Archives de catégorie : Recensions

Morand Wirth
Auguste Arribat, serviteur de Dieu, prêtre salésien de Don Bosco 1879-1963

Editions du Signe – 2013 – 124 p.

L’on connaît la belle étude du Père Morand Wirth, professeur à l’Université Pontificale Salésienne de Rome, sur St François de Sales et le rôle que tient l’éducation dans sa doctrine spirituelle et pastorale[1]. Mais ce livre porte sur une personnalité bien différente : en effet, le Père Auguste Arribat, à qui des circonstances familiales n’ont permis de commencer des études secondaires qu’à 18 ans et qui fut ordonné prêtre, dans la Congrégation Salésienne, à 33 ans, n’a jamais écrit dans le registre théorique sur la pédagogie ; il n’a laissé que des sermons et des méditations, rédigés au long de son ministère, dans les fonctions successives que l’obéissance lui a assignées. En revanche il fut, au fil des jours, un éducateur attentif, disponible et affectueux. La « réputation de sainteté » dont il fut vite entouré tenait à son accueil, à sa bonté, à sa simplicité, à son attention à autrui. Il avait assimilé en profondeur le « système préventif » de Don Bosco. Et c’est son authenticité qui lui acquit son autorité. C’est pourquoi la cause de son éventuelle béatification fut introduite à Toulon dès 1995.

La pédagogie chrétienne, c’est aussi cela : l’humble inventivité quotidienne de l’éducateur chrétien, qui s’efforce d’être fidèle au charisme dans la dynamique duquel il s’est situé. L’on doit remercier le Père Wirth de permettre ainsi une connaissance précise de l’un de ses confrères, qu’il a naguère connu à La Navarre et qui illustre avec discrétion mais intensément l’intuition salésienne.

Guy AVANZINI



[1] M. Wirth – François de Sales et l’éducation – Paris – Ed. Don Bosco – 2005

Annie Gerest
Pierre Vigne, en chemin avec les humbles

Editions Nouvelle Cité – 2012 – 190 p.

Peu connu demeurait Pierre Vigne, jusqu’à sa récente béatification, en octobre 2004. Il le sera désormais davantage grâce à ce livre qui, s’il n’évite sans doute pas assez un certain ton hagiographique et n’est pas exempt de quelques redondances, mobilise néanmoins au mieux les documents et données dont un ouvrage historique requiert le traitement.

Pierre Vigne illustre parfaitement le profil du prêtre rural, que rien ne destinait à s’occuper spécifiquement de pédagogie mais qui, au fil de son ministère, perçoit de façon aigue le besoin d’éducation.et sollicite, pour y répondre, le concours de quelques jeunes filles pieuses. Certaines le percevaient aussi et, à leur initiative ou à la sienne, elles s’appliquent à fonder une congrégation partiellement, voire totalement, vouée à cette tâche.

Quant à lui, né à Privas en 1670, il a, pendant plus de 30 ans et avec une endurance souvent héroïque, prêché ce que l’on appelait des « missions paroissiales », c’est-à-dire un temps -de 1 à 2 mois- pendant lequel un prédicateur, seul ou en groupe, résidait dans un village pour ranimer et activer une foi et une pratique parfois un peu poussives, ou éprouvées par quelques problèmes politico-religieux ou menacées dans leur orthodoxie par la Réforme.  Il s’y applique dans son Vivarais natal et dans les diocèses voisins. Membre, pendant quelques années, de la Congrégation vincentienne des Lazaristes -les « clercs de la mission » -, il assurait plusieurs missions par an avec un zèle et une efficacité qui suscitent la plus vive admiration.

Voici que, en 1711-1712, l’une d’elles le conduit à Boucieu-le-Roi, village établi sur les bords du Doux, aux confins du diocèse de Valence ; sa topographie lui parut propice à la construction d’un Calvaire, dont le parcours permettrait aux pèlerins de revivre la Passion du Christ. Il s’emploie activement, alors, et moyennant d’opiniâtres efforts, à construire un édifice dont la beauté soit digne de son objet. Mais encore faut-il que les fidèles, au cours de leur visite, soient accueillis et accompagnés ; et c’est alors que se présente, bientôt rejointe par quelques autres, une sainte fille qui s’y dévoue. C’est l’ébauche de la Congrégation à venir, dont la fondation est considérée comme datant du 30 novembre 1715, jour où Pierre Vigne leur remet l’habit religieux.

