L’intelligence collective au service de l’orientation

Gilles Le Cardinal[1]

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Résumé :

La vision de la personne humaine, sur laquelle est fondée notre réflexion, comporte les quatre dimensions suivantes : l’être humain est auteur de sa communication, sujet d’une pensée personnelle, acteur dans un projet et partenaire dans une équipe.

Nous distinguons deux démarches permettant d’aider un jeune à s’orienter :

– Un travail sur la connaissance de soi, via des tests psychologiques et leurs interprétations toujours délicates, suivi d’un travail d’écriture sur son passé, son présent, son futur et sur son réseau relationnel.

– un travail collectif, par table de quatre, pour identifier ensemble les bonnes manières de faire ses choix d’orientation. Le jeu sérieux « Diapason », conçu à cet effet, est alors décrit et illustré d’une application en classe de seconde. Le recueil des avis des élèves à l’issu de cette expérience révèle tout l’intérêt de la démarche.

Enfin nous proposons une interprétation des processus cognitifs à l’œuvre dans ces deux démarches.

Mots clés :

Aide à l’orientation, tests psychologiques, travail sur soi, intelligence collective, jeu sérieux Diapason, processus cognitifs, construction de la confiance.

Introduction

Il existe bien des méthodes (Bilan de compétence, entretien avec un conseiller d’orientation…) pour aider un jeune à s’orienter dans les choix d’options à réaliser au Lycée, dans ceux de la formation supérieure où il compte s’engager et dans ceux d’une insertion dans la vie professionnelle. Cet article voudrait faire connaître deux démarches originales, permettant de réfléchir, à plusieurs, sur les bonnes façons d’opérer ces choix.

La première démarche consiste à proposer au jeune une série d’exercices de connaissance de soi avec un accompagnement personnel.

La seconde proposition est plus originale : il s’agit de la mise œuvre du « jeu sérieux » Diapason, que nous avons expérimenté une dizaine de fois en classe de seconde. Il propose de faire travailler ensemble quatre élèves par table dans le but de se donner des conseils entre pairs, pour bien s’orienter.

Cette méthode opérationnelle est issue de la recherche en Science de l’information et de la communication, menée à L’Université de Technologie de Compiègne (UTC)par l’équipe « Communication et Sécurité ». Elle est fondée sur une vision originale de la personne humaine et s’appuie sur les théories de la complexité développées par Edgar Morin[2].

Une vision de la personne humaine d’où découlent des outils pour l’orientation

Nous proposons de distinguer quatre dimensions de l’être humain que l’éducation se doit de développer pour pouvoir faire des choix pertinents.

Rendre le jeune :

1- « Auteur de sa communication » verbale et non verbale, « inspiré » :

Comment aider le jeune à devenir auteur et à l’écoute de l’Esprit en lui ?

Nous proposons d’abord au jeune de tenir un journal quotidien où noter les temps forts de sa journée et les ressentis associés. A partir de cette expérience d’écriture, nous lui proposons d’identifier trois situations de sa vie où il a été heureux, de leur donner un titre et d’en décrire les circonstances de façon détaillée, en une demi-page :

  • – Avec qui était-il ?
  • – Comment cela a commencé ?
  • – Quels ont été les temps forts et les ressentis associés ?
  • – Comment cela s’est-il terminé ?

Une fois ces trois récits achevés, nous lui demandons de rechercher un fil rouge, un point commun entre ces trois évènements. Il a le plus souvent besoin d’aide car ce fil rouge est souvent caché, difficile à mettre en évidence. L’hypothèse à la base de cet exercice est la suivante : c’est lorsque notre « Unique » est enjeu que nous éprouvons une joie profonde. Cela permet également d’extrapoler les situations futures qui le rendront heureux.

 

2-      « Sujet d’une pensée personnelle » et « sage »

Comment aider le jeune à développer une pensée personnelle et à accueillir favorablement la révélation divine ?

