La personne dans l’œuvre écrite de Madeleine Daniélou

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Blandine-D. Berger*

« Le problème de l’éducation est toujours fondamental.
Il l’est particulièrement dans un temps comme le nôtre
où les cadres de la vie sociale sont laïcisés,
où tant de courants de pensée se croisent,
où chacun doit,
dès sa jeunesse, et parfois dès son enfance,
chercher par soi-même
les chemins qui mènent à Dieu
[1] ».

Madeleine Daniélou n’était pas une théoricienne. Elle mettait en premier la connaissance intuitive et l’expérience, confiante dans la vie qui se charge de nous instruire et de guider nos dons. Elle aimait Pascal et Péguy, l’un parce que c’est un philosophe de l’expérience, – et l’expérience de Dieu -, l’autre, Péguy, parce qu’il touche à la terre jusque dans sa poésie et sa prose la plus sublime. Ce qui ne veut pas dire qu’elle ne croyait pas à la raison : au contraire, elle voyait les choses avec un grand recul, une vraie distance. Et s’il est vrai qu’elle n’est pas une philosophe au sens moderne du mot, elle a néanmoins une culture philosophique étonnante pour son époque. A l’agrégation –dite « pour les femmes »- qu’elle passa en 1903, avant son mariage, une des épreuves majeures était littéraire et philosophique tout à la fois. C’était un sujet sur l’éducation ! Elle fut reçue première…

Les ECRITS de Madeleine Daniélou qui viennent d’être réédités par les éditions du CERF regroupent en trois tomes l’ensemble des huit ouvrages que Madeleine avait publiés de son vivant, tous sur l’éducation, avec des points de vue et des approches très différents[2]. Madeleine écrivait pour les jeunes filles du « Collège Sainte Marie », dont elle était directrice, et pour les jeunes de son temps ; mais aussi pour les adultes, parents, éducateurs, professeurs ; et aussi pour la Communauté Saint-François-Xavier qu’elle fonda dans les années 1910 et qu’elle continua d’inspirer et de conduire toute sa vie. C’est pourquoi l’édition récente a demandé parfois quelques coupes. Mais c’est peu de choses en regard des trésors humains et spirituels que ces livres recèlent. La vision éducative de Madeleine Daniélou transcende le présent et peut toucher le lecteur bien au-delà de l’actualité. Elle l’entraîne vers une vue chrétienne de l’enfant, du jeune, et de l’éducation. C’est ce que nous allons essayer ici de décrire.

1)    Une vision de l’enfant

L’enfant, pure nouveauté

Le premier livre de Madeleine Daniélou, Action et Inspiration, traite, comme le dit son titre, de ce qui donne à l’agir sa grandeur, du rapport entre l’humain et le spirituel, de l’apostolat des laïcs et de celui des consacrés à qui Dieu confie l’éducation d’enfants. C’est un livre majeur, où se trouve l’essentiel de la réflexion de Madeleine. Pourtant, là n’est pas, à mon sens, le lieu le plus profond, le plus originel, pourrait-on dire, de sa pensée et de son expérience. A la lecture de l’ensemble des Ecrits, on trouve une figure récurrente : celle de l’enfant. Ainée de quatre frères, Madeleine a eu sûrement l’occasion, dans sa propre enfance et adolescence, de s’occuper des plus jeunes de la famille et d’être frappée par leur présence fragile et forte à la fois. Un jour, elle sera mère de six enfants, une mère très maternelle et tendre, parfois un peu trop libérale, note Jean, l’aîné ! Madeleine écrit dans Visage de la Famille (1940) : « La naissance de l’enfant est probablement la plus grande joie de ce monde puisque Notre-Seigneur la compare à celle que nous aurons quand nous découvrirons son Visage dans le ciel[3] ». Plus tard, certaines de ses petites filles se rappelleront leur grand-mère : « Elle était de bonne compagnie » pour les jeux comme pour le théâtre ! Et à Sainte Marie, on la voit contempler les rangs des élèves avec un regard et un sourire attentif à chacune. Elle assistera toujours aux messes des Classes avec un grand bonheur : elle y ressentait l’âme des enfants. Ces expériences très intimes, spirituelles, se transforment souvent en un émerveillement religieux. Car c’est la vie à l’état pur qu’elle perçoit dans le visage d’un tout petit : « Dans l’enfant nous voyons la vie naître et s’épanouir, nous sommes aux sources de tout ce qui a du prix [4]». La « source », métaphore de la pure transparence, fait surgir en nous, dit-elle, « le jaillissement premier de l’être que nous voyons briller dans l’âme d’un enfant ». Et Madeleine de citer Péguy :

