Archives de l’auteur : Avanzini Guy

Daniel MARCELLI
Moi, je ! De l’éducation à l’individualisme.

Paris, Albin Michel, 2020, 264p.

Cet ouvrage, peut-être un peu long, s’adresse à tous ceux qu’inquiète l’actuel crise de l’éducation : selon quelles finalités éduquer et moyennant quelles pratiques ! Nul n’échappe à ces deux questions, conjointes mais disjointes, qu’induisent les transformations culturelles en cours. En particulier, on a vu, depuis 20 ou 30 ans, émerger un courant de pensée qui, avec l’avènement du « bébé compétent » (p.10) fort de son « potentiel », induit une mentalité permissive et individualiste au nom de laquelle chaque enfant pourrait poser librement ses propres choix.

Face à cette mentalité, l’auteur a rassemblé et exposé une abondante documentation. Il étudie les signes et indices de cette évolution, notamment la succession de concepts valorisés puis dévalorisés (bébé, sujet, enfant) comme le renversement des relations entre « désir » et « besoin » de l’enfant. Tout à la fois, il semble estimer irréversible cette évolution, mais en même temps il déplore les conflits qu’elle suscite inévitablement entre l’adolescent libre de ses choix, les inévitables contraintes sociales et les obstacles que rencontrent sa volonté ou ses caprices. C’est pourquoi, indique M. Marcelli, on est conduit à se poser une grave question : « que feront nos enfants, demain ? » (p.7). Va-t-on inéluctablement vers « le triomphe de l’individu » (p.13) et « l’individualisme éducatif » ? (p.15). Au total, l’on se trouve devant un dilemme : « accéder à la liberté de choisir mais pouvoir en accepter les contraintes ? Tels sont les enjeux de l’éducation contemporaine » (p.309).

Face à cette conjoncture, M. Marcelli semble embarrassé et son argumentation devient un peu floue. D’abord, quels sont exactement le statut et la validité de ces « compétences » ou de ce « potentiel » prêtés à l’enfant ? En outre, si le sujet est invité à des choix, selon quels critères va-t-il les effectuer ? Quelles valeurs mobilisera-t-il ? Faute de le savoir, doit-on se résigner à l’inéluctabilité des évolutions sociales ou les refuser et se révolter, mais jusqu’à quel point ? Aussi bien, devant ces options décisives, l’individu semble disposer d’un statut bien étriqué et en difficulté pour y faire face ? N’est-il pas dépourvu de valeurs dynamogènes indispensables pour fonder ses décisions ? On a le sentiment que, par rapport à ces problématiques, il se trouve devant un horizon bien limité. Du moins est-ce l’impression que laisse ce livre, comme s’il lui manquait un véritable projet axiologique, à la mesure et à la hauteur de la situation contemporaine.

Guy Avanzini

 

 

Jean-Marie PETITCLERC
Rebâtir la fraternité.

Paris, Salvator, 2021, 108 p.

En entreprenant l’écriture d’un ouvrage sur la fraternité, Jean-Marie Petitclerc s’exposait courageusement à un risque. Cette notion est, en effet, tellement conflictuelle, controversée, compromise par les alibis d’un discours mensonger et hypocrite, qu’il est singulièrement difficile de la restituer à un registre rationnel qui lui confère une validité. C’est que, dès ses origines, la première expérience de la fraternité – Caïn et Abel – a été un cruel échec, qui a traversé les siècles et compromis, à jamais, une éducation ordonnée à prévenir la violence et, de ce fait, exposée à un sort aléatoire.

Comme on l’a déjà remarqué, la difficulté fondamentale tient à ce que, à la différence de l’amitié, qui relève du choix des personnes, la fraternité est visée pour des sujets qui ne se sont pas choisis et entre qui interviennent toutes sortes de rivalités. On constatera  ainsi que, en dépit du discours qu’elle tient sur la fraternité, l’École est bien loin d’offrir un contexte dans lequel celle-ci soit reconnue et respectée. Dénoncée comme « reproductrice », elle prolonge des inégalités qui gênent les relations entre les personnes. Elle favorise, à son insu ou délibérément, des situations de rivalité et de concurrence dans un climat darwinien d’esprit sélectionniste et élitiste.