Cependant, les sœurs et lui, constatant notamment que beaucoup de pèlerins ne savent pas lire les informations liées aux divers stations, se convainquent aussi qu’il faut les instruire, spécialement les filles. Ainsi s’esquisse une réflexion  d’ordre pédagogique, centrée sur une idée dominante, que les textes de Pierre Vigne soulignent avec force : celles-ci doivent impérativement être préparées à élever leurs enfants, destinées qu’elles sont à devenir mères de famille. Les religieuses deviennent donc des « régentes », des institutrices appréciées. Pierre Vigne s’inscrit ainsi dans le combat contre l’ignorance, son initiative contribuant, comme tant d’autres en d’autres régions, à infirmer le préjugé tenace et mensonger selon lequel, en France, il aurait fallu attendre Jules Ferry pour combattre l’ignorance…

Devenues en 1787 les « Sœurs du Saint Sacrement de Valence », celles-ci poursuivent en de nombreux pays étrangers, et jusqu’au Brésil, un fécond apostolat scolaire, en illustrant de façon très claire un modèle particulièrement représentatif du mode d’émergence et d’essor de l’innovation pédagogique congréganiste.

Guy AVANZINI

Sœur Marie-Thérèse Hanna, op.
Attirées par l’amour : histoire des sœurs dominicaines de Sainte Catherine de Sienne Mossoul – Irak (1877-2010)

Traduit de l’arabe par Nadia Yamulki. Paris – Cerf – 2013 – 176 p.

L’Ordre dominicain ne s’est pas fondé en vue de l’éducation scolaire. Mais, au fil des siècles, plusieurs des congrégations féminines qui s’y sont agrégées ou affiliées se sont constituées autour d’un projet d’enseignement ou y on été conduites et y sont demeurées fidèles ; tel est le cas des Dominicaines de Ste Catherine de Sienne de Mossoul, dont ce livre récent étudie la genèse et la situation contemporaine.

Ancienne prieure générale, Mère Marie-Thérèse Hanna, annonce d’emblée qu’elle n’est « ni écrivain, ni historienne » (p. 11) ; et sans doute, de fait, regrette-t-on une présentation un peu confuse de certaines données canoniques, quelques redondances ou, à l’opposé, des informations de moindre intérêt, peu d’indications sur la pédagogie et un manque de synthèse. Mais ces lacunes sont secondaires au regard de la densité spirituelle de l’ouvrage.

Si les Pères Dominicains sont arrivés à Bagdad dès le 13ème siècle et ont ensuite diffusé en Mésopotamie, c’est au XIXème que les Dominicaines de la Présentation de Marie Poussepin y sont venues de Tours ; et c’est à leur ombre qu’un groupe de jeunes irakiennes s’est formé en 1877 pour ouvrir des écoles, tant à la campagne qu’en ville. Au terme des délais et malgré les obstacles habituels, il a obtenu sa reconnaissance canonique en 1927 et son affiliation à l’Ordre Dominicain. L’originalité de cette nouvelle congrégation était d’accueillir des postulantes des divers rites orientaux, donc de célébrer la liturgie selon la spécificité de ceux-ci.

A travers les épisodes de son existence, comment ne pas remarquer et admirer cette perception universelle de la responsabilité éducative de l’Eglise qui, sur tous les continents et en dépit des pires tribulations, voire du martyre, suscita des initiatives tenaces et obstinées, capables de survivre aux vicissitudes ; les persécutions liées aux conflits inter-religieux et aux guerres locales ne leur furent pas épargnées, notamment en 1915, lors de « la marche de la mort », pendant laquelle beaucoup de sœurs disparurent ou furent massacrées ; à notre époque, elles subissent douloureusement les conséquences de l’invasion américaine. Cependant, résistant aux destructions, ces religieuses ne cessent d’entreprendre la reconstruction et de se développer. Avec le souci de la progression de leur propre niveau culturel, elles ouvrent des écoles primaires, puis secondaires, comme des orphelinats pour les enfants victimes de la guerre, en même temps qu’elles agissent dans le secteur de la santé, gèrent des œuvres sociales et fondent aussi des couvents dans les pays voisins. C’est un singulier exemple d’inventivité, de fidélité et de résilience, qui mérite singulièrement d’être connu au moment où l’on a tant de raisons de craindre l’affaiblissement des communautés chrétiennes au Moyen Orient.