« Car il y a dans l’enfant, il y a dans l’enfance une grâce unique, 
Une entièreté, une premièreté totale.
Une origine, un secret, une source, un point d’origine.
Un commencement, pour ainsi dire, absolu. »[5]

Contemplant cette nouveauté infinie dont « le regard vient de plus loin que nous », Madeleine affirme : « L’enfance nous révèle l’éternelle jeunesse du monde[6] », ce monde que nous voyons trop souvent comme sclérosé. Au contraire, il y a « au fond de l’amour maternel une joie » qui est donnée à la mère par la limpidité du regard de son enfant : un regard qui fait exister « la pureté, la vérité, la beauté toujours nouvelle[7] ». Et Madeleine dit ailleurs que l’éblouissement qui est le nôtre devant un enfant « vient en partie de ces richesses cachées par tant de transparence, de ce poids éternel porté par tant de fragilité [8]». «  C’est Dieu même, comme Créateur, qui est évoqué ici. A Madeleine, l’enfance révèle Dieu.

 L’enfant est une personne.

Ce «  trésor inestimable » a un besoin infini de protection, d’une « double tendresse virile et douce » [9] pour que tout son être grandisse paisiblement. Le concept essentiel pour l’auteur posant les yeux sur ce petit d’homme, est celui de personne[10]. « C’est l’apparition dans le monde d’un nouveau sujet spirituel, unique, irremplaçable… promis à une destinée éternelle. Cette vie fragile est d’un prix infini[11]». Sa mère en reçoit « la révélation ». Dès la naissance, elle a « cette intuition de la personne[12] ». Bien sûr, l’enfant devra grandir avant de devenir autonome. Mais il est déjà digne d’être aimé inconditionnellement. N’est-il pas toute attente de l’amour des siens ? La définition que Madeleine donne de la personne est la suivante : « Une personne, c’est un être autonome, qui pense par soi-même, qui agit librement, qui est capable d’aimer et de l’être[13] ». L’enfant n’est-il pas déjà une personne en devenir ?

2)    Trois fondements de l’éducation de la personne

Une pensée personnelle

A travers la définition de la personne, nous avons entrevu trois aspects primordiaux de l’éducation selon Madeleine Daniélou : penser par soi-même, vivre dans une vraie liberté, apprendre à aimer. Parfaitement pascalienne, l’éducatrice reprend l’idée que l’homme « relève non de l’espace et de la durée mais de la pensée »[14]. Cette dernière lui fait comprendre l’univers et poser des jugements de valeur. Madeleine fait une confiance immense à cette pensée personnelle dont chacun est capable, s’il s’y met vraiment. On découvre l’intériorité par les études, la culture, les amis, la famille, et bien d’autres. Mais, s’adressant soudain à ses jeunes lectrices, elle leur dit avec force : « Trop souvent, vous ne faites pas l’effort de penser par vous-mêmes, vous répétez ce que d’autres ont dit, […] vous suivez une impulsion, un caprice […] Vous gagneriez à réfléchir davantage, à pénétrer d’intelligence tout ce que vous faites, ce serait agir vraiment comme une personne humaine ! [15] ».