La société globale expose aux mêmes risques car elle offre le spectacle affligeant d’un refus de coopération et de l’organisation de la concurrence. A la limite, c’est le vouloir vivre commun qui est récusé ou qui échoue à trouver ses modalités d’organisation. Plus radicalement, ces dernières ont un fondement proprement anthropologique. Le freudisme a mis en évidence la thématique du « meurtre du père ». Lorsque l’autorité de celui-ci est récusée, la fraternité l’est aussi par voie de conséquence, de sorte qu’elle valorise un individualisme qui en est la négation même.

Dès lors, les sujets se répartissent en deux catégories :

  • Les croyants, formés dans le christianisme : « la vraie racine, c’est la filiation à un père commun » (p.68), ainsi que l’indique justement Jean-Marie Petitclerc.
  • Les non-croyants, qui peuvent éventuellement désirer la fraternité, mais sans que ce soit avec le même élan chez tous. C’est que, faute de paternité, la fraternité trouve difficilement son fondement. Elle va chercher à « se rebâtir », en invoquant des raisons de bon sens ou d’utilité, mais sans procurer un fondement rationnel qui justifierait de s’y soumettre. C’est bien pourquoi ces constructions sont précaires et fragiles ; elles peuvent même placer dans une situation contradictoire en se justifiant par le danger que représente autrui, c’est-à-dire précisément par son manque de fraternité. C’est dans une situation de ce type que se trouvent le plus fréquemment nos sociétés : convaincues que la fraternité est indispensable, elles ne parviennent pas à l’établir et sont toujours menacées par la fragilité de valeurs indécises, qui ne parviennent pas à assurer leur justification. On peut donc craindre que, en préconisant la reconstruction de la fraternité, Jean-Marie Petitclerc soit un peu optimiste. L’éducation, quelle qu’elle soit, est-elle à la hauteur des périls qu’elle rencontre et peut-on l’espérer capable de les surmonter ?

Guy Avanzini

 

Jean-Marie PETITCLERC
La pédagogie de Don Bosco en 12 mots clés.

Editions Don Bosco, Paris, 2012, 214 p.

Parmi les nombreuses et valeureuses publications de JM Petitclerc, peut-être celle-ci, dont la recension a été omise par mégarde, celle-ci est peut-être la plus dense et la plus approfondie, celle qui en situe le mieux la spécificité et le bien-fondé. Sans doute en raison de sa portée, elle tient à l’originalité délibérée de son approche, qui consiste à l’exposer par l’identification et le jeu systémique de 12 « mots clés » censés ouvrir l’accès à la pensée de l’auteur. Avec son talent de clarification de concepts apparemment ténébreux, l’auteur en a discerné 12, qui lui paraissent tenir un rôle majeur et dont le classement alphabétique induit le plan de l’ouvrage en 12 chapitres.

En quelque manière, l’on vérifie au fil des pages la pertinence de la méthode mais aussi de l’introduction des concepts retenus, qui permettent d’approfondir l’intelligibilité d’une pensée mobilisée sur des pratiques éducatives. Ainsi, la lecture de l’ouvrage est une sorte de promenade parmi les concepts rencontrés non par hasard ou par fantaisie, mais parce qu’ils illustrent leur fonction systémique. Aussi découvre-t-on la cohérence et la plasticité d’un système dont la dynamique illustre et vérifie la pertinence de la nouveauté.

Encore ne peut-on, malgré ses mérites, méconnaitre les risques de cette démarche d’exposition. Elle réside évidemment dans l’établissement de la liste et du choix des concepts posées et reconnus comme fondateurs, d’autant plus que les frontières entre eux ne sont pas étanches. Par exemple, « la douceur » ne recouvre-t-elle pas plusieurs notions et n’est-elle pas inséparable de la notion opposée de violence, qui n’est pas dans la liste, non plus que celle de système. Peut-on donc éviter certaines redites comme certaines omissions ? C’est dire que cette méthode est séduisante et productrice sans exclure ni pouvoir écarter certaines répétitions. On souhaiterait donc que, pour sa vérification, elle fût étudiée sur d’autres auteurs.