Il s’agit alors d’aider le jeune à sortir du désir mimétique qui consiste à vouloir l’unique qu’un autre nous donne à voir. Au contraire, la démarche consiste à identifier ses talents propres et le faire méditer sur la façon de les déployer pour les rendre féconds.

 

3-      « Acteur dans un projet » et « serviteur » pour l’advenue du Royaume :

Comment aider le jeune à choisir un projet de vie où mettre ses talents au service d’une finalité qui le dépasse et dont il a à devenir le serviteur ?

Nous proposons au jeune de décrire ce qui lui paraît beau et bien dans le monde, puis les problèmes et les défis que le monde doit relever, d’après lui, dans les années à venir et de se poser alors la question de savoir dans laquelle de ces réalités il aimerait contribuer à apporter des solutions par son travail et par ses compétences.

 

4-      « Partenaire dans une équipe » et « frère universel » de tous et en particulier des plus fragiles :

Comment aider le jeune dans ses relations humaines et professionnelles, en faire un constructeur de confiance et un artisan de paix ?

Nous demandons au jeune de discerner s’il préfère travailler seul ou en équipe. Puis nous lui demandons de dessiner son réseau relationnel, depuis sa famille élargie, ses amis, ses copains de l’école et de loisirs, ses collègues professionnels… et de noter par une flèche vers le haut les personnes qui lui font du bien et par une flèche vers le bas ceux qui ne lui font pas du bien. Il rend compte de son travail personnel seulement à son accompagnateur, mais nous le laissons tirer les conclusions de cet exercice.

Les réponses à ces questions fondamentales sont toutes pour objectif la construction d’une juste image de soi et de son caractère unique.

On peut classer les moyens pour y parvenir en deux catégories complémentaires qui convergent vers une bonne connaissance de soi :

– Bien se connaître par un travail d’introspection par des tests et un bilan de compétence : « Les cinq messages contraignants » d’Éric Berne, le test d’Herrmann pour déterminer sa couleur psychologique, l’Ennéagramme permettant d’identifier la peur d’enfance qui continue à agir secrètement à l’âge adulte, le MTBI si utilisé dans les sélections d’embauche pour mieux identifier le profil d’un candidat…

– Découvrir « qui on est » à travers les rencontres avec les autres qui sont différents de soi : distinguer, par comparaison, ce qu’ils sont et que je ne suis pas, ce que je suis et qu’ils ne sont pas. On peut exprimer cette démarche par la formule : « découverte de soi en passant par l’autre ».  C’est l’un des ressorts de la méthode du 360 ° qui interroge le cercle des relations sur leur perception de la personne à évalue.

 

« Diapason junior », un jeu sérieux qui met en jeu une intelligence collective, pertinente pour découvrir à plusieurs les démarches à accomplir pour bien s’orienter

Le jeu sérieux « Diapason », qui est une émanation de la méthode PAT-Miroir (Peur, Attrait et Tentation en Miroir), se joue par table de quatre, en quatre étapes :

1-      La première étape

  • Elle consiste à choisir une situation, en l’occurrence l’étape où les participants doivent choisir leur orientation, puis à se donner une finalité précise et formulée sous la forme d’une phrase de deux lignes maximum, comme : « Bien choisir son orientation ». La finalité du jeu est de trouver les moyens permettant de faire des choix pertinents.

2-      La deuxième étape

  • Celle-ci consiste à donner à chacun un rôle précis dans la démarche :
  • « Le secrétaire » écrira sur le tableau de jeu les résultats du travail, « le lecteur » lira les énoncés inscrits sur les cartes, le synchronisateur donnera le top pour l’évaluation des énoncés par des notes de 0 à 10, le calculateur fera les additions des points obtenus.

