de l’établissement, de l’instruction du cours de religion et du cours de culture africaine comme matières spécifiques, ainsi que de l’existence de mouvements d’action catholique et l’existence du comité de dialogue inter-religieux. Deux activités en particulier sont importantes pour l’approche spirituelle du lycée visant au respect mutuel des élèves de différentes religions : le cours d’instruction religieuse et le comité « Balimaya ».
  • Le cours d’instruction religieuse obligatoire pour tous est dispensé pendant tout le cursus de l’élève. Au premier cycle, il est essentiellement axé sur la connaissance des différentes religions en l’occurrence le christianisme, l’Islam et la religion traditionnelle africaine communément appelée animisme. L’objectif est de faire découvrir l’histoire, les valeurs, et la pratique religieuse de chaque religion. Au second cycle, un regard plus critique est jeté sur les religions avec une insistance sur leur contribution à la paix et à la cohésion sociale. Une ouverture est faite aux autres religions du monde (bouddhisme, hindouisme, etc.). Ce cours est dispensé par des enseignants ayant une formation sur le fait religieux, capables d’une certaine ouverture d’esprit. Le prosélytisme ou l’apologie d’une quelconque religion par rapport à une autre est strictement interdite.

L’autre instrument pédagogique pour la promotion du dialogue entre religions est le comité « Balimaya ». Il est composé d’élèves représentant les différentes religions. Son rôle est de représenter l’ensemble des élèves au niveau des différents évènements spécifiques à une religion. Il s’agit essentiellement du temps du carême, du jeûne musulman, et des différentes fêtes chrétiennes et musulmanes. Par exemple, au début du carême, les musulmans souhaitent à tous les chrétiens en présence des musulmans un bon temps de carême. Le mot ou message est lu par un élève musulman. Il en est de même pour le jeûne du Ramadan où c’est un chrétien qui lit le message. Par ailleurs, un geste commun de solidarité est posé chaque année par les élèves chrétiens et musulmans à la fin du carême et du jeune du Ramadan (récemment, ce fut un don à un orphelinat de la place).

Plus généralement, pour permettre une expression de sa foi chrétienne (pour les élèves catholiques ou chrétiens) sans l’imposer aux autres qui sont invités à la respecter, le lycée applique le principe de la participation pour les chrétiens et celle de l’assistance pour les autres. Le résultat est l’acceptation de l’autre dans sa différence de croyance et de pratique confessionnelle. Au niveau des élèves non-chrétiens, surtout ceux qui intègrent l’établissement pour la première fois, une certaine méfiance et parfois une résistance quant à la participation passive à la prière chrétienne est observée. Cette résistance, de façon générale, disparait lorsque le climat de confiance et de respect s’installe. La plupart des élèves terminent leur cursus scolaire fidèles à leur propre religion (il y a peu de conversions et ces conversions ne sont certainement pas un objectif) avec un esprit ouvert aux autres confessions.

  • L’école catholique dans sa vocation d’éduquer « tout homme et tout l’homme » doit offrir aux élèves cette possibilité d’ouverture et de dialogue entre les religions. Dans un contexte national au Burkina Faso et international de la montée de l’extrémisme religieux, il est plus que jamais nécessaire de promouvoir dans les structures éducatives l’éducation au dialogue interreligieux. Cette éducation n’est pas synonyme d’un renoncement à son identité culturelle ou religieuse. Elle est ouverture à l’autre, tel qu’il est, acceptation de l’autre tel qu’il croit. Dans un contexte social multiconfessionnel tel que celui du Burkina Faso, il est indispensable de mettre au cœur de tout projet éducatif le souci de découvrir l’autre dans son rapport à la transcendance. Tout en ne renonçant pas à son identité religieuse ou en ne la comprimant pas dans une sphère privée, au Lycée Saint Luc on l’exprime et on apprend à découvrir et à respecter celle des autres. On apprend à bien croire pour mieux vivre ensemble. C’est la foi au service de la cohésion sociale, une arme contre l’extrémisme dans le monde.