La liberté

La deuxième condition qui fait une personne, c’est le fait de vivre dans une vraie liberté. Curieusement, on ne trouve pas, dans les Ecrits, de développement sur ce thème. Le mot liberté n’est guère commenté pour lui-même mais on rencontre l’adjectif « libre ». En fait, la liberté est partout présente, associée à l’intelligence, aux dons, à la croissance spirituelle. La pensée personnelle dont nous venons de parler est un des aspects majeurs de cette liberté. Celle-ci constitue une évidence existentielle, la toile de fond de toute vie bien conduite, responsable. La liberté, écrit Madeleine, « est vraiment une parcelle du pouvoir créateur de Dieu et elle s’exerce de façon privilégiée dans l’ordre de la vie morale[16] ». Un être libre, en effet, ne se laisse pas entraîner par les événements, il se donne une ligne, choisit, décide, agit. Il crée… Dans ce désir de liberté, « se manifeste ce qu’il y a dans l’être humain de plus intime et de plus original : la vie spirituelle[17] ». En effet, « l’éducation que l’être humain reçoit et celle qu’il se donne à lui-même le modifient profondément, développent et harmonisent tous ses dons [18]». En d’autres termes, nous sommes pour une large part les acteurs de notre propre éducation. Face aux enseignements de nos maîtres, nous sommes libres. Dans le travail de perfectionnement que nous voulons réaliser sur nous-mêmes, nous sommes libres. Toute « vie morale et religieuse est conditionnée par la liberté qui est le privilège de la personne[19] ».

L’amour

Le troisième trait qui constitue la personne, c’est l’amour. Sujet banal et rebattu ? Central plutôt. Il concerne toute la vie. « C’est l’amour et non la contrainte qui nous mène dans les voies du bien[20] ». Lien étroit entre l’orientation morale et le fait d’aimer et d’être aimé. Point de place dans cette éducation pour des obligations pesantes, une autorité rigide venue du dehors. L’amour a un nom : l’Esprit Saint. Il habite le cœur de chaque croyant, de tous les êtres humains de bonne volonté. Madeleine l’appelle le « Maître intérieur ». L’éducation se trouve du côté de l’écoute de ce Maître. Mais cette dimension spirituelle est comme adossée à la sagesse humaine : devenir une femme, un homme, c’est choisir d’aimer avec discernement, avec respect, d’un cœur large et fidèle. Madeleine a souvent évoqué l’amour dans le couple, le mariage, la famille. Là se trouve l’exercice vrai et volontaire d’un sentiment qui se construit tout autant qu’il se reçoit : les époux vivront « d’un amour sans reprise et sans trahison, source inépuisable d’inspiration et de chaleur secrète, maître de toute une vie[21]. »

3)    Un respect universel

Le respect

En posant un regard rapide sur la pensée, la liberté et l’amour, nous avons touché à l’essentiel de la tâche éducative. Mais, pour autant, nous n’en n’avons pas fini avec d’autres aspects très importants de la pensée de Mme Daniélou. En effet, une des valeurs sur laquelle l’auteur revient souvent et que notre époque aurait bien besoin de redécouvrir, c’est celle du respect. Maintes fois, Madeleine répète aux jeunes : « Respectez la personne humaine en vous-mêmes d’abord, » Et dans les autres, vos amies, votre famille, vos maîtres, votre pays…, toute personne, principalement les plus déshéritées. « Songeons au prix infini de chaque destinée individuelle, orientée vers l’éternité, rachetée par le sang du Christ[22] ». Et si le respect est l’objet d’une revendication fréquente voire violente dans certaines banlieues aujourd’hui, c’est peut-être précisément parce qu’il touche au fondement même de la relation personnelle et sociale. « Le christianisme a développé une forme particulière de respect, celui des âmes[23]». Ce respect universel se résume pour Madeleine dans le terme : « humanisme » : « Je voudrais que vous soyez des humanistes au grand sens du mot[24] ». Comme l’érudit de la Renaissance, qui met la grandeur de l’homme au centre de l’univers. Ou comme la sainte « suavité » de François de Sales, qui cherche à élever vers Dieu la nature humaine « sans la détruire ni la briser[25] ». Et aujourd’hui, dit Madeleine – qui écrivait ceci au moment où apparaissait l’humanisme athée d’un Sartre ou d’un Camus – les humanistes sont ceux qui « aiment l’humanité ». Cela induit, en toute entreprise ou action, une attitude « de compassion et d’amour. ». « Les parents, les éducateurs, éprouvent ce grand respect devant les âmes des enfants, ils respectent leur pureté, leur liberté, leur vocation[26] ».

