Laurence Loeffel (sous la direction de)
Ecole, morale laïque et citoyenneté aujourd’hui

Paris – Septentrion – 2009 – 136 p.

Force est de le reconnaître : cet ouvrage collectif est décevant. Dès la « présentation », due à Laurence Loeffel, on commence à le craindre ; et, au terme de la lecture, malgré quelques bons chapitres, cette appréhension est confirmée. Cela tient sans doute à l’imprécision de l’objectif ; il n’y a ni cohérence entre les problématiques des diverses contributions, ni progressivité de l’argumentation, ni articulation des approches successives. En outre, et surtout, des notions centrales, spécialement celle de « morale laïque », ne sont pas l’objet de définitions rigoureuses et homogènes.

Après une bonne étude des « paradoxes » de Condorcet et un essai de bilan de « l’éducation morale laïque en France », un texte bref de M. Baubérot étudie ce que furent les valeurs enseignées au début de la 3ème République. Mais, quand il écrit « qu’une morale laïque est seule susceptible d’assurer la qualité du vivre-ensemble » (p. 41) on demeure doublement dubitatif : d’abord parce que les obstacles à ce vivre-ensemble sont loin de tenir exclusivement à des divergences d’ordre moral ou religieux mais procèdent bien davantage de conflit d’ordre culturel et socio-économique ; ensuite, parce qu’il ne dit pas ce qu’il entend par « morale laïque » ; quant au danger de voir les religions « imposer des normes à la société civile », (p. 43) il s’agit d’un problème qui mérite plus que deux lignes.

Joël Roman vient heureusement éclaircir ce débat. On lui saura gré, d’abord, d’avoir explicitement et sans détour fait observer (p. 67) que « la morale laïque » est, dans les polémiques françaises, l’objet d’un malentendu qui fausse les discussions, parce qu’elle s’entend en deux acceptions non seulement distinctes mais incompatibles et même, en toute logique, rigoureusement contradictoires : pour les uns, c’est la « morale commune », adoptée par tous, malgré la diversité respectée des référentiels philosophico-religieux ; pour les autres, c’est au contraire une option parmi d’autres et, plus précisément, souvent, une morale rationaliste, voire athée, hostile au religieux en tant que tel, c’est-à-dire le laïcisme. En ce deuxième sens, la « morale laïque » n’est pas laïque ; mais cette équivocité terminologique entretient la confusion des esprits. S’agissant ensuite de l’absence du droit de vote des femmes, que M. Baubérot considère comme un « impensé » (p. 40) de le monde laïque, J. Roman rappelle que la suspicion des laïques à l’égard des femmes (p. 68) tient à ce qu’ils les soupçonnent « d’obéir aux préceptes des curés » (id), c’est donc délibérément qu‘ils les écartent du suffrage universel. De même dit-il clairement que, si l’interprétation neutraliste de la mode laïque pouvait valoir à l’époque de Jules Ferry, quand existait un consensus social, elle est devenue désuète dans une société où celui-ci s’est dilué dans l’insignification et le verbalisme (p. 71). Enfin, estime-t-il, « les craintes un peu fantasmatiques » (p.72) d’un communautarisme pieusement diabolisé devraient plutôt porter sur un certain « communautarisme national républicain » (id).

Quant à M. Delahaye, qui analyse la situation des établissements scolaires en la matière, il indique aussi que, contrairement à ce que prétend le laïcisme, « la laïcité n’est pas une option spirituelle parmi d’autres » (p.81) ; de plus, il note très justement que l’Etat a associé « fermeté dans l’affirmation des principes et prudence et accommodements dans les faits » (p.78). Mais cela tient à ce que, si la laïcité consiste à respecter la liberté de ne pas croire comme celle de croire, la seconde est plus difficile à organiser que la première : que requiert, en effet, la liberté de croire ? C’est là que se posent les problèmes concrets d’ajustement et que se manifestent les risques d’abus et d’étroitesse.

Mme Loeffel souhaite, en commençant, que ce livre aide à trouver « les principes et orientations d’une morale commune pour l’école » (p. 17). Au fil de la lecture et compte tenu de la réalité présente, on ne peut s’empêcher de craindre que, selon une qualification qu’elle affectionne, cette perspective soit un peu « simplette ».

Guy AVANZINI