Conclusion

Malgré d’importants progrès au cours des vingt dernières années, le Burkina Faso a encore des taux d’achèvement très faibles au niveau primaire et plus encore au niveau du secondaire. De nombreux élèves ne sont jamais inscrits à l’école ou sont victimes du décrochage scolaire. La première partie de cet article a fourni une analyse des facteurs menant à la non-scolarisation et au décrochage scolaire au Burkina Faso sur base des données d’une enquête auprès des ménages représentative au niveau national. Conceptuellement, les facteurs limitant la scolarité comprennent le manque d’accès à l’école, les coûts directs et d’opportunité, les normes sociales dont celles basées sur le genre, le manque d’apprentissage (surtout au primaire) et le manque de programmes pour retourner à l’école ou, comme alternative, s’engager dans des programmes d’éducation non formelle.

Les résultats de l’analyse suggèrent qu’au Burkina Faso, le manque de moyens financiers et la préférence pour le travail ainsi que le fait que les parents considèrent que leurs enfants ont terminé leurs études sont des facteurs majeurs contribuant au décrochage scolaire au niveau du secondaire. Ces statistiques suggèrent que pour au moins une partie de la population, la poursuite de la scolarité peut ne pas apporter suffisamment d’intérêt pour en justifier le coût (direct ou d’opportunité), ou peut-être la valeur potentielle de la poursuite des études n’est pas intériorisée. L’un des facteurs pouvant mener à ces perceptions est le fait que le curriculum reste souvent trop théorique. D’après le Secrétaire Général de l’enseignement catholique, les écoles, y compris les écoles catholiques, devraient promouvoir un lien plus fort de leur enseignement avec la vie réelle, de sorte que les élèves soient mieux équipés pour le marché du travail. Un autre défi mentionné par le Secrétaire Général de l’enseignement catholique est la montée de l’extrémisme intégriste avec des attaques dans certaines parties du pays menant à la fermeture d’un grand nombre d’écoles.

Comment répondre à ces défis ? La seconde section de l’article a été consacrée à une étude de cas sur les modes d’orientation pédagogique et spirituelle au Lycée privé catholique Saint Luc au Burkina Faso. Créé en 2012, le lycée a eu un succès remarquable en termes de taux de succès de ses étudiants au BEPC et au BAC. Sans pouvoir établir un lien causal, il est vraisemblable que les pratiques d’orientation du lycée y ont contribué. Ces pratiques incluent sur le plan pédagogique un support aux étudiants pour choisir la filière qui leur convient le mieux, ainsi que de nombreux ateliers orientés vers la pratique des professions.

Selon le ministère de l’éducation nationale, de l’alphabétisation et de la promotion des langues nationales, de nombreux cas d’abandon scolaire sont liés à plusieurs raisons comme l’orpaillage, les grossesses précoces, le mariage précoce, le redoublement scolaire et le mauvais climat scolaire.  La politique d’orientation du lycée saint Luc permet d’amoindrir le risque de décrochage en optimisant la possibilité de l’apprenant de passer en classe supérieure. En effet, en aidant l’élève à choisir sa série en adéquation avec ses aptitudes naturelles, cela réduit considérablement le risque de redoublement. Étant dans une série dont il a les aptitudes, l’élève obtient généralement la moyenne de passage en classe supérieur et termine sans difficultés majeurs son cycle secondaire avec l’admission au BAC. Par ailleurs, lorsque l’élève a les aptitudes minimales requises, cela facilite la persévérance scolaire en le mettant à l’abri de très mauvaises notes qui finissent souvent par lui faire perdre l’estime de soi. Le taux très faible d’abandon scolaire et de redoublement à saint Luc témoignent de cette persévérance.

De plus, dans un contexte multiconfessionnel, le lycée introduit les étudiants au respect mutuel de l’autre dans ses croyances. Cela se réalise entre autres via le cours d’instruction religieuse et le comité « Balimaya » qui vise à encourager les élèves d’une religion à célébrer la pratique religieuse des élèves d’une autre religion. Ces diverses activités sont importantes dans un contexte où il y a une montée de l’extrémisme dans une petite frange de la population, mais avec des conséquences dramatiques pour une partie du pays, y compris au niveau des écoles.  Bien que les pratiques d’orientation pédagogique et spirituelle au Lycée Saint Luc aient été discutées séparément dans cet article, elles se renforcent l’une et l’autre via la promotion d’un climat d’excellence qui est aussi respectueux des différentes traditions dans lesquelles les élèves ont grandi tant à la maison que dans leur communauté.

