Paris – Edit. Bosco – 2017 – 110 p.
Dans la conjoncture, plutôt morose de la pédagogie contemporaine, voici néanmoins une bonne nouvelle : la parution, dans un petit livre facilement accessible, du célèbre texte de Don Bosco sur « le système préventif ». Il s’agit en effet d’un document particulièrement précieux, car il présente, de la main même de son auteur, la seule formalisation de sa pensée pédagogique.
Dans un chapitre initial, le Père Wirth, de l’Université Pontificale Salésienne de Rome, expose le contexte de son élaboration : en mars 1877, à l’inauguration du « patronage St Pierre de Nice, première implantation de la Congrégation de France, Don Bosco lui-même prit la parole pour présenter les principes de son action. De retour à Turin, il retouche et met au point la rédaction de son propos, pour le publier pendant l’été dans un livret bilingue franco-italien ; sous la forme d’un « appendice » il expose les méthodes d’éducation de la jeunesse ; C’était aussi, à ses yeux, « l’esquisse » d’un petit ouvrage qu’il se proposait d’écrire s’il en trouvait le temps. Enfin, la version définitive fut arrêtée à l’automne, comme prologue au « Règlement pour les maisons de la Société de St François de Sales », comme le remarque le Père Wirth, ce « travail de circonstance » fournit l’occasion d’élaborer un « texte normatif » (p. 24).
Nul, néanmoins, ne se doutait alors que, malgré la discrétion de leur origine, ces onze pages inaugureraient une étape nouvelle dans la dynamique de la pédagogie chrétienne. Certes, comme le note aussi le Père Wirth, sa conception est marquée par la culture d’une époque où d’aucuns préconisaient déjà de substituer la prévention à la répression. Il reste que le choix de Don Bosco n’émane pas d’abord de la validité intellectuelle de ce renversement mais bien davantage de sa longue expérience de terrain, comme de son propre charisme. Ainsi inaugurait-il l’approche tripolaire -raison, affection, religion- qui organise entre elles interdépendance et circularité. On le voit, sa spécificité tient au renouveau d’ordre anthropologique qu’il introduit : celui d’un adolescent qui, n’étant plus humilié ou marginalisé, n’est plus animé du désir de vengeance dû à la punition ; alors, il se transforme et se réhabilite à ses propres yeux, grâce à l’expérience affective d’une relation confiante avec un adulte ; il sait, désormais, que la sanction éventuelle porte sur son acte, et non plus sur sa personne ; il se sait et se sent respecté.
Toutefois, si manifestes qu’en soient les mérites, le système préventif demeure-t-il pertinent et applicable aujourd’hui ? Identifié et promu dans le contexte du XIXème siècle, garde-t-il son actualité dans un monde sécularisé et déchristianisé ? Offre-t-il encore une issue à la crise contemporaine de l’éducation ? C’est la problématique que, dans les trois chapitres suivants, traite le Père Petitclerc. Don Bosco n’a-t-il pas lui-même écrit : « le chrétien est seul capable d’appliquer avec fruit la méthode préventive ? » (p. 32). Encore ne dit-il pas qu’il ne s’adresserait qu’à des croyants ou à des sujets christianisés. Aussi bien, dès février 1878, dans une lettre au Ministre italien de l’Intérieur, pour l’éventuelle ouverture à Rome, d’un centre d’accueil de jeunes en difficulté, il propose lui-même une version allégée (cf. texte de Don Bosco, pp. 62-70) qui, dit Petitclerc, « ôte toute les références explicitement religieuses » (p. 61) , pourvu que, « grâce aux cours du soir et du dimanche, on donne à ces pauvres enfants du peuple une nourriture morale adaptée et indispensable » (p. 67). Aujourd’hui, le débat reste ouvert entre ceux pour qui la marginalisation de la tripolarité trahirait le message du Fondateur, et ceux pour qui, comme le Père Thévenot, « tout ce qui se prescrit au nom de Dieu peut se justifier du point de vue de l’homme » (p. 73-74). Il y a là, on le voit, une question à approfondir. Qu’en est-il, par exemple, d’un établissement catholique qui, fidèle à son « caractère propre », s’efforce d’être chrétien, mais dont beaucoup de professeurs et d’élèves sont incroyants, ou indifférents, voire athées.
Quoi qu’il en soit, le « système préventif » a formalisé des acquisitions définitives de la pensée pédagogique, spécialement la distinction entre éducation et dressage ; il a esquissé aussi de fortes intuitions anticipatrices, dans le champ de l’affectivité et de la résilience. Souhaitons donc que cette nouvelle édition, qui rend le texte désormais aisément accessible, comme la qualité de sa présentation et de son commentaire en assurent l’audience et en favorisent l’adoption. Sa validité permet donc de dire à nouveau que l’éducation du XXIème siècle sera salésienne ou échouera.
Guy Avanzini