Paris – Salvator – 2017 – 114 p.
Voici enfin un livre intelligent, sur un problème très grave : et d’abord parce que, à l’opposé d’un certain discours simpliste, il dit explicitement pourquoi il faut comprendre avant de condamner. En effet, en dépit d’un propos malencontreusement célèbre, excuser n’est pas « absoudre » mais aide à se donner les moyens de prévenir un phénomène qui, pense-t-il, serait plus justement nommé « sectarisation » ou « fanatisation » (p. 18) ;quoi qu’il en soit, si aberrant soit-il, tout comportement a ses raisons, même si le coupable n’a nullement raison ; il faut donc chercher à les identifier pour essayer d’y remédier.
Fort de sa longue expérience d’éducation spécialisée et de directeur du Valdocco, le Père Petitclerc distingue globalement, si complexe que soit le cheminement de chaque personne, deux principales catégories de « radicalisés ». La première réunit des jeunes qui, souvent issus de l’immigration, ayant échoué à l’école et en étant sortis sans qualification, se sentent exclus et humiliés et nourrissent à l’égard de la société une haine passionnée ; ils trouvent alors dans l’idéologie islamiste un discours et une cohérence qui les séduisent et nourrissent leur désir de vengeance. La seconde, au contraire, rassemble plutôt des adolescents de souche européenne et de classe moyenne qui, plus ou moins frustrés affectivement, vivent une sorte de crise existentielle et de recherche d’absolu, liées à la révolte contre l’injustice. N’ayant pas trouvé de sens à leur vie, ils découvrent dans l’idéologie islamiste une cohérence qui les convainc. Quant au processus de radicalisation proprement dit, on appréciera le schéma en cinq étapes, que propose l’auteur ; l’on remarquera surtout sa distinction entre « l’embrigadement relationnel » et « l’envoûtement idéologique », le premier précède le second et y conduit tout naturellement. Comment, dès lors, tenter d’enrayer ce phénomène ? Petitclerc remarque d’emblée, courageusement, contre et malgré l’opinion commune, que ce ne sera surtout pas par l’incarcération : « nos prisons, en France, constituent aujourd’hui le premier lien de développement de l’Islam radical » (p. 50), quant aux « centres de déradicalisation », ils n’ont évidemment guère servi qu’à faire sourire. Pour combattre « l’embrigadement relationnel », son expérience l’a convaincu il faut induire parmi les jeunes l’expérience de la fraternité, c’est-à-dire gérer l’articulation complexe entre les similitudes et les différences qui les caractérisent. L’exercice de la médiation leur montrera que les conflits n’entraînent pas nécessairement la violence mais peuvent susciter le respect réciproque, l’acceptation de pluralisme, le sens du dialogue. Important est aussi le rôle de l’Ecole si elle sait développer le sens critique et la raison, pour apprendre à résister à la tentation de gestes aberrants. Certes, « c’est beaucoup demander et beaucoup espérer » (p. 4), du fait que « la plupart des enseignants ont été formés à la négation de la relation affective » (p. 96). Néanmoins, on sait que le recours à l’éducation est aléatoire et ne comporte jamais la garantie de sa réussite mais, ici comme ailleurs, le postulat de l’éducabilité est la condition première et exigible de tout progrès.
Nul ne s’étonnera que l’auteur souligne combien tout cela confirme la pertinence des intuitions pédagogiques de Don Bosco, toujours « référence pour aujourd’hui » (p. 95). Malgré la différence des contextes, elles trouvent ici leur confirmation « ce dont les jeunes ont besoin si on veut éviter la bascule vers la radicalisation, c’est de rencontrer des adultes capables de les guider dans leur recherche de sens » (p. 108).
Beaucoup de reconnaissance est due au Père Petitclerc, dont on sait les talents de réflexion et d’exposition, pour cet ouvrage, si pertinent et publié si à propos, qui confirme la portée de sa contribution à la recherche pédagogique contemporaine, spécialement à la réflexion chrétienne. On regrettera seulement que le contexte ne favorise guère sa reconnaissance par la pédagogie officielle et son inscription dans les bibliographies des sciences de l’éducation…
Guy Avanzini