3-      La troisième étape

  • Elle consiste à écrire sur les trois cartes distribuées à chacun la peur, l’attrait et la tentation principale que lui inspire le fait de devoir choisir son orientation, puis à disposer ces cartes sur les trois colonnes du tableau de jeu. Chaque énoncé doit comporter un verbe, un sujet et un complément, ne comporter qu’une seule idée et être le plus précis possible. Aucune discussion ou concertation n’est permise dans cette étape dont l’intérêt consiste précisément dans l’expression personnelle, subjective et donc différente de chaque participant. On pourrait craindre que les quatre participants aient la même idée, or on constate alors qu’il n’en est rien, compte tenu de la variété des ressentis suscités par cette finalité, c’est justement cette variété qui fait tout l’intérêt de la démarche.

4-      La quatrième étape

  • Elle consiste à attribuer des points de 1 à 10 à chaque énoncé à l’aide d’un dé. Le calculateur fait alors la somme des points attribués par chaque participant et le note sur la carte correspondante. Le synchronisateur a permis que les dés soient déposés en même temps pour ne pas s’influencer mutuellement. On constate alors la variété des avis. Cela conduit à hiérarchiser les énoncés. Il ne s’agit pas de l’avis d’un seul mais de celui des quatre participants. On obtient ainsi l’évaluation du groupe, première manifestation de l’intelligence collective et de sa sagesse. Les cartes sont alors réorganisées par ordre d’importance et le calculateur fait la somme des points obtenus successivement par les peurs, les attraits et les tentations. Cela permet de tracer les trois histogrammes caractérisant la situation étudiée en six catégories :

Situation très favorable, situation favorable, blocage potentiel, conflit potentiel, crise potentielle ou situation instable.

Diagnostic d’une situation : Interprétation graphique des Peurs, Attraits, Tentations

 

5-      La cinquième étape

  • A cette dernière étape, on a permis à chacun de s’exprimer, d’être écouté, de contribuer à la hiérarchisation des idées, ce qui a conduit à un diagnostic commun du problème que constitue les choix d’orientation. C’est précisément « cette représentation commune de la situation » qui va permettre, dans un deuxième temps, d’élaborer ensemble des préconisations consensuelles suivant la logique rigoureuse suivante :

   – une peur permet de générer une précaution à prendre pour bien s’orienter ;

   – un attraitpermet de se fixer un objectif et de trouver un moyenet/ou une stratégie à mettre en œuvre pour l’atteindre ;

   – une tentation, qui est une mauvaise pratique, permet, en la retournant comme un gant de proposer la bonne pratiqueà adopter.

Au total 12 conseils sont ainsi élaborés en un temps très court (une heure environ) : Quatre précautions à prendre, quatre moyens ou stratégies à mettre en œuvre, quatre bonnes pratiques à substituer aux tentations, qui sont des mauvaises pratiques.

Exemple de résultats obtenus en classe de seconde

Nous avons expérimenté cette méthode en classe de seconde, pendant l’heure de vie de classe, pour se donner des conseils pour bien s’orienter dans les choix de filière de formation à suivre en vue d’un métier qui sera épanouissant.Les explications du jeu avaient été données à une séance précédente. La salle doit être préalablement aménagée en table de quatre pour un démarrage plus rapide du travail. Voici les résultats obtenus par une table de quatre élèves :

Situation étudiée :  ORIENTATION
T5 PEURS
POINT DE VUE :  DES ELEVES Se tromper de filière 21
De ne pas être satisfaite de mon métier, de me tromper de choix 20
De ne pas faire la filière que je veux 18
De faire le mauvais choix 12
ATTRAITS
Envie de devenir chirurgien 22
Faire les études que je souhaite et être contente d’aller étudier 21
Faire un métier qui me plaira 18
Faire un choix qui me correspond pour l’avenir 15
TENTATIONS
Choisir une filière plus facile mais qui ne me permettra pas d’atteindre mon but 22
Choisir une filière en deçà de mes compétences par fainéantise 21
Choisir une filière qui nous plait mais ne correspond pas 18
Choisir une filière qui correspond au sport 16
Finalité : LE BON CHOIX D’ORIENTATION
PRECAUTIONS
Se renseigner auprès d’un conseiller d’orientation
Faire des stages en entreprises
Travailler plus et se faire aider dans ses études
Se renseigner dans les filières envisageables
MOYENS ET STRATEGIES
Avoir le niveau et prendre la voix la plus adaptée
Choisir la filière correspondante à notre objectif d’étude
Etre sûr de nos envies et se donner les moyens de réussir
Se donner les moyens de faire la filière souhaitée
BONNES PRATIQUES
Ne pas se sous-estimer
Etre réaliste dans ses choix
Faire le choix étude ou sport