Ainsi s’exerce courageusement la charité éducative, et la pédagogie chrétienne déploie son inventivité.

Guy AVANZINI

Jean-Marie Gueullette, o.p. (Textes présentés par)
Le Père Lataste : prêcheur de la miséricorde

Paris – Cerf – 2007 – 406 p.

Paru en 1992, réédité en 2007, redécouvert et diffusé en 2012 lors de sa béatification, cet ouvrage sur le Père Lataste pourrait, au premier regard, sembler étranger à notre champ : il n’est jamais explicitement question d’éducation et sans doute le mot ne figure-t-il pas dans le texte. Et cependant, c’est d’elle qu’il s’agit éminemment ou, pour mieux dire, d’anthropologie éducationnelle. Sans doute connaît-on l’histoire de ce dominicain du XIXème siècle qui, envoyé prêcher une retraite à des femmes condamnées à de lourdes peines de réclusion, découvrit la qualité spirituelle de plusieurs d’entre elles et entreprit, avec détermination et malgré de nombreux obstacles, d’établir une congrégation -les dominicaines de Béthanie- où les « réhabilitées » seraient, après le temps requis de probation, admises à la vie contemplative, à parité avec « celles qui n’avaient point pêché ».

A une étude d’ordre biographique, Le Père Gueullette, professeur de théologie à l’Université Catholique de Lyon, qui fut le postulateur de la cause, a joint, dans ce livre, une série de documents du plus haut intérêt : les notes de prédication du Père Lataste, des données sur le régime concernant des femmes incarcérées à l’époque du Second Empire et, surtout un texte d’environ 70 pages, dans lesquelles, en 1866, le nouveau Bienheureux exposait la situation de celles que l’opinion commune ne manquait pas de rejeter, mais auxquelles, quant à lui, il entend proposer la consécration religieuse.

L’on voit ainsi, de manière saisissante, le contraste entre deux anthropologies : d’une part, l’anthropologie chrétienne, celle du fondateur qui, évoquant le cas de Marie-Madeleine, soutient que l’être humain n’est pas réductible à son passé mais peut le transcender, car la miséricorde de Dieu est infinie et transforme, quelle que soit leur histoire, ceux qui se confient à lui ; d’autre part, l’anthropologie commune, celle des chrétiens de base, prisonniers d’une vision fataliste, déterministe et peu ouverte au pardon ; tous ceux pour qui le « criminel » l’est à vie. Tel est, par exemple, le cas de ces dominicaines enseignantes, inquiètes à l’idée que certains parents pourraient désormais supposer que celles à qui elles « confiaient leurs enfants soient d’ancienne criminelles » (p.28).

Au total, quoi qu’il en soit du détail de la formulation, ce dilemme demeure très actuel : il est au cœur des débats contemporains sur la politique pénale comme sur l’éducation, qui continuent tous deux de diviser les esprits. En définitive, c’est le problème de l’éducabilité qui est en jeu. Et, ici, c’est son degré ultime : celui de la convertibilité spirituelle « oui, écrit le Père Lataste, toutes ces femmes ont été criminelles, et vous jugez qu’elles le sont encore : vous vous trompez » (p.273). Leur entrée en religion signifie le niveau maximal de la transformabilité de l’être humain. Cette vision apparut certes comme prophétique. Mais elle est loin, encore, d’être unanimement partagée. En lisant les pages du Père Lataste sur les « réhabilitées », on croirait parfois lire J.M. Petitclerc, quand il rejette l’usage fixiste  de la notion de « délinquant » ou de « voleur », etc. Et c’est aussi, dans un autre registre, le thème que l’on retrouve dans la réflexion actuelle sur l’éducabilité des adultes ; on pense, si diverses que soient leurs thématiques respectives, à ATD Quart-Monde ou à Henri Desroche. Voici, vraiment, une lecture qui s’impose.

Guy AVANZINI,

René Champagne
Marie de l’Incarnation, ou le chant du cœur

Paris – Ed. Médiaspaul – 2012 – 166 p.

