Jean-Marie PETITCLERC
Rebâtir la fraternité.

Paris, Salvator, 2021, 108 p.

En entreprenant l’écriture d’un ouvrage sur la fraternité, Jean-Marie Petitclerc s’exposait courageusement à un risque. Cette notion est, en effet, tellement conflictuelle, controversée, compromise par les alibis d’un discours mensonger et hypocrite, qu’il est singulièrement difficile de la restituer à un registre rationnel qui lui confère une validité. C’est que, dès ses origines, la première expérience de la fraternité – Caïn et Abel – a été un cruel échec, qui a traversé les siècles et compromis, à jamais, une éducation ordonnée à prévenir la violence et, de ce fait, exposée à un sort aléatoire.

Comme on l’a déjà remarqué, la difficulté fondamentale tient à ce que, à la différence de l’amitié, qui relève du choix des personnes, la fraternité est visée pour des sujets qui ne se sont pas choisis et entre qui interviennent toutes sortes de rivalités. On constatera  ainsi que, en dépit du discours qu’elle tient sur la fraternité, l’École est bien loin d’offrir un contexte dans lequel celle-ci soit reconnue et respectée. Dénoncée comme « reproductrice », elle prolonge des inégalités qui gênent les relations entre les personnes. Elle favorise, à son insu ou délibérément, des situations de rivalité et de concurrence dans un climat darwinien d’esprit sélectionniste et élitiste.

La société globale expose aux mêmes risques car elle offre le spectacle affligeant d’un refus de coopération et de l’organisation de la concurrence. A la limite, c’est le vouloir vivre commun qui est récusé ou qui échoue à trouver ses modalités d’organisation. Plus radicalement, ces dernières ont un fondement proprement anthropologique. Le freudisme a mis en évidence la thématique du « meurtre du père ». Lorsque l’autorité de celui-ci est récusée, la fraternité l’est aussi par voie de conséquence, de sorte qu’elle valorise un individualisme qui en est la négation même.

Dès lors, les sujets se répartissent en deux catégories :

  • Les croyants, formés dans le christianisme : « la vraie racine, c’est la filiation à un père commun » (p.68), ainsi que l’indique justement Jean-Marie Petitclerc.
  • Les non-croyants, qui peuvent éventuellement désirer la fraternité, mais sans que ce soit avec le même élan chez tous. C’est que, faute de paternité, la fraternité trouve difficilement son fondement. Elle va chercher à « se rebâtir », en invoquant des raisons de bon sens ou d’utilité, mais sans procurer un fondement rationnel qui justifierait de s’y soumettre. C’est bien pourquoi ces constructions sont précaires et fragiles ; elles peuvent même placer dans une situation contradictoire en se justifiant par le danger que représente autrui, c’est-à-dire précisément par son manque de fraternité. C’est dans une situation de ce type que se trouvent le plus fréquemment nos sociétés : convaincues que la fraternité est indispensable, elles ne parviennent pas à l’établir et sont toujours menacées par la fragilité de valeurs indécises, qui ne parviennent pas à assurer leur justification. On peut donc craindre que, en préconisant la reconstruction de la fraternité, Jean-Marie Petitclerc soit un peu optimiste. L’éducation, quelle qu’elle soit, est-elle à la hauteur des périls qu’elle rencontre et peut-on l’espérer capable de les surmonter ?

Guy Avanzini