Guy AVANZINI

 

Scouts et Guides de France : 100 ème anniversaire.

Documents de l’Épiscopat n°5, 2020, 167p.

Les nombreuses publications qui célèbrent le centième anniversaire du scoutisme se proposent volontiers de répondre à la question radicale que pose à leur propos Mgr Bozo : « le scoutisme catholique survit-il ou vit-il pleinement ? » (p.8).

Si sa réponse est fermement positive, elle suppose cependant d’identifier divers indices qui la justifient. Sans en proposer ici une liste exhaustive, nous retiendrons seulement quelques aspects caractéristiques.

La première est sans doute la netteté de la confirmation de l’intention apostolique : il s’agit, et plus que jamais, de faire face à l’ignorance religieuse et à la méconnaissance du christianisme. Il importe pour cela de revivifier le dynamisme spirituel du mouvement et d’intensifier sa volonté de témoignage.

On connait la devise du scoutisme : « toujours prêts ! ». En termes plus contemporains, cela pourrait se formuler autrement : il s’agit de vouloir accompagner quiconque en a besoin. L’accompagnement consiste en effet à aider quelqu’un dans la réalisation d’un projet dont il est l’auteur mais qu’il ne pourrait sans doute pas accomplir tout seul. Le scout, dans la mesure de ses moyens, va entreprendre de l’y aider : cela est bien l’accompagnement.

Le Mouvement se propose aussi d’être accueillant à des adolescents de tous milieux sociaux. Il s’adressait davantage, traditionnellement aux plus favorisés. Son intention est, dorénavant, de s’ouvrir aux jeunes des quartiers populaires et des banlieues. C’est là un objectif auquel il lui importe de s’attacher tout particulièrement.

Le scoutisme sera également de plus en plus attentif à la réflexion sur son action éducative. Cela est, notamment, à la fois, la raison et l’objectif de la création des cahiers CLEOPHAS, centrés sur l’action liturgique et, surtout, les problèmes spirituels qui y sont liés.

Osera-t-on, pour clore cette liste, adopter la proposition, à la fois paradoxale et profonde, d’un aumônier, qui propose de considérer que le premier scout est : Jésus Christ. Aussitôt, cependant, une question se pose : vu la diversité des associations de scoutisme catholique, à laquelle Jésus Christ adhérerait-il ? Quoi qu’il en soit, Deo adjuvante, le scoutisme est bien marche vers son deuxième centenaire.

Guy AVANZINI

 

 

Ambroise Tournyols du Clos.
Transmettre ou disparaître : manifeste d’un professeur artisan.

Paris, Salvator, 2021, 166 p.

C’est une étude de bon niveau réflexif que propose cet ouvrage. Sans doute est-il difficile d’entrer dans sa lecture et dans sa dynamique car l’absence d’une problématique localisée obscurcit d’abord son projet. Il s’agit en réalité d’analyser la crise de l’enseignement et de la transmission et de savoir comment y remédier. Mais, il propose pour cela une approche originale. Il exclut en effet les modèles pédagogiques périmés comme des perspectives ouvertes par les sciences de l’éducation, mais il mobilise une nouvelle anthropologie fondée sur l’éducabilité des élèves. Il suppose que tous sont éducables, en particulier les adolescents sont sensibles à toutes les formes d’arts : « Sans doute faut-il admettre qu’au regard de l’amour, aucun territoire ni personne n’est jamais perdu » (p.66). C’est pourquoi, il se perçoit lui-même comme un artisan, créateur d’œuvres suggérées par la rencontre des élèves : « Avec tous ses défauts…la troisième République avait au moins enraciné dans le cœur des professeurs l’amour et la dignité de leur mission…cette École a su faire des émules et transmettre le goût du savoir » (p.65). Aujourd’hui, il en va autrement, et le même goût du savoir peut se restaurer si l’intéressé rencontre une personnalité qui lui révèle sa propre créativité : « Nous avons aujourd’hui à renouveler dans l’amour l’élan premier de la transmission » (id). Aussi bien, c’est ce regard qui l’amène tout naturellement à renvoyer à Don Bosco. Il s’agit donc de rejeter tout processus de fabrication en série ou de mécanisme : l’éducation est le contraire même de la fabrication.

