Paris -Ed. Artège – 2016 – 316 p.
Ce livre procède à l’inverse de celui de Sylvie Bernay qui étudie la permanence du phénomène de la vie féminine consacrée à travers l’histoire de l’Église, et qui l’illustre par la présentation de quelques figures exemplaires. Nos deux auteures se sont, quant à elles, au contraire, centrées sur huit religieuses missionnaires du XIXème siècle, inégalement connues. En outre, elles ne prétendent nullement avoir effectué « un travail de recherches » (p.19) ; aussi bien, aucune justification n’est fournie d’une liste qui, en définitive, semble arbitraire, mais qui réunit des personnalités exceptionnelles, mues par le même ardent désir de convertir les « sauvages ». Et, de fait, au fil des pages, on est saisi par un volontarisme obstiné et une témérité souvent improvisée, qui déconcertent et pourraient défier abusivement la raison.
On n’entreprendra pas ici le résumé de chacune de ces histoires de vie, dont rien ne peut suppléer la lecture et qui laissent décontenancé devant l’amoncellement d’obstacles décourageants, qui ne cessent de menacer l’existence même et la survie des religieuses, exposées d’abord aux tribulations de la traversée des océans et au danger des naufrages, puis à la dureté des climats et des conditions d’existence quotidienne qui compromettent leur santé et, très souvent, leur vie même. Il s’y ajoute leur méconnaissance totale des lieux et des sociétés vers lesquels elles vont, l’indifférence, sinon l’hostilité des populations avec lesquelles elles cherchent le contact, un fossé culturel insoupçonné, ces tensions au sein même des communautés ou avec l’autorité ecclésiastique, la lenteur interminable des communications, des problèmes canoniques toujours en suspens, l’incoordination de l’action pastorale, enfin une série de péripéties rocambolesques. Force est alors de conclure que seuls l’intensité de la foi et le secours de la grâce permettent le miracle permanent d’un tel héroïsme missionnaire et cette réponse inconditionnelle à l’appel à l’évangélisation que lança le Pape Grégoire XVI. Et c’est pourquoi l’on ne peut qu’admirer leur capacité de réalisation et de mise en place d’œuvres sociales ou socio-éducatives, qui serviront de substrat à l’action des missionnaires.
S’agissant précisément de l’éducation, c’est un souci qui leur est commun : toutes sont, partiellement ou principalement, désireuses d’instruire les populations et de baptiser les enfants, même si c’est sans s’interroger suffisamment sur ce qu’elles peuvent raisonnablement envisager. Aussi bien, elles sont souvent amenées malgré elles à s’occuper d’abord des enfants de colons installés dans ces contrées lointaines. Il leur est difficile de rejoindre les jeunes « sauvages » dont la conversion est leur objectif. En outre, lorsqu’elles y parviennent, c’est selon des programmes et des rythmes occidentaux, que les petits indigènes n’assimilent pas. Aussi leur a-t-il fallu consentir à un lourd travail d’adaptation, c’est-à-dire d’invention pédagogique, qui mettra aussi en évidence l’éducabilité, jusqu’alors insoupçonnée, de ces « primitives ».
Au terme de l’ouvrage, l’épilogue s’intéresse à « ce qui reste de l’œuvre de ces héroïnes de Dieu » : « ont-elles transmis leur foi, fait grandir l’Église ? » (p.299). L’on ne saurait échapper à la problématique de l’évaluation. Et cependant, force est aussi de dire d’emblée que l’efficacité du travail spirituel ne relève pas de nos techniques d’évaluation mais du mystère de la grâce. C’est toute la vitalité chrétienne actuelle des pays où ces femmes ont épuisé leurs forces qui est le juste étalon de leur don d’elles-mêmes.
Cet ouvrage contribuera ainsi à casser l’image simpliste de la religieuse compassée, au profit de celle qui s’abandonne à la ‘folie de la foi’, dont parle Saint Paul.
Guy Avanzini