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Michel de Boucaud
Les routes de l’Ecole

Tournai – Editions Fortuna – 2016 – 240 p.

Professeur de psychologie clinique à l’université de Bordeaux, M. de Boucaud expose ici de façon minutieuse et détaillée, à partir de sa propre activité, l’histoire mouvementée et complexe des relations entre l’Ecole Catholique et l’État. Selon son expression même, il s’agit d’une « chronique », qui « se propose de présenter les dynamiques et les tribulations des familles et de l’Enseignement Libre », (p.9)à partir des archives, de documents et de témoignages disponibles, comme de son rôle d’acteur au sein des APEL.

Ouverte par un avant-propos du Cardinal Ricard, cette « chronique » raconte une période de suractivité, marquée par la plus grande vigilance concernant les risques et les menaces d’atteinte à la liberté des familles. Elle commence en 1972, car c’est alors que M. de Boucaud est entré au Conseil d’Administration de l’APEL d’un lycée bordelais. A partir de cette date, il recense et analyse tous les débats, négociations et controverses auxquels il a été associé, tant en Gironde qu’à Paris.

Néanmoins, c’est évidemment à partir de 1981 que les tensions se renforcent, autour de la notion d’un « grand service public et unifié de l’Education Nationale », dont l’ambiguïté nourrit fortement l’inquiétude. L’auteur reconstitue, presque au fil des jours, et avec de longues citations de textes, la suite ininterrompue de rencontres, discussions, négociations et réunions publiques qui se déroulèrent pendant ces années, mais dont on ne saurait rapporter ici le détail, pour sauver une « association sans assimilation ». M. de Boucaud rend ici un hommage appuyé à Pierre Daniel pour la sagesse avec laquelle il a su combattre toute formule qui aurait compromis le caractère propre de l’Enseignement Catholique, sans créer des solidarités ou des amalgames politiques inopportuns. De même sait-il restituer et faire sentir le climat, à la fois lourd et effervescent, de cette période, comme décrire la genèse des manifestations qui se sont déroulées dans toutes les grandes villes de France, notamment à Bordeaux, et surtout celle, historique, du 24 juin 1984, qui devait entraîner le recul du gouvernement.

Sans doute regrettera-t-on quelques rapidités d’écriture, comme une densité abusive qui, oscillant constamment du plan local au plan national, s’avère un peu touffue et alourdie par de trop nombreuses et trop longues citations. Il reste que cet ouvrage apporte une contribution originale à la connaissance d’un épisode à la fois significatif et déterminant de l’histoire de la pédagogie chrétienne. Et l’on remerciera M. de Boucaud de cette recherche, qui est, en même temps, un beau témoignage personnel. Il souligne à bon droit que la cause de la liberté n’est jamais définitivement sauvée, mais requiert une incessante vigilance.

Guy Avanzini

 

Jean Baubérot
Les 7 laïcités françaises

Paris – Editions de la Maison des Sciences de l’Homme – 2015 – 176 p.

Parmi les (trop) nombreuses et très inégales publications que la conjoncture a suscitées sur la laïcité, il s’impose de retenir celle d’un spécialiste reconnu, dont on appréciera à bon droit la précision d’une information solidement référencée et la clarté de l’exposition. Plus encore, on lui saura gré d’un sous-titre qui tranche avec le dogmatisme officiel : « le modèle français de laïcité n’existe pas ». Loin d’être immuable, stabilisée et offerte à ce titre à la vénération de l’opinion[1], il s’agit d’une notion qui, à partir d’une intuition fondatrice, pertinente, cherche ses assises et son point d’équilibre. Au terme d’un minutieux inventaire, l’auteur en a en effet recensé et identifié « sept lectures », bien différenciées :

La première, qu’il estime minoritaire (p 27), assimile la laïcité à l’anti-religion et entend combattre le christianisme comme un fléau irrationnel et obscurantiste. Quoique soutenue par certains au Parlement en 1905, elle y fut largement repoussée. Néanmoins, elle demeure dans l’aspiration de ceux qui militent en faveur de la marginalisation radicale des religions. Elle est alors traitée comme une philosophie de l’irréligion, voire de l’athéisme, que ses zélateurs (cf. par ex. Michel Onfray) souhaitent établir. Et c’est cette prétention qui demeure sans doute aujourd’hui le facteur premier des conflits et des controverses en la matière.