Poussant plus loin sa perspective critique, Monsieur Tournyols du Clos rejette aussi les prétentions politiques de l’École : pour lui, là encore, ce n’est pas la répétition qui provoque la conviction. C’est pourquoi les démarches d’éducation civique lui paraissent vaines et propres à susciter plutôt l’ironie que l’adhésion.

On le voit, cet ouvrage se veut à la fois novateur et combatif. Il ne craint pas d’ouvrir le débat sur des problèmes controversés mais l’enjeu de cette confrontation mérite qu’elle soit conduite.

Guy Avanzini

 

Anniversaire des Filles de Marie-Auxiliatrice

Les Filles de Marie-Auxiliatrice – dites Sœurs Salésiennes de Don Bosco (SMA) – célèbrent en ce moment leur 150ème anniversaire.  Comme toutes les congrégations religieuses spécialisées dans l’éducation, elles méritent et reçoivent l’hommage dû à leur dévouement et à leurs compétences.

Les congrégations présentent généralement une originalité, une spécificité : celles de leurs objectifs et, plus encore, de leur spiritualité. Il s’agit précisément de leur « charisme ». Les Filles de Marie-Dominique Mazzarello manifestent, en la matière, une forte singularité : solidement adossées à la pédagogie de Don Bosco, à qui elles doivent leur élan et leur sécurité, fortes de leur charisme, elles ont su, simultanément, sauvegarder et aménager leur autonomie. De plus, disposant du « système préventif » et de la thématique de la confiance, elles ont très vite perçu combien leurs origines leur permettaient de tirer parti d’une certaine proximité avec les courants libéraux qui commençaient à la même époque à se déployer dans la conception de l’éducation des filles.

Guy Avanzini

Jean-Marie Petitclerc – Portrait de Saint Dominique Savio

Paris, Salvator, 2020, 144 p.

C’est, dit-il, aux adolescents eux-mêmes que, à leurs propres demandes, le Père Petitclerc adresse cet ouvrage. Son hypothèse, c’est évidemment que la figure de ce jeune Saint (1842-1857), Dominique Savio, canonisé en 1954, suscite un désir d’identification : hypothèse risquée, néanmoins, dans la mesure de la différence entre « les jeunes d’aujourd’hui », volontiers rebelles à toutes normes, et ceux du XIXème siècle. Cependant, si l’on ne cède pas à des représentations trop sommaires, Dominique Savio peut leur parler à sa façon. Son message ne porte pas, en effet, d’abord sur les enseignements scolaires mais sur la vie relationnelle quotidienne, au sein de l’établissement. C’est là qu’il est original et peut exercer un rôle.

Son originalité, c’est la manière dont il s’efforce de transformer le climat de la récréation et de l’internat. C’est à ces moments-là qu’il exerce une très grande influence en s’efforçant de faire cesser « les bagarres, les comportements agressifs, la violence, voire les désirs malsains » ; il s’efforce d’animer la vie fraternelle et de cultiver la bonne entente entre élèves. Il peut donc être considéré comme l’ancêtre ou l’inventeur de la « médiation » par la façon dont il intervient pour mettre fin aux conflits. C’est pourquoi Jean-Marie Petitclerc peut voir en lui le début des pratiques de médiation. On peut considérer que, à ce titre, il est, une fois de plus, au départ des intuitions pédagogiques de Don Bosco.

Guy Avanzini

Victoire Degez – Guide pratique et simple pour
une orientation réussie

Paris, Salvator, 2020, 240p.