Suivent quelques réactions recueillies par Eléonore Veillasse, et publiées dans la revue ECA (n° 376), à l’issue du travail proposé :

Charlotte

J’ai trouvé intéressant de réfléchir à un sujet sérieux de façon ludique et j’ai aussi apprécié la méthode qui consiste à d’abord former sa propre idée sur le sujet de l’orientation, ce qui permet de ne pas être influencé par les autres, pour ensuite la partager. L’évaluation de la situation au début du jeu et à la fin, à l’aide d’un histogramme, nous a permis de voir concrètement qu’en réfléchissant ensemble, on trouve des solutions. C’est une bonne façon de travailler en groupe qui pourrait être utilisée par exemple en philosophie. 

Justine

C’est une bonne méthode pour réfléchir à notre orientation en identifiant nos peurs, nos attraits, nos tentations. J’en ressors avec des moyens pour faire diminuer mes peurs, comme me renseigner auprès d’une conseillère d’orientation ou faire des stages. Je me suis aussi renduecompte que nous avions les mêmes craintes. Je me sens moins seule. Le fait d’avoir un but précis, cela nous a aidés à être sérieux, à l’écoute et à avoir une discussion constructive.

Sélim

Réfléchir tout seul à la question de l’orientation, cela aurait été différent. Avec ce jeu, c’était stimulant et enrichissant. Jusqu’à présent, je ne pensais pas trop à mon avenir. Cela m’a donné des idées et m’a incité à me remettre en question. J’ai été marqué par une des conclusions, ressorties à la fin du jeu : « Apprendre à se relever de ses échecs ». Cela m’encourage à tout faire pour atteindre l’objectif que je me suis fixé l’année prochaine.

Enfin, je trouve que cet exercice de groupe est une bonne préparation au stage en entreprise pendant lequel il faudra travailler à plusieurs.

Charlotte

D’habitude, j’ai du mal à m’exprimer en groupe, mais là, j’ai pu le faire parce que chacun avait un rôle et que les règles du jeu étaient précises. Je suis contente d’avoir réussi à prendre la parole et j’ai trouvé qu’il y avait une bonne écoute. Cela m’a aussi permis de me poser des questions sur l’orientation que je ne me serais pas posées toute seule. Et l’échange entre nous a été riche. J’ai pris conscience des risques de mauvais choix d’orientation en écoutant les idées des autres.

Victoire

J’ai apprécié ce travail en groupe au cours duquel chacun a pu exprimer ses idées à partir de ses ressentis, ainsi que le temps de la mise en commun et la recherche d’un consensus. Cela n’a pas été forcément facile de se mettre d’accord, mais nous avons réussi. J’aimerais travailler plus en groupe. Ce serait un bon entraînement pour la vie en entreprise. Je serais prête à refaire le jeu pour approfondir le sujet. Côté orientation, j’ai pris conscience qu’il fallait que je me projette dans un avenir plus réaliste.