La vocation

Et précisément, pour Madeleine Daniélou, chaque enfant, chaque personne est dotée d’une voie unique, privilégiée, qui est liée à ses dons naturels, « à cette petite parcelle de génie que tout être porte en soi » et à ce trait dominant « autour duquel se construira sa personnalité[27] ». Et là, chacun peut percevoir en lui-même un « appel » qui va dans le sens de son moi le plus intérieur, autour duquel s’unifiera sa vie : c’est « la « vocation » ou « les vocations ». Un métier, être médecin, peut être une vocation. Ou encore, un état de vie comme le mariage est une vocation, parce qu’il est une promesse infrangible fondée sur une certitude réciproque profonde. Et Madeleine d’affirmer non sans audace pour son époque : « Une jeune fille doit se libérer de la pression sociale ou familiale quand il s’agit d’engager sa vie, dont elle est seule responsable[28]». Pour des parents, des éducateurs, des professeurs le premier respect envers un jeune, c’est de reconnaître, dans sa personnalité, sa «  vocation ».

Bien sûr, la vocation religieuse tient une place particulière dans la pensée de Madeleine Daniélou. Il faut que l’attrait pour Dieu et pour une vie de prière, soit très grand : « Une vocation est l’œuvre de la grâce, ne nous étonnons point qu’elle dépasse la nature[29] ». Madeleine analyse magnifiquement dans Action et Inspiration[30] les deux élans qui habitent l’apôtre. La vocation apostolique naît d’un double désir : vivre avec Dieu dans l’intimité la plus grande, écouter l’élan créateur de la grâce en soi et participer par une action humaine et spirituelle à l’œuvre divine, à la construction ici-bas du royaume de Dieu, et ceci, sans quitter le monde, au milieu de tous, en communauté, au cœur de l’Eglise[31].

4)    L’éducation selon l’esprit.

L’élite

Bien que très contestée dès son temps, Madeleine n’a jamais renié le mot qu’elle emploie souvent : élite. Sa conception de « l’élite » demande d’être explicitée.

Vingt ans après la fondation du premier « Collège Sainte Marie » à Neuilly, en 1933, Mme Daniélou fonda une école gratuite, ouverte à tous (en cela différente des écoles paroissiales confessionnelles), pour qui elle recruta les meilleurs enseignantes, et qui se trouvait à Courbevoie, banlieue « rouge », totalement déchristianisée, déshéritée à cette époque. Elle concrétisait là une idée chère : l’élite se trouve dans tous les milieux. Alors, qu’est-ce que l’élite pour Madeleine Daniélou ? Ce sont ceux qui, ayant reçu davantage dans leur famille, dans leur éducation, dans leurs talents, dans leurs études, auront davantage à donner aux autres, et devront même davantage partager. On le voit, ce n’est pas d’une élite de l’argent qu’il s’agit, encore moins d’une élite aristocratique révolue. Madeleine évoquait une « élite intellectuelle » ou plutôt, « selon l’esprit », ou plus encore des élites, mais des élites conscientes de leurs responsabilités et qui mettront ces dons et ces compétences au service de ceux qui en ont besoin, d’une manière efficace et désintéressée. C’est l’Evangile. En effet, Madeleine conçoit le peuple des chrétiens comme l’élite spirituelle, riche des dons infinis de la grâce et de la connaissance divine, famille bénie d’un Dieu qui lui demande de partager ses dons humains et spirituels. L’idée de « servir » revient souvent sous sa plume. « C’est déjà servir que de poursuivre des études en vue d’un approfondissement, d’un enrichissement qui profiteront aux autres… Le travail intellectuel est une chose très noble…Il rend plus apte à mieux servir[32]… » Cette conception de « l’élite » entraîne toute une idée de l’éducation : « Les dons ne seront pas développés pour eux-mêmes, égoïstement, mais comme des talents que Dieu nous demande de faire fructifier afin d’être meilleurs et plus utiles[33] ». Ici se trouve une des affirmations les plus centrales de notre auteur. Ceci n’exclut pas le combat spirituel ou psychologique contre les forces négatives bien présentes chez l’enfant (et en nous). Mais Madeleine pense que « c’est le moi spirituel qu’il faut faire émerger, que c’est autour de ce qu’il a de meilleur qu’il faut incliner doucement un enfant à faire son unité[34] ».