Face à l’imprévisibilité du monde à venir, l’incitation adressée aux adolescents de « choisir » leur avenir pourrait prendre l’allure d’un défi ou d’une provocation : comment opter au sein de l’indiscernable ? Quelle pertinence accorder à une aspiration affectée de tant de facteurs aléatoires ? N’est-ce pas là une situation impossible, propre à induire le désarroi, sinon la colère, ou l’ironie, la déception, voire la dépression ? Ne sont-ce pas là les effets prévisibles d’une incitation qui peut sembler ironique ? N’est-elle pas une raison suffisante pour susciter ou accroître le découragement, le désintérêt scolaire, sinon le « décrochage » ? Mais, sans s’abandonner au pire, le risque majeur est celui d’un avenir affecté d’un poids de déterminants sociaux et socio-économiques insurmontables. Cela ne rend-il pas absurde l’idée de choix ? Quel sens prend en effet, dans cette situation, l’expérience d’une motivation ou d’un désir dont le contexte compromet l’obtention ?

Cependant, voici que, récemment, l’horizon semble commencer à se dégager ; cela est dû à diverses initiatives qui ont renouvelé les problématiques de l’orientation. Le signe en est donné, notamment, par diverses publications (cf. par exemple celle de : M. Chevreul. Ta vie est une mission. Paris, éditions Emmanuel, 2020, 178p.) et celle de Madame Degez, qui ont réhabilité une sphère de liberté pour l’orientation : ils n’y voient plus seulement la recherche d’une correspondance, plus ou moins garantie, entre une formation et un métier ; ils y voient, au contraire, le lieu possible de réalisation d’une « vocation » impliquant de considérer le choix professionnel comme voué à la réalisation d’un désir, comportant lui-même de fortes dimensions éthiques. Dans la même perspective, on voit émerger et se développer la notion de coach, impliquant la légitimité d’une aide à porter à un sujet pour faciliter son adaptation et favoriser sa réussite. Dans le même sens la diffusion, parfois abusive et insuffisamment maîtrisée, de la notion d’accompagnement qui, rigoureusement entendue, valorise le soutien à la réalisation d’un projet que son auteur ne parviendrait pas à faire aboutir seul, mais qu’il mènerait à bien avec un soutien approprié. Tout cela implique la reconnaissance d’une certaine liberté de jeu, et non l’acceptation aveugle de l’évolution socio-économique.

Pour Madame Degez, il ne s’agit pas « d’être orienté », c’est-à-dire d’apprendre d’un testing ce dont on serait capable, et d’y adhérer docilement, mais de travailler à son accomplissement.

A cet égard, la démarche à laquelle Madame Degez invite est celle d’une démarche active de toute la famille, qui réfléchit, avec l’intéressé, de son orientation. Nous sommes, ici, dans une attitude radicalement opposée à celle qui consiste à consulter « l’orienteur », plus encore « l’orientateur ». L’objectif est de réagir à certains critères susceptibles d’aider l’adolescent à identifier son portrait : quels sont ses goûts et ses points forts et, inversement, ses faiblesses ? quels sont, également, ses désirs et ses craintes ? Quelles sont, enfin, ses possibilités objectives et son propre contexte ? C’est l’ensemble des conclusions dégagées de cette réflexion qui le conduira à une réflexion saine susceptible d’aboutir à une décision délibérée, source de liberté.

Guy Avanzini

Agnès Charlemagne – Je t’écoute : petit guide pour
transmettre la foi entre les générations

Paris, 2020, éditions Créer, 190 p.