Bien différente est la lecture « gallicane », qui avait notamment la faveur d’Emile Combes. Ici, le politique ne veut pas tant combattre le religieux que le neutraliser, en le mettant à son service. Il s’agit de séparer l’Eglise non pas de l’Etat, mais de Rome, en la plaçant sous la tutelle du gouvernement. Aussi bien, tel peut être l’objectif d’un concordat limitant le pouvoir du Pape, notamment pour la nomination des Evêques. Pour ses partisans, la laïcité-séparation est même dangereuse, car elle émancipe abusivement l’Eglise… Ce courant a tendance à renaître sous des formes diverses. De nos jours, le désir de contrôler la formation des imams et de divers aumôniers en est sans doute un aspect.

On en vient alors aux « laïcités historiques », celles qui préconisent « la Séparation » : car il y en a deux ; et, en 1905, c’est celle d’Aristide Briand, soutenue par Jean Jaurès, qui l’emporte sur Ferdinand Buisson : si l’une et l’autre récusent tant l’acception anti-religieuse que le gallicanisme, ils n’entendent pas identiquement la « séparation ». Le fameux « ajout » à l’article 4 fut adopté malgré l’avis du second qui y voyait une concession contradictoire aux Eglises en subordonnant la dévolution des biens aux associations culturelles ayant adopté « les règles générales de culte dont ils se proposent d’assurer l’exercice (p.62), faute de quoi elles n’en deviendraient pas affectataires. L’autre conception, au contraire, ne prévoyait pas cette clause ; ce sont bien des visions distinctes ; celle qui fût retenue implique, de facto, la prise en considération de la structure institutionnelle des confessions. Aussi bien, M. Baubérot montre comment, depuis, les positionnements distincts de la Libre Pensée et de la Ligue de l’Enseignement réfractent et prolongent cette dualité.

Mais voici qu’émerge une 5ème lecture, la « laïcité ouverte » au scandale de ceux pour qui cette qualification est quasi blasphématoire, tant il leur paraît évident qu’elle ne saurait être « fermée » ! Moins rigoureusement circonscrite que les précédentes, elle est cependant explicitement anti-sectaire, « anti-laïciste ». Due sans doute, notamment, à l’influence de Paul Ricœur, comme à la Déclaration de novembre 1945 de l’Episcopat Français, elle pourrait être définie comme celle qui, acceptant pleinement la « Séparation », revendique pour toutes les conceptions philosophiques et religieuses le droit de s’exprimer librement et de se faire valoir au sein de la société civile et dans tous ses débats. Dès lors, elle peut rencontrer un problème précisément très « ouvert » de nos jours : elle se réserve évidemment le droit entier de considérer comme illégitime une loi qui, régulièrement promulguée, contredit un impératif de la morale chrétienne.

Quant à la sixième lecture, elle introduit une nouveauté paradoxale : alors que, en France, la laïcité est traditionnellement « à gauche », voici désormais qu’elle est annexée par la droite, sinon l’extrême droite, qui l’invoquent pour limiter l’invasion qu’elles redoutent de l’Islam et de l’immigration maghrébine. D’où, notamment, la pesante controverse sur le « port du voile ». Ainsi se revendique une « laïcité identitaire », dont les promoteurs veulent préserver des dérives d’une hétérogénéisation culturelle abandonnée à elle même et susceptible, à leurs yeux, d’induire la dilution de la nation. Mais, liée à des problématiques confuses, qui la débordent, cette revendication se trouve menacée d’implosion, de sorte que « elle ne fait pas l’unanimité à droite, loin s’en faut » (p. 118).

Enfin, la septième et dernière renvoie au régime contradictoire des diocèses de Strasbourg et de Metz, fortement attachés à leur « droit local ». Certes, cela n’a pas manqué de choquer les « juristes » et plusieurs tentatives ont sans succès essayé de le supprimer au nom d’une vision uniformisatrice de l’Etat. Déjà, en 1924, le gouvernement Herriot dû reculer devant la force de la résistance catholique et, entre 1952 et 1957, les négociations engagées par Guy Mollet échouèrent à leur tour. Quant à certaines collectivités territoriales d’Outre-mer, aux Antilles, en Guyane ou dans le Pacifique, elles bénéficient aussi d’un statut dérogatoire, qui ne va sans heurter les visions unitaristes.

Sept : c’est un nombre parfait ! Encore cet inventaire n’est-il pas nécessairement clos, car d’autres lectures peuvent se manifester dans l’avenir. Du moins cette approche, menée en référence à la notion wébérienne d’idéal-type, a-t-elle le mérite d’introduire, à propos de cet objet insaisissable, une intelligibilité éclairante et salubre. Ainsi aide-t-elle à comprendre pourquoi une notion, dont E. Poulat aimait à dire qu’elle avait vocation à favoriser le vivre ensemble d’une société pluraliste, ne cessait d’y maintenir controverse, affrontement, ressentiment et rancœur. C’est particulièrement le cas entre la première et la deuxième lecture, beaucoup s’efforçant de faire croire que la laïcité signifie le rejet méprisant de tout référent religieux.