Nombreux sont, à bon droit, les travaux sur la personne et l’œuvre de Bienheureuse Marie de l’Incarnation. Née Marie Guyart, en 1599, dans une famille chrétienne d’artisans relativement aisée, désirant toute jeune devenir religieuse, elle fut mariée par ses parents à 18 ans, devint mère en 1619, puis veuve la même année, alors qu’elle avait à peine 20 ans. En 1631, elle entra chez les Ursulines de Sainte Angèle, dans leur Monastère de Tours ; huit ans plus tard, en 1639, à la suite d’un irrépressible appel missionnaire, elle obtint de partir pour le Québec avec deux autres Sœurs, pour promouvoir l’éducation des jeunes Amérindiennes. Avec une énergie de tous les instants, elle y travailla pendant environ 33 ans et y mourut en 1672, sans avoir jamais revu son fils, qu’elle avait quitté alors qu’il avait à peine 12 ans, quand elle était entrée en religion et qui était devenu lui-même bénédictin.

C’est cette destinée extraordinaire que le Père René Champagne, s.j., a entrepris d’étudier par une approche originale : frappé par son autobiographie spirituelle (sa Relation de 1654) il se demande en effet si elle fut « heureuse sur terre » (p.8). Contrairement à la plupart des ouvrages qui lui sont consacrés, cette problématique l’amène non à étudier pour elle-même son œuvre éducative, mais à reconstituer son itinéraire spirituel, pour savoir comment elle a conjugué les insignes faveurs mystiques dont elle eut le privilège avec l’incessante énergie de ses activités apostoliques. Aussi bien, le désir d’articuler contemplation et action était déjà à l’origine du choix de la Congrégation où elle fit profession.

C’est donc de tout ce processus de « conversion », ainsi qu’elle l’appelle, que l’auteur reconstitue les étapes, en décrivant tant les épreuves spirituelles et matérielles qui l’atteignirent -menace d’agression des Iroquois, incendie du Couvent, tentation de tout abandonner et de revenir en Europe- que les grâces dont elle fut comblée et qui lui donnaient la force de persévérer « pour le Service de Dieu et de nos pauvres Sauvages » (p.81). Ainsi, au terme de cette belle et pénétrante étude, le Père Champagne, se demandant si vraiment Marie de l’Incarnation avait été heureuse, s’autorise à répondre que oui, dans la mesure où le « oui de son désir enfantin fut redit tout au long de sa vie » (p.162).

On pourrait, à première vue, regretter que ne fût pas étudiée, sinon allusivement, son œuvre pédagogique. Mais, en fait, au-delà d’une histoire personnelle pathétique singulière et impressionnante, cette analyse traite en profondeur l’essentiel de l’action éducative. Toutes proportions gardées, la vie héroïque de Marie de l’Incarnation montre de façon paroxystique qu’une pratique au service des enfants et des adolescents suppose -et exige- de tous une foi[1] qui la précède, la stimule et la sauvegarde. Alors que les motivations pour la fonction  enseignante semblent se raréfier et que d’aucuns se lamentent de manquer de « moyens », le cas limite d’une religieuse qui, à l’appel de Dieu, quitte son fils et son environnement pour « sauver des âmes » rappelle opportunément que ce qui est prioritaire, c’est bien, en quelque sens qu’on l’entende, le don de soi[2].

Guy AVANZINI



[1] cf. aussi : J.Y. Robin, Marie de l’Incarnation Guyart –  notice M 020, in G. Avanzini, A.M. Audic et col. Dictionnaire historique de l’éducation chrétienne – pp. 473-474.

[2] M. Soëtard (sous la direction de), La foi du pédagogue, Paris – Ed. Don Bosco – 2011 – 212 p.

S. Yvette Guellier et S. Elisabeth Charpy
Les Filles de la Charité au Mans : fidélité dans la créativité, 1646-1986

Courbevoie – Imprimerie Chauveau – 2010 – 380 p.

Quoique ne portant que sur leur présence au Mans à partir de 1851, cette monographie, due à deux d’entre elles, éclaire doublement l’activité des Filles de la Charité : sur leur rôle dans l’histoire de la ville mais, au-delà, sur leur contribution spécifique à l’éducation populaire.

Les auteurs rappellent d’abord opportunément le contexte socio-culturel des origines de leur Compagnie, due à l’intuition spirituelle de St Vincent de Paul et de Sainte Louise de Marillac, et l’originalité de son statut canonique. Les Sœurs sont au service des pauvres, des indigents, et de tous les malheureux, qu’elles secourent tant grâce au Bureau de Bienfaisance que par leurs visites et soins à domicile. A cet égard, on appréciera la reconstitution minutieuse des épisodes et péripéties qui marquèrent leur activité apostolique, leur courage et leur fermeté face aux obstacles de toutes natures, et notamment à la perfidie persécutoire des anticléricaux de la ville, acharnés à leur expulsion. Et l’on admire ce que furent, ici comme ailleurs, leur persévérance, leur réactivité, leur obstination simple et modeste ; les bienfaits qui leur sont dus dans la ville du Mans illustrent ceux qu’elles ont répandus et poursuivront partout où elles sont installées.

