Thierry De La Garanderie
Lettres à un jeune enseignant.
Chronique sociale, 2025, 88 p.
A travers cette relation épistolaire se raconte et se poursuit une quête : qu’est-ce qu’être enseignant ? Sous forme de dix-neuf lettres à un jeune enseignant, l’auteur cherche à transmettre l’héritage de ses expériences et à partager ses rêves.
L’enseignant, être inconstant, incomplet, en évolution, ne cesse de le devenir. Enseigner n’est pas donné mais s’apprend tout au long d’une vie de professeur. L’apprentissage est continu et… joyeux pour peu que l’apprenti permanent, être d’espérance – refusant de se laisser envahir par les inquiétudes, de joindre sa voix aux paroles de démission, de céder au pessimisme ambiant – s’offre pour horizon des « situations d’accordement entre lui et les élèves, entre lui et le savoir, entre les élèves et le savoir ». Cet être de relation et de mise en relation compose avec les circonstances, saisissant les conditions éducatives comme opportunités pour cultiver son art. Ainsi , loin de se lamenter devant l’IA, la distraction des élèves ou encore leurs piètres résultats à la dernière évaluation, son intelligence pédagogique voit en la première une alliée, se sert de la seconde pour les conduire vers une attention soutenue, et fait en sorte que la troisième (l’évaluation) relève d’un dialogue où enseignant et enseigné s’interpellent sur leurs chemins respectifs : « voilà le chemin que tu dois accomplir pour répondre aux exigences d’une progression pédagogique » « voilà le chemin que vous pouvez suivre pour mieux m’accompagner ».
Faisant confiance à sa plasticité, il conjugue anticipation de son cours – de la scène qui va s’y jouer – et ouverture aux improvisations : les siennes (en fonction de la plus ou moins grande souplesse du metteur en scène : les autorités rectorales) et -surtout- celles des élèves interprétant le jeu d’un savoir inépuisable. Cette interprétation, expression de la liberté de l’élève, il l’espère, l’attend, l’encourage. Il sait taire son « soi connaissant », s’effacer, pour mieux observer, accueillir les diversités cognitives des élèves, et ouvrir chacun et à lui-même comme sujet connaissant et aux significations des savoirs enseignés. Connaître est une manière d’être au monde, une manière de se l’approprier, de l’habiter, d’être présent. L’enseignant interprète son chemin de connaissance et ceux des élèves, ses actes de connaissance et ceux de ses protégés. Mieux. Il initie chacun, via l’introspection, à la compréhension de soi connaissant et à la compréhension de l’objet à connaître. L’intelligence pédagogique déployée par l’enseignant est sensible aux nuances dans les modalités de connaissance et d’attention des élèves aux savoirs, ce qui le conduit à solliciter « de façons différentes sensation, perception et intellection ». L’enjeu de ces variations est de taille : permettre au jeune de faire d’un savoir académique en soi un objet de connaissance pour soi. Il s’agit de « permettre à l’élève de se redresser », non de « se noyer dans la présence du savoir ».
Certes il est essentiel que la mission de l’enseignant auprès des enfants de la République soit encadrée et contrôlée. Pour autant, il peut se donner un horizon politique. Thierry de La Garanderie, utopiste joyeux, ouvert sur l’avenir, nous partage le sien, celui d’une autogestion : « ne sommes-nous pas, nous enseignants, les plus habilités pour parler de notre métier et des conditions d’exercice de notre art ? Pourquoi sont-ce toujours des personnes extérieures à notre pratique qui nous imposent les règles de conduite et qui viennent ensuite nous évaluer pour garantir que nous respections bien ces règles que nous ne nous sommes mêmes pas données ? (…) Soyons donc, nous enseignants, auteurs, metteurs en scène, acteurs de notre ministère, devenons responsables de nous-mêmes ».
Au terme de cette recension, me viennent les mots de Bernanos en exil au Brésil : « l’espérance est une détermination héroïque de l’âme, et sa plus haute forme est le désespoir surmonté » (conférence du 22 décembre 1944 à Rio de Janeiro). Butinant de lettre en lettre, le lecteur trouvera dans ce maître livre l’audace de risquer l’espérance. A lire et à relire donc.
Bertrand Bergier
21 janvier 2025