En effet, l’éducation à l’acceptation de l’autre malgré sa différence confessionnelle, cette politique éducative joue positivement sur le climat scolaire. L’ouverture à la tolérance instaure un climat de convivialité, de respect de soi, de fraternité et d’amitié entre les apprenants. Ce climat de convivialité développe le sentiment d’appartenance au groupe et impacte positivement sur le rendement scolaire. Les activités comme les visites rendues aux différentes familles lors des différentes fêtes ou des évènements malheureux ou heureux renforcent le sentiment d’appartenance au groupe et le climat de fraternité.

La politique d’orientation et l’éducation à l’acceptation de l’autre malgré sa différence confessionnelle sont deux aspects complémentaires du projet éducatif Saint Luc qui participent à la lutte contre le décrochage et l’abandon scolaire. L’offre éducative intégrée du lycée prépare les élèves de façon tant professionnelle que spirituelle. Les pratiques du Lycée Saint Luc sont innovatrices et prometteuses, et pourraient être adoptées dans d’autres établissements.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Alexandre Bingo et Quentin Wodon, « Lutte contre le décrochage scolaire et orientation des étudiants : l’orientation pédagogique et spirituelle au Lycée Saint Luc au Burkina Faso », Educatio [En ligne], 13| 2022. URL : https://revue-educatio.eu

Droits d’auteurs

Tous droits réservés

[1] Alexandre Bingo est proviseur du Lycée Saint Luc au Burkina Faso. Quentin Wodon est Lead Economist à la Banque mondiale et dans le cadre de son volontariat responsable du projet Global Catholic Education. L’analyse et les opinions exprimées dans cet article n’engagent que les auteurs et non pas la Banque mondiale, ses directeurs exécutifs ou les pays qu’ils représentent.

[2] Secretariat of State [of the Vatican]. Annuarium statisticum Ecclesiae 2018 / Statistical yearbook of the Church 2018 / Annuaire statistique de l’Eglise 2019. Vatican City: Libreria Editrice Vaticana, 2021.

[3] Kiemde, Hubert. « Entretien avec l’abbé Hubert Kiemde, Secrétaire Général des écoles catholiques au Burkina Faso. » Global Catholic Education Interview Series. Washington, DC: Global Catholic Education, 2021.

[4] Comme le note le Père Hubert Kiemde, op cit. « tous les enfants qui arrivent dans l’enseignement catholique savent qu’ils ont l’obligation de se comporter différemment. Il en est de même pour les enseignants et le personnel administratif. »

[5] Sur la motivation à envoyer les enfants dans différents types d’écoles, y compris les écoles catholiques ou chrétiennes au Burkina Faso, voir Gemignani, Regina, Mary Sojo, et Quentin Wodon. “What Drives the Choice of Faith-inspired Schools by Households? Qualitative Evidence from Two African Countries,” Review of Faith & International Affairs, no. 12(2) (2014): 66-76. https://doi.org/10.1080/15570274.2014.918748. Voir aussi Gemignani, Regina et Quentin Wodon. “Gender Roles and Girls’ Education in Burkina Faso: A Tale of Heterogeneity between Rural Communities,” American Review of Political Economy, no. 11(2) (2017): 163-75. https://doi.org/10.38024/arpe.142. Au Burkina Faso, les écoles catholiques sont principalement des écoles privées dans lesquelles les performances des élèves sont en moyenne meilleures que dans les autres écoles. Dans certains autres pays africains où de nombreuses écoles catholiques sont des écoles publiques, les performances des élèves ne sont pas nécessairement meilleures (pour une analyse pour l’Ouganda, voir Wodon, Quentin et Clarence Tsimpo. “Not All Catholic Schools Are Private Schools: Does It Matter for Student Performance?” International Studies in Catholic Education, no. 13(2) (Fall 2021): 175-189. https://doi.org/10.1080/19422539.2021.2010457).