Par ailleurs, et pour en venir au registre proprement pédagogique, qui est notre objet, cet ouvrage montre bien, quoiqu’il ne l’ait malheureusement pas explicitement identifié et formalisé, la mise en œuvre de ce modèle « intégraliste », caractéristique de la pédagogie chrétienne en tant qu’elle veut unir instruction et éducation. En ce 17ème siècle où, après Charles Démia, Jean-Baptiste de la Salle promeut l’école populaire, les Filles de la Charité, quant à elles, entendent aussi, et de manière intensifiée, engager la formation plénière de toute la personne. Si elles dispensent l’instruction aux filles, elles ne limitent pas là leur ambition. Attentives aux besoins de l’enfant, et de l’adulte qu’il est appelé à devenir, comme aux situations de famille, spécialement les plus pauvres, elles mettent en place un projet ambitieux. Ainsi, préoccupées de la petite enfance, elles ouvrent une crèche puis, avec d’autres Congrégations, participent à l’essor des salles d’asile, déjà lancées dans cette ville du Mans par Marie-Pape Carpentier[1], dont on sait combien elle voulait, dès le plus jeune âge et au plus vite, développer les facultés de chacun. Les Sœurs assurent aussi la responsabilité d’une école, l’Ecole St Benoît, à laquelle elles vont apporter tout leur zèle. Mais là ne se limite pas leur conception de l’éducation. Soucieuses de tous les moments de la vie quotidienne comme de la destinée spirituelle, elles n’oublient pas la place, et le danger éventuel, des loisirs. C’est pourquoi elles ouvrent des patronages. Préoccupées de l’intégration sociale des élèves, elles proposent aussi une formation professionnelle ; Enfin, pour que le métier soit mené de manière respectueuse de l’être humain, elles induisent, à l’imitation de la Bienheureuse Sœur Rosalie Rendu., des syndicats chrétiens et diverses œuvres sociales.

On le voit, cette histoire d’une implantation particulière dans une ville moyenne reflète bien ce qu’est le modèle Vincentien, sans doute insuffisamment identifié par les historiens de la pédagogie chrétienne, alors qu’il présente consistance et cohérence. Et l’on remarquera aisément aussi qu’il est adéquatement formulé par le sous-titre du livre : fidélité dans la créativité. En effet, c’est bien la fidélité à l’amour du prochain, du plus faible, qui suscite et qui impose une incessante créativité.

Guy AVANZINI



[1] Marie-Pape Carpentier – Notice n° 34 – pp 581-583 – in G. Avanzini, AM Audic, R Cailleau et P Penissson – Dictionnaire historique de l’Education Chrétienne – Paris – 2009 – Editions Don Bosco et AIRPC – 854 p.

Edgard Hengemüle, f.e.c.
Une proposition éducative : Jean-Baptiste de la Salle

Paris-Salvator – 2012 – 320 p.

Peut-on encore, après tant de travaux de qualité, en particulier ceux de Frère Yves Poutet, écrire quelque chose d’original sur Jean-Baptiste de la Salle ? Cet ouvrage tient à montrer que oui, et d’abord en évitant les deux dangers que dénonce à bon droit la préface de Dominique Julia : celui de la mythification du fondateur, qui condamnerait ses disciples à une imitation littérale de plus en plus impossible à soutenir, et celui de le considérer à tort comme trop lié au passé pour demeurer actuel ; il s’agit donc de situer ce qui est dépassé, pour mieux identifier ce qui reste au contraire pertinent. Et c’est précisément ce à quoi s’est attaché l’auteur, adéquatement traduit du portugais par Frère Léon Lauraire, en des pages dont on appréciera d’emblée la précision de l’information et la clarté de l’expression.