L’intelligence

Cet a priori positif, optimiste, enveloppe toutes les vues de Madeleine Daniélou. Dans le métier d’éducateur et d’enseignant dit-elle, il s’agit de « fleurir les voies du bien. » Que l’enfant soit heureux dans ses études sans, bien sûr, renoncer aux exigences : « Découvrir de beaux livres, les savourer, en mûrir lentement les enseignements, lire même un peu au hasard, au-delà des frontières du programme, ce sont des joies très hautes[35]. » Derrière cette joie se dessine une conception particulière de l’intelligence. Madame Daniélou lui donne un rôle éminent, que l’on se doit d’encourager, de développer. Cette faculté de l’esprit ne s’identifie ni avec la seule culture, ni avec le savoir livresque, ni avec la capacité d’adaptation. L’intelligence s’applique à une myriade d’actes de la pensée mais, pour Madeleine, elle est, en dernière analyse, « la faculté de l’autre, elle nous met en relation avec le monde entier[36] ». C’est une intelligence large qui nous accorde à l’altérité, qui peut étendre notre intérêt pour les personnes à l’infini, qui éclaire nos choix les plus graves, et qui peut nous mener de l‘autre à l’Autre.

L’élan créateur

Bien d’autres traits caractérisent « l’éducation selon l’esprit » : la démarche de vérité dans les études et dans la vie, l’équilibre entre autorité et discipline, une conception juste de l’influence, l’inspiration dans la vie intérieure, dans l’action, la transmission de la foi en Jésus-Christ, et bien d’autres encore. Une seule phrase suffirait à résumer la pensée de Madeleine : la réponse qu’elle fit à Bergson, lors d’un entretien qu’elle eut avec lui, en 1932, après la sortie des deux sources de la morale et de la religion, et qu’elle rapporte en ces termes : « Bergson me demanda : ‘ Finalement, Madame, quelle idée vous faites-vous de l’éducation ?’ Je lui ai répondu : ‘Discerner la ligne de l’élan créateur dans l’enfant et la suivre… discerner aussi la conduite de Dieu sur son âme et seconder le Maître intérieur.’ Nous étions bien d’accord. ‘ Mais cela est très difficile. Nous nous trompons toujours, un peu ou beaucoup’[37]  ». L’idée que chaque enfant est créateur est sans aucun doute passée dans nos esprits modernes, mais, à l’époque, quelle nouveauté ! Cette créativité qui déploie les dons et les talents, l’éducation est là pour faire jaillir son expression. Mais il s’agit tout autant de cet élan vers le bien – vers l’absolu du Bien- que tout enfant, normalement, éprouve en lui-même. Cet élan lui vient de Dieu, même si l’enfant ne comprend pas tout. Il est d’un ordre nouveau et concerne le Royaume. Une atmosphère positive, des suggestions discrètes mais sûres, une confiance réelle aident chacun à « discerner la direction que prend en lui l’élan vital et la volonté de Dieu sur sa vie[38] ».

Concluons avec Madeleine sur ce croisement mystérieux entre l’éducateur et l’enfant ou le jeune, au cours de sa formation : croisement entre l’humain et le divin, interaction entre le moi et le Tu, conduite secrète du Maître intérieur dans la liberté : « Le vrai chrétien ne naît et ne se forme que par le contact brûlant d’un apôtre et parce qu’il a reconnu dans une voix humaine l’accent indicible de Dieu[39] ».


 

Citations

 « Nous cherchons, au-delà des données purement rationnelles, des sources neuves de CN, des ouvertures sur le monde spirituel ». « L’enfant est, avec la musique et la prière, une de ces portes grandes ouvertes sur un mystère, non pas de nuit mais de lumière ».