Peut-être se demandera-t-on d’ores et déjà si la série de ces sept lectures parvient à -ou suffit à- intégrer toutes les données. Ne sollicite-t-on pas un peu les faits, en cherchant à les contraindre de se situer au sein de cette grille ? Celle-ci ne comporte-t-elle pas une exigence de cohérence que déborde la variété des faits, des courants de pensée et de positionnement des personnes et des institutions ? Enfin, selon le vœu de l’auteur, verra-t-on venir le jour d’une laïcité « articulant l’attachement à ses convictions propres et la capacité de prendre une certaine distance avec elles pour considérer l’autre avec empathie !  » (pp 160-161)? Pourra-t-on « induire un grand débat public et trouver quelques propositions fortes » (p. 163). Ne serait-ce pas préférable aux pressions idéologiques d’aujourd’hui et aux propos simplistes sur « les croyances ».

Guy Avanzini

 

[1]cf. pp. 12-15

Maria Montessori
Dieu et l’enfant, et autres écrits inédits

Parole et Silence – 2015 – 250 p.

La pensée religieuse de Maria Montessori demeure mal connue, malgré la place majeure qu’elle occupe dans son oeuvre. Freinée dans son expression par le souci de ses relations avec le Saint-Siège, surtout après la publication, en décembre 1929, de l’Encyclique Divini Illius Magistri, elle doit aussi se défendre de la pression du fascisme. Et, en France, vu le laïcisme ambiant, son influence sur la pédagogie de l’Ecole Maternelle s’accompagne de l’occultation de sa dimension chrétienne, au point que celle-ci est ignorée même dans certains établissements officiellement Montessoriens, au mépris de son rôle, direct ou indirect, dans le mouvement du renouveau catéchétique. C’est dire l’intérêt que présente la parution, enfin, en français, de l’étude sur « Dieu et l’enfant », accompagnée de quelques fragments, sans doute écrits en 1939, en vue d’un livre qui ne fut jamais achevé ni publié. Aussi bien, la complexité et l’obscurité de ce contexte donnent à la présentation de Fulvio de Giorgi un caractère un peu embarrassé.

Quoi qu’il en soit, ce texte bref -environ 45 pages- met bien en évidence l’originalité et la force de la conception montessorienne de l’éducation religieuse : celle-ci ne consiste pas à tenter d’inventer une « méthode active » de l’enseignement de la doctrine mais, beaucoup plus fondamentalement, à introduire à une expérience du vécu liturgique. En outre, ce document lui offre l’occasion de formuler l’essentiel de ses vues sur l’éducation de l’enfant et de la considération due à sa nature, à ses besoins, à son dynamisme endogène. Respecter l’enfant, c’est une façon de respecter Dieu. Que de parents et d’éducateurs auraient bénéficié à méditer ces pages !

Le regret porte seulement sur leur brièveté, car on aimerait les voir approfondies et précisées. On ne s’étonnera pas de leur insistance un peu réitérée sur la thématique du pêché originel, évidemment due au désir de ne pas s’exposer à l’objection des théologiens qui reprochaient volontiers à l’Education Nouvelle de négliger la tendance pécheresse de l’être humain et de céder à l’angélisme. En revanche, on souhaiterait une approche plus soutenue du concept de nature ; Et, s’il est légitime d’insister sur la différence psychologique entre l’enfant et l’adulte, encore faut-il saisir comment celui-là devient celui-ci, autrement dit rendre compte de la genèse. Enfin « le droit de l’enfant à une éducation saine » (p.64)et la satisfaction de ses « vrais besoins » (id)appellent une critériologie faute de laquelle l’éducateur risque le désarroi ou la négligence. Il reste que cette publication aidera à élaborer une vraie synthèse de la pédagogie montessorienne, dont les convictions unifiantes appellent une identification plus systématique.

Guy Avanzini

Jean-Pierre Putois
Petit trésor des catéchismes diocésains

Ed. Via Romana -2017 – 564 p.