[6] Sur la mission des écoles catholiques, voir Congregation for Catholic Education. The Catholic School. Vatican City: Libreria Editrice Vaticana, 1977. Voir aussi Congregation for Catholic Education. Educating to Fraternal Humanism: Building a “Civilization of LovL” 50 Years after Populorum Progressio. Vatican City: Libreria Editrice Vaticana, 2017. Sur le pluralisme religieux et le rôle de l’éducation religieuse pour sa sauvegarde, voir Seligman, Adam B., ed. Religious Education and the Challenge of Pluralism. Oxford: Oxford University Press, 2014. Sur la taille des réseaux des écoles catholiques en Afrique et dans le monde, voir Wodon, Quentin. Global Catholic Education Report 2021: Education Pluralism, Learning Poverty, and the Right to Education. Washington, DC: Global Catholic Education, 2021. Sur les écoles catholiques au Burkina Faso, voir Compaoré, Maxime. « La refondation de l’enseignement catholique au Burkina Faso, » Cahiers d’Études Africaines, no. 169-170 (Janvier 2003): 87-98. https://doi.org/10.4000/etudesafricaines.191. Enfin, sur les perspectives des dirigeants de l’éducation catholique en Afrique, y compris au Burkina Faso (c’est-à-dire l’entretien mentionné avec le Père Kiemde), voir Wodon, Quentin, ed. Catholic Education in Africa and the Middle East: Perspectives from National Leaders, Washington, DC: Global Catholic Education, 2021.

 

[7] World Bank. World Development Report 2018: Learning to Realize Education’s Promise. Washington, DC: The World Bank, 2018.

[8] World Bank. Ending Learning Poverty: What Will It Take? Washington, DC: The World Bank, 2019.

[9] Malé, Chata et Quentin Wodon. « Facteurs menant à la non-inscription à l’école et au décrochage scolaire en Afrique de l’Ouest. » Mimeo, Washington, DC: The World Bank, 2022.

[10] World Bank, 2018, op.cit.

[11] Cette section est en partie adaptée de Bingo, Alexandre. “Catholic Education and the Challenge of Religious Pluralism: The Private Catholic High School Saint Luc in Burkina Faso.” Journal of Global Catholicism, no. 6(2) (Spring 2022) : 16-43.

[12] Pour une discussion plus détaillée de l’approche spirituelle du lycée, voir Bingo, 2022, op cit.

[13] Les recherches sur les perceptions des enseignants vis-à-vis de la diversité religieuse dans les pays européens montrent comment les expériences personnelles des enseignants et les facteurs socio‐culturels plus larges ainsi que les normes nationales façonnent leurs réponses à la diversité (voir par exemple Everington, Judith, Ina ter Avest, Cok Bakker, et Anna van der Want. “European religious education teachers’ perceptions of and responses to classroom diversity and their relationship to personal and professional biographies,” British Journal of Religious Education, no. 33(2) (2011): 241-256. https://doi.org/10.1080/01416200.2011.546669). La diversité des enseignants et leur respect des différentes religions peuvent être un atout pour l’éducation religieuse, comme le suggère une étude des perceptions des élèves dans un lycée juif américain (Finefter-Rosenbluh, Illana et Lotem Perry-Hazan. “Teacher diversity and the right to adaptable education in the religiously oriented school: What can we learn from students’ perceptions?”, Youth & Society, no. 50(5) (2018): 615–635. https://doi.org/10.1177/0044118X15621224). L’avantage d’avoir des enseignants de différentes religions est également noté dans une étude de cas sur une école finlandaise (Kimanen, Anuleena. “Truth claims, commitment and openness in Finnish Islamic and Lutheran religious education classrooms,” Issues in Educational Research, no. 29(1) (2019): 141-157.  http://www.iier.org.au/iier29/kimanen.pdf). Voir sur ces questions pour l’Indonésie Parker, Lyn. “Religious education for peaceful coexistence in Indonesia?” South East Asia Research, no. 22(4) (2014): 487-504. https://www.jstor.org/stable/43818549. Voir aussi pour l’Afrique du Sud Chidester, David. “Religion education in South Africa: Teaching and learning about religion, religions, and religious diversity.” British Journal of Religious Education, no. 25(4) (2003), 261-278. https://doi.org/10.1080/0141620030250402.