L’éducation selon l’esprit, p.174.

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« La création lui [au mystique] apparaît comme une entreprise de Dieu pour créer des créateurs, pour s’adjoindre des êtres dignes de son amour.[40] ». Une telle révélation nous met bien au-delà de cette émotion créatrice d’un ordre nouveau de sons ou de mots, dont nous parle l’artiste. ».

Action et inspiration, impr. 4, p.58.

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« La beauté, c’est de la grâce fixée, et la grâce est toujours l’esquisse d’une bonté qui se donne. »

Action et inspiration, impr. 4, p.58.

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« On peut finalement dire qu’un apôtre véritable prend conscience en lui de deux élans, et c’est toute la matière de ce livre que de les décrire. L’un est l’élan créateur, constructeur, qui fait les cités terrestres, l’autre est celui de la grâce, orienté vers le Royaume spirituel. Le premier émane des sources de la vie et en révèle les lois, il est cette vie même sous un de ses aspects. Le second vient de plus loin encore, des profondeurs de Dieu, il est l’émanation de son Esprit : Ce qui importe dans l’influence qu’on exerce, c’est d’aider chacun à discerner la direction que prend en lui l’élan vital et la volonté de Dieu sur sa vie. Ces deux forces dont l’une est toute immanente et l’autre transcendante à notre âme se manifestent l’une et l’autre au plus intime de la conscience ; les dégager, montrer leur mystérieuse harmonie, c’est vraiment traiter un être humain avec un maximum de respect et d’amour. Tout cela dépasse et déborde infiniment une influence personnelle, c’est l’œuvre du Dieu créateur et sanctificateur que nous servons dans les plus petits enfants. ».

                                                                            Action et inspiration, ordi p.16.

*

« Ce sentiment des lointaines préparations de Dieu dans tous les peuples et toutes les âmes, saint Paul déjà l’avait très vif. Il s’accrochait à ces vestiges du divin, à tout ce qui pouvait servir d’amorce à la foi. C’est vraiment s’adapter au sens le plus fort du mot que de faire ainsi appel aux ressources les plus cachées des âmes, que d’entrer en elles si profon­dément qu’on arrive jusqu’à ce point que Dieu seul habite, ce nœud qui ne saurait être tranché entre le Créateur et sa créature. ».

                                                                      Action et inspiration, p.18.

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« Elan créateur » ? Cette expression, qui revient à l’auteur des Deux sources de la morale et de la religion, désigne pour Madeleine les dons naturels d’un enfant vus dans une dynamique de croissance :

« On ne crée rien dans un enfant, on ne peut que développer les dons qu’il portait en lui à sa naissance ; on le fait comme on ouvre les pétales d’une fleur pour mettre son cœur au jour[41] »

*

« C’est le fond du message de Jésus, que cette primauté du spirituel, ce rappel ou plutôt cette révélation d’une Bonté Première, seule absolue, seule incorruptible, par rapport à laquelle toute autre bonté, réelle pourtant, pâlit et s’efface, comme la lueur des étoiles quand paraît le soleil. « Dieu seul est bon[42] » dit Notre Seigneur à ce jeune homme qui l’interrogeait anxieusement sur le sens qu’il devait donner à sa vie ».

*

 « Les éducateurs doivent avoir un très grand souci de découvrir et de déve­lopper la personnalité de chaque enfant, et un non moins grand souci de lui apprendre à se subordonner et à servir ».

                                                                 Action et inspiration, p.73.

*

« Mais à cet âge une orientation peut être décisive, l’élite doit être distinguée et sa vocation fixée. Que de respect tout ceci suppose, quelle compréhension, quelle patience! Quels dons prédisposent à l’apostolat ?

Action et inspiration, p.29.

*

« En fait l’apôtre, s’il veut agir sur son temps, s’il a une mission à remplir, doit s’y employer avec tous ses compétences et mettre des dons véritables au service d’une authentique inspiration. »

                                                                            Action et inspiration, impr. 4, p.6.