Cet ouvrage paradoxal s’inscrit doublement dans le débat pédagogique actuel : d’une part, en effet, il réactive allègrement les polémiques soulevées par la transformation du catéchisme en catéchèse, convaincu des mérites du premier et des « dangers » de la seconde ; d’autre part, et simultanément, il nourrit le débat entre les adeptes proclamés de la transmission des contenus culturels et ceux qui sont censés préférer les « méthodes nouvelles » : c’est le conflit entre les réputés « républicains » et les réputés « pédagogues ». Mais cette distinction est dépourvue de signification : comment concevoir des méthodes qui ne viseraient pas la transmission d’un objet ou, inversement, une transmission qui ne chercherait pas la démarche la plus efficace ? Aussi bien, le catéchisme d’autrefois mobilisait une méthode claire et identifiée, sous la forme de questions et réponses, qui impliquait mémorisation et récitation « par cœur ».

Quoi qu’il en soit cette anthologie est précieuse et bien intéressante, car elle rappelle le souvenir de ces catéchismes diocésains élaborés à la suite du Concile de Trente et utilisés pendant trois siècles, jusqu’à la promulgation d’un  Catéchisme National, en 1937, et aux évolutions ultérieures. A cette lecture, les moins jeunes reconnaîtront aisément la manière dont ils ont été instruits de la Religion. Et l’on saisira aussi le bien-fondé des remarques de Joël Molinario sur la disparition d’une transmission familiale qui donnait sens à la forme scolaire de la leçon de catéchisme[1], alors que, celle-ci, au sein d’une société sécularisée, déchristianisée et déclinante, devient d’autant moins recevable que son formalisme et sa rigidité heurtent la spiritualité contemporaine, plus sensible à l’image d’un Dieu miséricordieux. Encore aurait-on souhaité que les demandes d’élaboration de ce « petit trésor » soient exposées, sa méthodologie plus précise et son système de références plus explicite. Il reste que cette très volumineuse publication prolonge et alimente à sa manière une problématique qui traverse l’histoire et déborde son objet.

Guy Avanzini

[1]J. Molinario in Revue Transversalités– N° 141 – Avril-Juin 2017 ; cf aussi, du même auteur, le catéchisme, une invention moderne – Paris – Bayard – 2013.

Sr Marie-France Carreel, r.s.c.j.,
Sainte Philippine Duchesne : aller semer l’Evangile par de-là les frontières

Editions jésuites – Paris – 2017 – 78 p.

C’est l’intrépidité d’une religieuse missionnaire vouée à l’éducation des indigènes que, dans l’attachante collection Fidélité, expose Sr Marie-France. Elle-même docteur en sciences de l’éducation avec une thèse sur Sophie Barat, elle restitue ici, avec maîtrise, l’aventure de SaintePhilippine Duchesne qui, voilà exactement 200 ans, embarqua pour l’Amérique avec quatre autres religieuses, afin de christianiser les filles indiennes.

Issue de la meilleure bourgeoisie dauphinoise, cette jeune grenobloise, née en 1769, commence ses études chez les Visitandines du célèbre monastère de Sainte Marie d’en Haut, qui domine l’Isère. Et là, toute jeune, elle rêve déjà d’aller catéchiser les indigènes, voire de subir le martyr. A 18 ans, elle entre au noviciat, mais bientôt, en 1793, la communauté est dispersée. Ne pouvant faire profession, elle s’emploie à aider les détenus de la Terreur puis s’adonne à l’éducation de quelques « enfants des rues », dont la rusticité ne manque pas de lui être pénible… Elle peut enfin, en 1801, retourner au couvent et y installer un petit pensionnat de filles ; mais son statut demeure précaire et indécis. Néanmoins, elle apprend providentiellement que Sophie Barat prenait à Amiens l’initiative d’une Congrégation, dans laquelle elle entre en 1804 et au sein de laquelle elle fait profession perpétuelle dès 1805.  Son désir demeurait cependant d’aller parmi les « infidèles ». Du fait de divers circonstances, ce n’est qu’en 1818, âgée déjà de 49 ans, qu’elle peut enfin partir pour l’Amérique, où l’Evêque de la Louisiane, Mgr Dubourg, souhaitait ouvrir une école. Toutefois, après plusieurs mois de voyages éprouvants, les déconvenues se multiplièrent : difficultés d’ordre pratique, imprévisibilité de certaines décisions épiscopales, oppositions d’origines inégalement chrétiennes, immensité du pays, lenteur des communications avec la Maison-Mère ; souvent, un an s’écoule entre l’envoi d’une demande et la réception d’une réponse. Mais la pire déception tient à ce que les écoles qu’elle ouvre ne peuvent d’abord scolariser que des américaines, cela la démoralise, même si elle trouve du réconfort dans la prière.  Et de fait, les 6 établissements qu’elle parvient à créer entre 1819 et 1826, voient arriver quelques païennes, à qui elle peut annoncer Jésus Christ. Et leur proportion ne va cesser de croître.