La structure des chapitres est bienvenue, en ce sens que chacun commence par un exposé rapide de contexte historique, culturel, sociologique et pédagogique dans lequel se situe la thématique correspondante ; l’analyse se conclut par une évocation de la manière dont elle a été traitée, comprise ou non, par les historiens de l’éducation : ainsi en va-t-il de l’opportunité d’une éducation scolaire des milieux populaires, ou de l’élaboration de programmes qui leur soient appropriés, ou de la méthode d’enseignement adoptée : quelles furent, sur ces points, la position et l’originalité de La Salle . Comment entendait-il l’acquisition du savoir vivre ? Sa volonté était de faire du maître d’école une personne compétente et respectée, exclue du sacerdoce pour pouvoir se donner tout entier à sa tâche de religieux laïc ; il institue ainsi la spécificité de cette fonction sociale, conçoit sa formation pédagogique et assure sa qualification : sans doute est-ce dans  l’histoire des pratiques éducatives, son originalité  la plus décisive, celle qui permet vraiment l’essor de l’éducation populaire, telle qu’elle lui paraissait indispensable tant à l’acquisition d’un métier qu’au Salut éternel.

L’originalité, et la réussite, de ce livre, c’est aussi de s’attacher à retrouver et à expliciter le sens précis du vocabulaire lassallien : par exemple, pourquoi « l’école chrétienne » est-elle ainsi désignée ? Qu’est-ce exactement, que l’éducation « populaire » ? Pourquoi les religieux de l’Institut se nomment-ils du nom de « Frères » ? Pourquoi doivent-ils vivre en étant au moins deux, quitte à ne pas pouvoir s’installer dans un milieu rural trop dispersé ? Pourquoi La Salle préfère-t-il que le catéchisme soit enseigné dans la salle de classe, plutôt qu’à l’église ? Plus encore, qu’est-ce, pour lui, que « l’éducation » ? A ces questions sont proposées des réponses précises et approfondies. La spécificité de l’approche de Frère Hengemüle, c’est donc d’avoir réussi à articuler sans confusion les pratiques ou usages quotidiens des écoles avec le registre théorique de leur justification, de sorte que les premiers ne sont pas seulement empiriques ou fortuits ni le second seulement un vœu pieux dont on se contenterait d’espérer la réalisation, la pédagogie du Fondateur est ainsi présentée comme un ensemble homogène, cohérent, et unifié, qui « fait système ». Et c’est, paradoxalement, ce qui permet de distinguer ce qui est devenu périmé de ce qui demeure aujourd’hui pertinent.

On pourrait regretter l’absence d’une conclusion qui aurait recueilli et inventorié les résultats de ces analyses, mais il faut d’abord en reconnaître l’opportunité. En un moment de crise de l’éducation – et aussi des Congrégations enseignantes- qui appelle révision et reformalisation des « projets », c’est bien ce discernement qui est à conduire : recueillir et transmettre un charisme, sans le réduire ni l’identifier à ses modalités antérieures au risque de le muséifier, ni le diluer sous prétexte de l’actualiser. A ceux à qui incombe cette responsabilité, cet ouvrage ne manquera pas d’apporter des thèmes de réflexion et de décision.

Guy AVANZINI

 

Olivier Landron
L’université catholique de l’ouest (1875-1970). Enracinement et ouverture

Préface du P. Guy Bedouelle – Paris – CLD éditions – 2012 – 264 p.

Une édition qui fait honneur à l’éditeur qu’il s’agisse de la couverture, de la typographie, des illustrations ou de l’index. Le P. Guy Bedouelle en avait écrit la préface depuis Fribourg où, recteur émérite de l’UCO, il s’était retiré avant son décès survenu le 22 mai 2012.

La présente synthèse devient une mine dans laquelle les chercheurs pourront puiser pour, allant plus loin, développer des recherches ponctuelles. L’auteur a utilisé neuf mémoires de maîtrises ou thèses, dont six dirigés par Jean-Luc Marais. Organisée en quatre parties, l’étude est sagement chronologique : « Fondations et premiers développements (1875-1914 » ; « Consolidation (1914-1945) » ; « Essor (1945-1960) » ; « Crises et renouveau (1960-1970) ».