*

« Il en est tout autrement d’un être humain. L’éducation qu’il reçoit et celle qu’il se donne à lui-même le modifient profondément, développent et harmonisent tous ses dons. Il vous appartient de mettre l’unité dans votre vie, de faire prédominer vos qualités les meilleures, d’affaiblir vos tendances médiocres. Vous pouvez faire tout cela parce que vous êtes amour : il est dur d’être éclairé sur leurs défauts, de les voir tels qu’ils sont. C’est pourtant une supériorité de pouvoir supporter cela, sans les aimer moins, acceptant leur condition humaine d’êtres imparfaits comme nous. Le véritable amour n’est pas fondé sur des qualités imaginaires dont nous parons les êtres aimés, mais sur ce qu’ils sont en réalité : des créatures de Dieu ».

                                                                 Livre de sagesse 1, p. 29.


* Communauté apostolique Saint François-Xavier.

[1] ECRITS de Madeleine Daniélou, L’éducation selon l’esprit, Cerf, Paris, 2011, tome 1, p.167.

[2] ECRITS de Madeleine DANIELOU : Tome 1 : Action et inspiration, L’éducation selon l’Esprit, Quand vous priez. Tome 2 : Premier livre de sagesse, Second Livre de Sagesse, Visage de la famille. Tome 3 : Madame de Maintenon éducatrice, Fénelon et le duc de Bourgogne. Texte préfacé, adapté et établi par Blandine-D. Berger, Cerf, Paris, 2011.

[3] Visage de la famille, tome 2, p.341.

[4] Second Livre de sagesse, tome 2, p.218.

[5] Texte cité dans le Second livre de sagesse, tome 2, p.219.

[6] L’éducation selon l’esprit, tome 1, p.170.

[7] Ibid.

[8] Second Livre de sagesse, tome 2, p.220

[9] Ibid.

[10] Elle évoque ici Le Personnalisme, d’E. Mounier. On sait combien Madame Daniélou fut liée à Emmanuel Mounier, (1905-1950) longtemps professeur à Sainte-Marie de Neuilly, et à la revue Esprit qu’elle encouragea dès le début. Le philosophe était ami avec Jean Daniélou et Georges Izart, mari de Catherine Daniélou.

[11] Visage de la Famille, tome 2, p.317.

[12] Ibid. p.342.

[13] Premier livre de sagesse, tome 2, p.43.

[14] Premier livre de sagesse p.44. PASCAL, Pensées, P. 200 Lafuma, Seuil, 1973.

[15] Ibid., p.44.

[16] Ibid., p. 30.

[17] Ibid.

[18] Ibid., p. 29.

[19] Ibid., p. 44-45.

[20] Ibid., p. 31.

[21] Ibid., p. 97.

[22] Ibid. p. 83.

[23] Ibid.

[24] Ibid. p. 47.

[25] Ibid. p. 48.

[26] Ibid. p. 83.

[27] L’éducation selon l’esprit, p. 221.

[28] Second livre de sagesse, tome 2, p. 158.

[29] Ibid. p. 160.

[30] Action et Inspiration, tome 1, Introduction, idée de l’apostolat, et p. 73-74.

[31] C’est la vocation de bien des Communautés aujourd’hui. C’est celle de la Communauté Saint-François Xavier créée par Madeleine Daniélou, dans une inspiration ignatienne et originale à la fois.

[32] Premier livre de sagesse, tome 2, p. 63.

[33] L’éducation selon l’esprit, tome 1, p. 231.

[34] Ibid.

[35] Ibid. tome 1, p. 200.

[36] L’éducation selon l’esprit, p. 90.

[37] Blandine-D. BERGER, Madeleine Daniélou 1880-1956, Cerf, 2002, histoire biographie, p. 266.

[38] Action et inspiration, p. 42.

[39] Ibid. p. 24.

[40] BERGSON Henri, Les Deux Sources de la morale et de la religion, Paris, Alcan, 1932, p.273

 

[41] ?

[42] cf. Lc 18, 19