On lit avec intérêt et émotion ces pages qui restituent de manière dense et précise l’effort incessant d’une missionnaire que le zèle des âmes ne cesse de motiver. En particulier, le 5ème chapitre présente la spiritualité adoratrice d’une religieuse qui voulait faire partout connaître l’amour du cœur de Jésus, qui l’a elle-même saisie. Certes, au premier regard, « il semble que Philippine Duchesne se soit livrée à un vrai parcours d’obstacles » (p. 57). Mais l’on admire la fécondité et la courageuse ténacité d’une démarche, qui prolonge à sa manière celle de Marie de l’Incarnation. Aussi doit-on être reconnaissant à Sœur Marie-France de ce beau petit livre, solidement référencé et documenté.

Ajoutons que l’auteur et Sœur Carolyne Osiek, également r.sc.j., viennent de publier – Philippine Duchesne, pionnière de la frontière américaine 1769-1852 – Œuvres complètes. Ed. Brepols – Turnhout (Belgique) – 2 vol. – 1750 p.  – Ces volumes, qui rassemblent 656 lettres et divers textes de Ste Philippine, apportent de nombreuses informations sur sa vie et son action.

Guy Avanzini

 

Christophe Carichon
Saint Salomon Leclercq

Paris – Editions Artège – 2016 – 128 p.

Bien que Frère des Ecoles Chrétiennes, ce n’est pas à un apport original à la pédagogie que le Saint Frère Salomon doit la gloire de sa récente canonisation, le 16 octobre 2016. Originaire de Boulogne-sur-Mer, il était entré dans l’Institut Lassalien en 1767, pour sauvegarder sa fidélité chrétienne, menacée par la corruption environnante ; et ce, malgré l’opposition de certains membres de sa propre famille fermement hostiles à une éducation scolaire des enfants du peuple, qu’ils estimaient inutile, sinon dangereuse. Quant à lui, il n’eut que pendant environ 5 ans la charge d’une classe, c’est-à-dire, vu l’époque, de 130 élèves, puis d’une « pension de force, destinée à des sujets difficiles ou « libertins », dont leurs parents désespéraient. Très vite, il fut appelé à d’autres fonctions, d’abord comme responsable du noviciat, donc de la formation des jeunes Frères, puis comme procureur du gros établissement de Maréville. Il fut ensuite le secrétaire du Supérieur Général, le célèbre Frère Agathon, et, enfin et surtout, secrétaire général de l’Institut.

Mais voici que bientôt allaient commencer la révolution de 1789 et la persécution antireligieuse qui y fut liée. Horrifié par ces événements, le Saint Frère Salomon refuse fermement de prêter le « serment civique » imposé en mars 1792 aux enseignants, comme tout contact avec les prêtres jureurs. Se cachant à Paris, il rassemblait clandestinement des informations pour le Frère Général, demeuré à Melun, et il eut la joie d’y rencontrer le Père de Clorivière au moment où celui-ci fondait secrètement ses propres sociétés religieuses, spécialement celle des Filles du Cœur de Marie.

Cependant en avril 1792, l’assemblée législative vota la suppression de l’Institut. Dénoncé pour ses activités, Frère Salomon fut arrêté le 15 avril et emprisonné au Couvent des Carmes de la rue de Vaugirard. C’est là que, dès le 2 septembre suivant, une horde haineuse allait le massacrer en même temps que 113 autres prêtres, religieux et laïcs, incarcérés avec lui. Le tragique épisode fait de lui le premier martyr canonisé de la révolution. Au delà du pédagogique, il est éducateur par l’exemple impressionnant de son inaltérable fidélité.

Guy Avanzini

Sylvie Bernay
Femmes de Dieu : l’aventure de la vie consacrée féminine

Paris – Editions de l’Emmanuel – 2016 – 236 p.

L’objectif de l’auteure n’est pas d’ordre pédagogique. Il émane du regret que suscite chez elle l’absence d’un ouvrage de synthèse, qui présenterait « une histoire générale de la vie consacrée féminine » (p. 77). Son désir est de combler cette lacune et de réparer cette omission. C’est pourquoi, elle-même consacrée au sein de l’Emmanuel, elle a rédigé ce gros volume, qui étudie le sens, la raison de la constance, dès les origines du christianisme, et l’ampleur de ce véritable phénomène social que constitue l’émergence toujours renouvelée de l’engagement religieux féminin.