Les processus cognitifs à l’œuvre dans les méthodes préconisées

Relecture du test d’Herrmann

C’est à partir des travaux de Jung[3] qu’Herrmann[4] a conçu son test dit des « quatre couleurs », permettant de connaitre, chez une personne, la hiérarchie de quatre modes de fonctionnement du cerveau :

– en jaune un fonctionnement créatif, imaginatif, enthousiaste et communiquant, centré sur l’innovation, avec une vision grand angle sur le monde, aimant mettre en œuvre les technologies récentes ; si nous utilisons en priorité ce fonctionnement, nous serons un auteur accompli. Les « jaunes » seront plus heureux et performants dans les métiers qui mettent davantage en œuvre la créativité et la communication : journalisme, recherche scientifique, innovation technologique, littérature, poésie…

– en bleu, un fonctionnement intellectuel qui cherche à comprendre le monde, à l’expliquer, à s’informer et se former de manière à construire une pensée personnelle. Les « bleus » auront tendance à s’orienter vers des professions qui nécessitent une grande activité intellectuelle mettant en jeu une grande aptitudecognitive : ingénieurs, enseignants- chercheurs, philosophes, managers, experts-consultants…

– en vert, un fonctionnement concret où le corps joue un grand rôle, avec une organisation précise, bien séquencée dans le temps, où l’on est un acteur fiable dans un projet. Peu ouvert aux changements, le vert aime les organisations sûres et les précautions qui évitent les grandes prises de risque. Les verts auront tendance à s’orienter vers les métiers où le corps et l’organisation tient une grande place : métiers médicaux ou paramédicaux, sportifs, entraîneurs, gestionnaire, conseils en organisation, agents commerciaux, agriculteurs…

– en rouge, un fonctionnement qui privilégie les relations, les sentiments, la vie affective, l’entraide réciproque, la solidarité, la bienveillance, la résolution non-violente des conflits. Les rouges seront heureux dans les métiers à caractère social et altruiste : éducateurs, assistantes sociales, psychologues, psychiatres…

Remarquons que le test d’Herrmann fait le lien avec l’anthropologie que nous avons présentée en commençant cet article : être « auteur » de notre communication relève plutôt du caractère « jaune », « sujet d’une pensée personnelle » relève plutôt du caractère « bleu », être « acteur organisateur dans un projet » est plutôt relié au « vert », et « partenaire dans une équipe » correspond plutôt au caractère « rouge ».

Si chacun de nous possède ces quatre fonctionnements, il en est un, en général qui domine. On comprend alors pourquoi il est important de l’identifier pour en tenir compte dans ses choix d’orientation professionnelle. Cependant, Il est indispensable de relativiser les résultats du test qui, s’il donne des indications pertinentes, ne doit pas conduire à desconclusions contraignantes. Il existe en effet des profils associant plusieurs fonctionnements cérébraux. On peut aussi rencontrer des choix professionnels qui ne semblent pas correspondre au comportement dominant, mais qui sont exercés de façon originale en mettant en jeu un comportement original conforme à son désir profond. Quelle que soit sa couleur, son comportement préféré, tous les métiers font appel aux quatre types de fonctionnement cognitif. On peut parfaitement être un « jaune » sensible aux aspects sociaux « rouge », un « bleu » gestionnaire de projet «vert », un vert qui aime réformer son organisation avec de nouvelles méthodes « jaune ».

C’est pourquoi un accompagnement personnel, notamment pour interpréter sans simplification le résultat des tests et des bilans de compétences, est souvent nécessaire pour éclairer le choix des formations à suivre et les orientations professionnelles à privilégier.

Relecture du jeu sérieux « Diapason »

L’originalité de « Diapason »est de partir des ressentis de peurs, d’attraits et de tentations possibles des quatre participants par rapport à une finalité précisequi doit être exprimée clairement au commencement de la session.