A l’origine : Mgr Freppel, le combatif évêque d’Angers (1870-1891). Il saisit d’emblée l’occasion avec le vote de la loi de juillet 1875 sur la liberté de l’enseignement supérieur. Dés le 15 novembre, Freppel inaugure sa faculté de droit. On aurait aimé, ici, en savoir un peu plus sur la fondation des quatre autres universités catholiques : Lille, Paris, Lyon, Toulouse. L’évêque entretient de mauvais rapports avec l’un de ses plus illustres diocésains … le comte de Falloux, catholique libéral. Il a été déçu par un autre catholique libéral, Henri Wallon. Les premiers recteurs dépendent étroitement de l’évêque chancelier. Outre le problème des rapports plus ou moins faciles avec les évêques de l’Ouest, ce sont les finances qui constituent un frein.

En 1906, après la séparation, l’abbé J. Calvet, professeur à l’Institut catholique de Toulouse, pense que les Instituts catholiques ne devraient conserver que la théologie et les sciences religieuses. Mais à Angers, c’est la faculté de droit qui compte le plus d’étudiants, en moyenne une centaine. N’imaginons pas que les facultés d’Etat ont, en province, des effectifs nettement supérieurs. Premières étudiantes en 1912. Sur l’enseignant René Bazin, voir les pages 68-69 : il fut le premier docteur de l’UCO, en 1877. En lettres, de 1876 à 1940, sur cinquante-deux enseignants, quarante sont des ecclésiastiques. La question de jury mixte est abordée à plusieurs reprises. Promise à un succès durable, la fondation, en 1898, de l’Ecole supérieure d’agriculture qui, comme celle de Commerce (1909), délivre ses propres diplômes. Présentation des professeurs les plus notables, ainsi, à partir de 1933, du tétraplégique André Trannoy, le fondateur de l’Association des paralysés de France, et l’auteur d’une thèse sur Montalembert.

En 1927, le P. Foreau, jésuite, est à l’origine du centre d’études rurales par correspondance et l’un des fondateurs de la jeunesse agricole catholique en 1929. Essentiel est le lien entre l’UCO et la formations d’enseignements des établissements secondaires catholiques. Mais ce sont les écoles, avec leurs nombreux enseignants jésuites qui sont le fleuron de l’Université (éducateurs spécialisés, chimie, électronique …). Les rectorats de Mgr Riobé et de Mgr Honoré ne sont pas de tout repos. Le premier affronte la création du Collège universitaire d’Etat d’Angers, puis l’université du même nom (1971). L’UCO perd son monopole et les relations ont été, au début, conflictuelles.

Mgr honoré entre aussi en conflit avec l’Institut catholique de Paris (p.177 s.) dont le recteur entend ne pas « singer l’enseignement des facultés d’Etat » (14 octobre 1968). Il doit aussi faire face à la contestation étudiante (mais pas seulement). Ceux qui « avaient lu le Concile dans les médias entendaient mettre fin aux institutions chrétiennes » (p. 233). Ce sont les instituts spécialisés, professionalisants, qui assurent alors la survie. Des portraits de professeurs, ainsi de l’abbé Germain Marc’hadour professeur d’anglais spécialiste de Thomas More.

Gérard CHOLVY

Guy Bedouelle et Olivier Landron (sous la direction de)
Les universités et instituts catholiques : regards sur leur histoire (1870 – 1950).

Paris – Ed. Parole et Silence – 2012 – 244 p.

S’agissant de l’éducation chrétienne, plutôt rares sont les publications qui traitent de l’enseignement supérieur. Et voici cependant que deux ouvrages, distincts mais conjoints, viennent de paraître à son propos : le 1er est celui que recense le professeur Cholvy[1]. Le 2ème, dirigé par le très regretté Père Bedouelle, disparu en 2012, et par Olivier Landron, professeur à la Faculté de théologie de l’U.C.O, émane d’un colloque consacré aux Universités Catholiques Francophones (Belgique, Suisse et France).

Ce volume rassemble une série de contributions regroupées en 3 parties ; la 1ère réunit des approches monographiques consacrées aux 5 universités françaises et à celle de Fribourg, due au Père Bedouelle lui-même : elles en présentent le projet, la genèse, l’évolution, les difficultés de fonctionnement et d’orientation, les concurrences laïcistes qu’elles durent subir, la ténacité courageuse de leurs Recteurs successifs et de plusieurs de leurs professeurs. La 2ème et la 3ème analysent certains épisodes majeurs et certaines figures marquantes qui ont rayonné au-delà. Si l’on s’étonne de l’omission de l’évocation de certaines personnalités notoires, notamment des théologiens, on signalera tout spécialement les excellentes pages de Michel Fourcade sur Jacques Maritain comme celles de Luc Courtois sur Monseigneur Ladeuze.