On appréciera d’emblée et à bon droit la réalisation de ce beau projet, la surabondance et la précision des informations rassemblées et, plus encore, le souci de souligner et de mettre en évidence le lien entre le type de fondation d’une époque déterminée et son contexte socio-pastoral et ecclésial, en particulier lors des périodes de renouveau et d’essor, due notamment à la diffusion internationale assumée par les Congrégations Missionnaires, sans exclure celles qui se consacrent, exclusivement ou partiellement, à l’éducation et à la scolarisation. Et l’on remarque spécialement le mouvement du XIXème siècle, cet « âge d’or des religieuses françaises » dont parle Gérard Cholvy. Au fil de la lecture, on admire la richesse de l’inventivité ainsi déployée, le courage des initiatives, l’intensité du sens spirituel et l’engagement plénier et inconditionnel de ces femmes données à Dieu dans le service du prochain. C’est un bel hommage qui est ainsi rendu aux personnes consacrées et à l’héroïcité de tant d’entre elles.

On regrettera seulement que la complexité du sujet ait, ici ou là, faussé le plan du développement, en particulier le positionnement des pages 214 et sq. sur Thérèse de l’Enfant Jésus et Elisabeth de la Trinité. Globalement, l’approche du XXème siècle manque du peu de recul. De même les problèmes canoniques liés aux vœux et à la clôture mériteraient-ils une analyse plus poussée. Enfin, il manque un index.

Ce beau livre paraît dans un contexte qui se veut délibérément valorisateur de la femme et de son rôle dans l’histoire des sociétés. Mais voici que, simultanément, un courant inverse se manifeste. Ainsi, un récent article du Monde : « des catholiques veulent rendre à l’Église sa virilité. Des laïcs et des prêtres multiplient les stages pour aider les hommes à se réconcilier avec leur masculinité » (mercredi 28 décembre 2016, p. 0) : ces textes disent la plainte de ceux qui déplorent une « féminisation de la vie en Eglise » (id.). Il n’y a évidemment pas, ici à trancher entre ces deux thèses. Du moins importe-t-il de signaler leur dualité.

Guy Avanzini

Philippe Maxence
Baden-Powell

Paris – Ed. Perrin – 2016 – 500 p.

L’essor rapidement mondial du scoutisme, sa compatibilité avec les contextes socioculturels et socio-éducatifs les plus variés et sa vitalité qui demeure depuis plus d’un siècle justifient de se demander à quoi cela est dû. C’est la question que l’on se pose à nouveau à l’occasion de la parution de ce volumineux ouvrage. Comment expliquer le paradoxe d’un mouvement de jeunesse qui résiste au bouleversement de nos sociétés ?

Si ce n’est pas explicitement à cette question qu’il répond, du moins M. Maxence ne manque-t-il pas de l’éclairer par cette approche biographique très informée, approfondie et minutieuse, qui reconstitue dans le détail la vie de Baden-Powell, tout en signalant au fil des pages les traits et les valeurs qui préfigurent ceux que devait bientôt promouvoir le scoutisme. « Sa scolarité est médiocre » (p.581),et déjà émergeait un certain anti-intellectualisme, que la suite confirmera. A défaut, « il progresse au football » (p.57)… et se découvre de plus en plus homme d’action, voire hyperactif. Cela autorise à dire que, « avant d’être une pédagogie écrite et formalisée, le scoutisme a été vécu par son fondateur » (p. 64). Adulte, il entre dans l’armée et devient officier, ce qui l’amène à de nombreux séjours outre-mer, spécialement, en Inde et en Afrique du Sud, et à alterner les périodes monotones de la vie de garnison -dont il se distrait par la chasse au sanglier- et les épisodes de combat, vu les guerres coloniales que menait alors la Grande-Bretagne. Du moins critique-t-il la discipline imposée et « l’encadrement militaire » (p.122) ;Mais, fort de batailles qui lui assurent du prestige ; Il est promu général à 43 ans et, en 1903, est nommé Inspecteur Général de la Cavalerie.