Pourquoi procéder ainsi ? Iain Mc Gilchrist[5] nous explique que l’hémisphère droit du cerveau accueille sans filtre les informations provenant de nos cinq sens et génère des émotions dont il cherche la signification, tandis que l’hémisphère gauche qui travaille en parallèle, ne cesse de filtrer les informations pour ne retenir que celles qui sont assimilables par sa représentation du monde préalablement établie. Il a construit un modèle de la réalité, se fixe des objectifs et recherche les moyens efficaces pour les atteindre. Sur un thème donné, il a déjà constitué une représentation faite de connaissances et de préjugés. Il rejette les informations qui ne trouvent pas de place dans son modèle et qui vont se cacher dans l’inconscient.

Ces considérations expliquent pourquoi nous entamons un «Diapason», après avoir précisé la finalité du travail à réaliser, par l’écriture individuelle et sans discussion des ressentis issus de l’hémisphère droit, ce qui a comme avantage de pouvoir appliquer la logique du « et » : et ma peur et ta peur, et mon attrait et ton attrait, et ma tentation et ta tentation, alors que si on partait des solutions on serait obligé d’appliquer le logique du « ou » qui conduit à un rapport de force. On élargitainsi la perception de chaque participant qui est obligé d’écouter les ressentis des autres, puisqu’il doit mettre une note d’importance sur chaque item énoncé par la table. Les items qui reçoivent le meilleur total des quatre notes sont donc jugés importants par les quatreparticipants, ce qui conduit à une représentationcommune du sujet traité et non la représentation d’un seul participantqui  s’imposerait à tous.

 Le deuxième avantage de «Diapason» est que les préconisations d’amélioration de la situation étudiée se déduisent logiquement du travail précédent selon la logique suivante :

Une peur signale un danger dont la table, par un dialogue, va rechercher la précaution pertinente pour éviter le danger et ainsi diminuer la peur, ce qui contribue à construire la confiance.

Un attrait signale un objectif pour lequel la table va rechercher les moyens et stratégies qui permettront de l’atteindre, ce qui contribue à construire la confiance.

Une tentation signale une mauvaise pratiqueet il sera facile en la retournant comme un gant de définir la bonne pratique à promouvoir. Cette construction d’une éthique pratique construite ensemble contribue à construire la confiance. Ces trois contributionsrenforcent le sentiment d’avoir mis en œuvre une intelligence collective, puisqu’aucun des participants n’aurait pu trouver toutes ces préconisations.

Notons que la première partie de la méthode ne met pas en jeu un dialogue. Les règles d’un atelier de créativité se caractérisent par l’interdiction d’un échange au moment de l’énoncé des ressentis, étape qui constitue même un non-dialogue, puisque l’on ne peut pas y discuter de la validité de ce qui est dit. Les opinions personnelles ne s’expriment que dans la phase de notation, qui, elle aussi, se fait individuellement, sans discussion donc. Le classement général constitue une représentation intersubjective du sujet traité. Le dialogue est donc réservé à la deuxième phase du travail : la recherche ensemble, et avec débat cette fois, des solutions qui amélioreraient la situation étudiée.

Diapason n’est pas une panacée susceptible de résoudre tous les problèmes. Pour que ce jeu sérieux soit utile, il est nécessaire que l’animateur soit bien formé pour connaître et en éviter ses détournements et dérives possibles. Voici quelques conditions de réussite :

– La finalité du travail doit être claire pour tous les participants.

– Ils doivent accepter de jouer le jeu de noter les énoncés produits suivant leur avis personnel et non en se conformant à ce qu’ils croient qu’on attend d’eux. Un tel conformisme peut mettre en échec la méthode en faisant apparaître beaucoup d’items PAT identiques. Il est aussi possible de sous-noter les tentations parce que les écrire pourrait laisser croire qu’on est tenté par de telles mauvaises pratiques.

– Enfin un participant peut refuser de chercher des préconisations ou de les partager avec les autres ou tout simplement ne pas avoir d’idée pour faire baisser une peur, atteindre l’objectif ou trouver une bonne pratique en remplacement d’une mauvaise. Remarquons que cette dernière situation que nous avons rencontrée, a l’avantage de faire prendre conscience aux participants qu’ils ont besoin d’aide et de conseils à rechercher auprès de personnes compétentes.