Considéré isolement, chaque chapitre est intéressant, voire passionnant. En revanche, la logique du plan d’ensemble demeure un peu énigmatique. Aussi bien, les limites spatio-temporelles du champ retenu ne sont pas sans inconvénient. Ainsi, elles entraînent l’omission des origines de l’Université de Louvain, tandis que la diversité historico-culturelle des trois pays retenus nuit à l’homogénéité de l’approche et des référentiels. On aurait souhaité une réflexion plus systématique sur la manière dont les unes et les autres ont participé aux grands débats sur culture et foi ou se sont positionnées sur les controverses entre Eglise et société : quels furent, en ces domaines, le rôle et la part de l’Enseignement Supérieur Catholique ? Sans doute est-ce pourquoi, malgré leur sagacité et leur pertinence, les conclusions dégagées par Y.M. Hilaire sont un peu brèves.

Guy AVANZINI



[1] Voir recension ci-après.

Yves Armand
Une maison d’éducation chrétienne à Grenoble : l’externat Notre-Dame (1870-1965)

Paris – l’Harmattan – 2012 – 326 p.

En tant que telle, l’histoire d’un collège catholique de province n’appellerait pas une recension. Si, néanmoins, l’Externat Notre-Dame de Grenoble, fondé en 1870, en est ici l’objet, c’est parce que, outre son évident intérêt local, il est de type emblématique, représentatif d’un type d’établissement d’éducation chrétienne que l’on trouve dans toutes les villes d’une certaine importance, spécialement les villes épiscopales.

A la différence du Petit Séminaire, plus explicitement ordonné à la formation au sacerdoce, plus proche des collèges congréganistes, dont il est néanmoins, si fraternellement que ce soit, objectivement concurrent, le collège secondaire, créé à l’initiative de l’ Évêque et confié aux prêtres diocésains[1] -internat ou externat, selon les cas-  reçoit des élèves de milieu plutôt aisé, certes susceptibles d’entrer dans le clergé séculier mais plutôt destinés à constituer, ou à reconstituer, une élite chrétienne susceptible de résister à l’offensive rationaliste, voltairienne, franc-maçonne ou laïciste qui se déploie au XIXème siècle, et de participer ainsi à un urgent renouveau religieux. Et tel est bien le cas -et l’objectif- de l’établissement grenoblois, face aux courants anticléricaux de notables et politiciens locaux.

Ecrit par un ancien élève de la promotion 1955 avec l’aide et les témoignages de plusieurs de ses condisciples, ce volume ne se prétend pas « scientifique ». Mais il ne cède pas non plus à la dérive sentimentale de l’idéalisation du passé ou à la folklorisation anecdotique des souvenirs. Il rend compte des difficultés -notamment d’ordre logistique et financier- qui affectent inéluctablement la vie de ces maisons, incessamment contraintes de se défendre contre un environnement politique plus ou moins hostile et des obstacles auxquels elles font courageusement face. A cet égard, il en offre un excellent exemple.

Sans doute aurait-on souhaité une étude approfondie de l’origine socio-culturelle des élèves, comme de leur carrière adulte, ainsi que le rappel de certaines figures d’ « Anciens »   devenus illustres, ou au contraire remarqués pour un anticléricalisme ou une inconduite qui confirment que l’entreprise éducative est aléatoire… Du moins est-il légitime, car leur réputation a dépassé les frontières du Dauphiné, d’évoquer la mémoire du Chanoine Anglès d’Auriac, qui en fut un Supérieur inoublié, ou celle de l’Abbé Xavier la Bonnardière, professeur justement admiré de philosophie ; tous deux anciens élèves de l’Externat, ils y passèrent, en quelque manière, toute leur vie. Et l’on citera aussi un autre «Ancien », Monseigneur Guerry, archevêque de Cambrai.

Ce type d’établissement s’est transformé et, désormais, vit autrement. C’est précisément pourquoi il convient de ne pas méconnaître et de ne pas oublier ce moment et cette modalité de la pédagogie chrétienne.

Guy AVANZINI



[1] cf. Michel Launay – notice Prêtres Diocésains professeurs – pp 607-609 – in G. Avanzini, A.M. Audic, R.Cailleau et P. Penisson. Dictionnaire historique d’éducation chrétienne d’expression française – Editions Don Bosco et AIRPC – 2009 – 854 p.