A la page 289 de l’ouvrage, on arrive à la seconde  période de sa vie , celle qui est marquée par la fondation et le développement du scoutisme ; en 1906, il entreprend la rédaction d’un ouvrage, vite devenu célèbre, sur l’éducation des garçons par le scoutisme, et, en mai 1907, il se risque à abandonner ses fonctions dans l’armée pour se consacrer exclusivement à la direction et à l’animation du mouvement, dont le fameux camp inaugural allant vérifier et valider la formule. Il s’agit alors désormais, pour lui, de veiller à une unité d’inspiration et de pensée que pouvaient néanmoins compromettre dissidences, jalousies, rivalités et contre-sens. Il s’agit notamment de réagir aux tentations -ou aux accusations- de militarisme et aux « exercices abêtissants »(p. 320)que préconisent, notamment, les régimes totalitaires. Ce sont sa résolution, sa fermeté, son autorité propre qui permettent de sauver l’idéal d’une « virilité chrétienne » (p.284)vécue au quotidien, et pas seulement « professée le dimanche » (p.360).

Au terme de la lecture, on ne peut qu’admirer l’érudition de M. Maxence et sa méticuleuse restitution d’une histoire dense et complexe. Les annexes, le glossaire et la bibliographique de et sur Baden-Powell seront aussi justement appréciés : l’information ainsi réunie favorisera la compréhension de ce phénomène social que constitue le scoutisme. Force est cependant de regretter  l’absence d’une reconstitution de sa pédagogie. Si ses traits majeurs ont été identifiés et signalés, aucune synthèse n’en est esquissée. Et pourtant, toutes les données requises sont présentes : ce mouvement procède d’une axiologie originale, d’une anthropologie qui ne l’est pas moins et d’une inventivité spectaculaire. On aimerait aussi voir étudier ses liens avec les théoriciens de l’Education Nouvelle, comme avec les Eglises. Et il serait souhaitable de préciser également dans quelle mesure et en quel sens il s’agit d’une pédagogie chrétienne.

Guy Avanzini

 

Sylvie d’Esclaibes
Montessori, partout et pour tous

Ed. Balland – 2016 – 332 p.

Voici un livre extraordinaire, du à une personnalité hyperactive et volubile, enthousiaste et chaleureuse, qui célèbre avec ferveur les louanges de la pédagogie Montessorienne, telle qu’elle la perçoit et la pratique. Directrice d’un lycée qu’elle a fondé pour en diffuser les bienfaits, elle n’a cessé d’en découvrir les mérites. Mais, même si cette adhésion passionnée pourrait sembler excessive, elle ne doit pas empêcher de discerner aussi la pertinence globale de son propos.

La première partie (100p.)est autobiographique. Mme d’Esclaibes raconte avec plaisir et assurance son enfance, sa famille et, surtout, sa découverte enflammée de Maria Montessori ; Ainsi, elle sait comment remédier à la médiocrité dépressive de la pédagogie officielle usuelle, normative et contraignante, dont elle entend protéger ses propres enfants, qu’elle veut heureux et épanouis. Si elle est un peu touffue et redondante, cette narration se présente comme une sorte d’hymne à la joie, associé à la libre réflexion qui la nourrit.

La deuxième partie, de même longueur, expose les « piliers » de la doctrine. Sans doute -mais on retrouve cela chez beaucoup de Montessoriens- affirme-t-elle un peu facilement sa « scientificité » due à une «démonstration » (p. 110)mais les principes fondamentaux sont clairement identifiés et argumentés : ainsi en va-t-il de l’insistance sur le respect dû à l’enfant, sur la bienveillance confiante et le « regard positif » à adopter sur l’importance de « l’émotionnel », sur l’affection à éprouver à son égard, sur l’éducabilité : elle rappelle ces données qui rejoignent celles de Don Bosco (p.230) ;  Cela est requis pour assurer le bonheur, l’épanouissement et le développement de chacun. Et l’on déplore, avec l’auteur, que trop d’enseignants ignorent ou rejettent ces thèmes dont l’adoption serait requise pour assurer un vrai nouveau départ, qui serait non seulement formel ou idéologique, si nombreux demeurant ceux qui, à leur insu, pratiquent un sélectionisme élitiste.

La troisième partie, enfin, présente des « études de cas » : enfants en difficultés, ou en échec, que l’Ecole Montessori a souvent mis sur la voie de l’essor personnel. Ces dossiers sont bien choisis et judicieusement analysés. Ils confirment le rôle décisif de l’éducateur qui croit en l’enfant et est heureux de l’accompagner. On souhaiterait cependant, pour mieux situer l’entreprise du lycée, une analyse sociologique du milieu de ces élèves, pour voir dans quelle mesure, objectivement, il est de nature à faciliter leur travail. Même si son exubérance prête parfois à sourire, ce propos, animé par une foi inaltérable et l’éducation, contraste brutalement avec l’actuelle tonalité morose de la pédagogie et de l’Ecole, en proie à un climat découragé et dépressif, dans lequel on va jusqu’à s’interroger sur la possibilité même d’éduquer. Or cette confiance n’est pas fortuite et ne tient ni à une euphorie naïve, ni à un optimisme aveugle. Elle provient de ce que Mme d’Esclaibes dispose d’une doctrine qui non seulement anime mais fonde sa pratique. D’une part,  elle a une finalité claire et explicite qui est simultanément « une passion » : « avoir comme principal objectif le développement de l’autonomie et de la confiance en soi… » (p. 330) ; d’autre part, elle dispose d’une anthropologie : elle croit au potentiel, à l’éducabilité de chacun.