Conclusion

Aider à une meilleure connaissance de soi est un préalable à une bonne orientation de ses choix scolaires, universitaires et professionnels. De nombreux tests sont disponibles à cette fin. Nous proposons ici un accompagnement personnel avec une série d’exercices pour aider le jeune à identifier ses qualités qui font de lui un être unique dont il devra déployer les talents potentiels.

Dans un deuxième temps nous avons décrit et donné un exemple d’application de « Diapason » à l’orientation scolaire qui permet au jeune d’expérimenter l’intelligence collective.

Soutenus par cette méthodologie précise et éprouvée, les élèves découvrent une nouvelle façon de s’entraider, les idées des uns venant s’ajouter aux idées des autres.

 La première partie, qui est réalisée chacun pour soi, aboutit à un diagnostic de l’équipe que chacun a contribué à construire.

 La seconde partie permet cette fois un échange qui débouche sur des conseils consensuels pour bien s’orienter. La pertinence des résultats obtenus vient confirmer le bien-fondé de la démarche. Le témoignage des jeunes venant de vivre une session « Diapason » nous montre àquel point ils ont compris l’intérêt de la démarche. Quelle meilleure façon d’inciter à appliquer les conseils ainsi élaborés pour bien s’orienter que d’avoir soi-même contribué à les formuler.

Le rôle complémentaire des deux hémisphères du cerveau expliqueles raisons profondes de l’efficience de la méthode qui part de l’activité de l’hémisphère droit qui accueille les ressentiset se poursuit par la déduction, à travers l’hémisphère gauche, des recommandations visant à atteindre la finalité recherchée en sécurité.

L’application de Diapason au Lycée pendant l’heure de vie de classe, implique une information et une formation des professeurs principaux, pour qu’ils en perçoivent l’intérêt et le domaine d’application. Notre expérience nous confirme que le jeu en vaut la chandelle, ne serait-ce qu’au vu des réactions des élèves.

Il semble que cette démarche contribue à développer, au moment d’opérer ses choix d’orientation, les quatre dimensions de l’anthropologie humaine que nous proposons : rendre le jeune « auteur » de sa communication, « sujet » d’une pensée personnelle, « acteur » dans un projet de vie choisi et « partenaire » dans une équipe. La démarche a permis d’expérimenter la puissance de l’intelligence collective, un acquis pour sa vie entière.

 

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Pour citer cet article

Référence électronique

Christian Bellehumeur, Cynthia Bilodeau et Marquis Bureau, « Orienter les jeunes dans le contexte des changements climatiques : contributions de l’approche basée sur les forces et sur la psychagogie des valeurs », Educatio [En ligne], 13|2022. URL : https://revue-educatio.eu

Droits d’auteurs

Tous droits réservés

 

[1] Gilles Le Cardinal est professeur émérite en sciences de l’Information et de la communication à l’Université de Technologie de Compiègne. Il a écrit plusieurs ouvrages sur la construction de la confiance : « La dynamique de la confiance » (1997, Dunod), « Les dynamiques de la rencontre » (2014, ISTE éditions), « Construire la confiance grâce à la méthode PAT-Miroir » (2o21, éditions du Bien Commun), » Revitaliser la démocratie » (2021, éditions du Bien Commun). La société Cooprex-international qu’il a créé en 2012 avec Christophe Machu, propose tous les mois une formation à l’animation du jeu sérieux « Diapason » : «  copprex-international.com ».

[2] L’intelligence de la complexité, E. Morin, J-L Le Moigne, Paris, L’Harmattan, 1999.

[3] Types psychologiques, Carl Jung, Essai (Poche), 2021

[4] The whole brain business book, Ned Herrmann, Éditions Mac Graw Hill, 1996

[5] The master and his emissary, Iaian Mc Gilchrist, 2009