Ce livre souffre de certaines négligences d’ordre formel : typographie et ponctuation défectueuses, écriture compacte et peu soignée. Par ailleurs, aucune précision n’est donnée sur les relations entre le lycée et les organisations montessoriennes « officielles ». Enfin et surtout, on s’étonne de l’omission complète de toute évocation d’une éducation religieuse, malgré le caractère intrinsèquement chrétien de la pensée Montessorienne. Celle-ci se trouve ainsi amputée d’une dimension centrale dans les écoles publiques, qui n’en mobiliserait que le matériel et les pratiques didactiques, en méconnaissant ou en rejetant ce dont elles procèdent. Or, qu’on le sache ou le veuille ou non, c’est une pédagogie chrétienne, greffée sur l’Evangile. Aussi bien, c’est dès 1929, à l’école de Barcelone, que l’énoncé de sa finalité spirituelle inaugure le renouveau de la formation religieuse, dont la portée s’avérera décisive sur la pédagogie catéchétique du XXème siècle[1] ! Mais, même si ce silence étonne, il faut néanmoins recommander la lecture de ce livre spécialement aux déprimés, fatalistes et résignés, pour réanimer leur volonté d’éduquer.

Guy Avanzini

 

[1]Dictionnaire historique d’éducation chrétienne, notices n° Co 11 et m 081.

Monseigneur Luc Crépy et Sœur Marie-Françoise le Brizaut
Saint Jean-Eudes : ouvrier de la nouvelle évangélisation au XVIIème siècle

Paris – Editions Jésuites – 2016 -132 p.

Saint Jean-Eudes n’est généralement pas perçu d’abord comme un pédagogue, mais bien plutôt comme un missionnaire passionné, spécialement au sein du monde rural, et comme un artisan du renouveau spirituel du 17ème siècle, en lien avec Bérulle et l’Ecole française de spiritualité. Et cependant, c’est précisément cette expérience de prédicateur qui l’a rendu attentif à deux types de misère qui allaient l’amener à des initiatives d’ordre éducatif. La première est à l’intention des prostituées et des filles en danger moral ; elle le conduisit à créer à leur intention en 1641, à Caen, un « refuge » dont allaient ensuite émaner la Congrégation de Notre Dame de la Charité, puis celle du Bon Pasteur d’Angers. Toute différente, la seconde est, dans la dynamique du Concile de Trente, de créer moins des collèges que des séminaires, pour améliorer la formation défaillante du clergé séculier. Cela allait lui faire quitter l’Oratoire, pour susciter en 1643 la Congrégation de jésus et Marie, « les Eudistes », vouée à la préparation spirituelle des prêtres, dont la qualité est requise pour assurer aux missions leur portée. En outre, pour non formel qu’il soit, son incessant ministère au sein des paroisses comme son rôle de catéchèse et de directeur spirituel constituent bien, également, une activité foncièrement éducative.

Sans doute est-ce l’actuel désir de certains de le voir déclarer « Docteur de l’Eglise » qui est à l’origine de ce livre, dû à Monseigneur Crépy, évêque du Puy, lui-même eudiste, et à Sœur Marie-Françoise, de la Congrégation du Bon Pasteur.  Tous deux déclarent, dans l’avant-propos, leur désir d’éviter deux dangers « tomber dans l’apologie et succomber au concordisme » (p.5).Mais, au risque de céder au second, on serait tenté de dire que, à sa manière, Saint Jean-Eudes s’est explicitement voulu apôtre des « périphéries ».

La seconde partie de l’ouvrage relève d’une thématique proprement théologique et spirituelle. Elle examine les aspects originaux de la réflexion de Saint Jean-Eudes, en insistant sur le rôle qu’il donne au « coeur » comme à la Vierge Marie. De copieux extraits de ses propres textes sont proposés.

Au total, ce livre bref présente une synthèse bien informée, dense, claire et précise d’une personnalité chrétienne aujourd’hui insuffisamment connue et non dépourvue de portée sur certains aspects de l’éducation.

Guy Avanzini