Justement connue et estimée pour ses activités pastorales dans les établissements catholiques d’enseignement, Agnès Charlemagne vient de publier un livre qui est à la fois la synthèse de ses travaux antérieurs et l’ouverture à de nouvelles recherches. Elle part de l’idée que l’éducation religieuse ne saurait se réduire à transmettre aux adolescents un bagage théologico-pastoral achevé, auquel ils adhéreraient d’emblée. Elle considère, au contraire, qu’il convient de partir de leurs expériences existentielles ou de leurs problèmes, pour engager une libre réflexion qui puisse conduire à la formalisation de données religieuses proprement dites et favoriser un accès à l’Évangile. On le voit, il s’agit d’une véritable révolution copernicienne liée à un renversement d’ordre anthropologique. Il ne s’agit plus d’accueillir facilement une révélation, mais de chercher les questions, problèmes et difficultés qui conduisent à accueillir la parole de Dieu pour en discerner le sens. Mutatis mutandis, on pourrait comparer cette démarche, en didactique générale, à celle de Freinet : les textes libres produits par les élèves sont d’emblée traités comme des matériaux à partir desquels va s’élaborer leur culture : pour toi, qui est Jésus Christ ? Où est Dieu ? C’est à partir de questions de ce type que l’on va s’efforcer d’engager la réflexion.

Cette approche nouvelle et originale peut paraître prometteuse. Cependant, vu sa nouveauté et sans aucun préjugé malveillant, elle appelle à un examen approfondi pour en éviter toutes dérives. Il importe en effet, en la matière, d’écarter l’adoption de nouveautés séduisantes mais équivoques, ou de les refuser par rejet de l’improvisation. Il faut donc la soumettre à une évaluation théologique qui en identifie la pertinence. Par ailleurs, la pratique des « ateliers », manifestement très suggestive et bienvenue, appelle à une précision sur sa gestion et son déroulement : comment s’y prendre pour procéder à « l’extraction » de l’intuition de l’élève et à son élucidation proprement spirituelle et religieuse.

A vrai dire, ces deux questions sont voisines. L’évaluation est indispensable à la sécurisation de la démarche et la rigueur méthodologique de celle-ci est également très souhaitable pour favoriser les progrès que requiert aujourd’hui la démarche catéchétique. Les difficultés que celle-ci rencontre actuellement et l’évidence de son importance donnent à cette investigation une urgence inconditionnelle.

Guy Avanzini

 

Louis Lourme – Éduquer, c’est -à-dire ? Anthropologie
chrétienne et éducation

Paris, Bayard, 2020, 228p.

Dès l’introduction, M. Lourme observe que l’éducation renvoie doublement à l’anthropologie : d’abord parce qu’elle est presque toujours liée à une certaine vision de l’enfant ; ensuite parce qu’elle entend promouvoir un certain type d’être humain. Cette référence est inégalement élaborée et identifiée mais elle est toujours présente. L’auteur met également en évidence un lien interne et intrinsèque entre éducation et philosophie. Il analyse ce lien notamment chez les grands formateurs, spécialement, pour l’époque contemporaine, Maritain et Mounier.

Ce premier chapitre, dû au professeur François Moog, analyse précisément ce lien ; en étudiant l’évolution de leurs textes, il le montre particulièrement valorisé chez Maritain et Mounier. Et il suscite, de ce fait, une réflexion très bienvenue sur une question considérée comme tellement importante qu’elle se trouve paradoxalement oubliée ou négligée, comme si c’était évident.

Mais c’est ensuite avec une particulière attention qu’on étudiera la communication du Frère André-Pierre Gauthier sur l’élaboration d’une « pédagogie de la fraternité ». Ce trait spécifique constitue à ses yeux l’exigence majeure d’un établissement chrétien en tant que tel. Son objectif, dit-il, ne saurait être autre que de s’attacher obstinément à réussir une pédagogie de la fraternité. C’est cela qui manifeste la singularité du projet de l’École catholique : la fraternité doit y être vécue dans les moments les plus quotidiens, dans la normalité de l’École, « dès qu’on en a franchi le seuil » (p.86). En effet, « l’acte éducatif y est vécu comme désir de relations fraternelles » (p.87). Là est son projet séculaire, à référer aux fondateurs les plus prestigieux des congrégations spécialisées. Pout l’École catholique, cette fraternité est « un élément structurant de l’acte éducatif » (p.95). Il ne s’agit plus ici de juger, d’évaluer, de classer, de condamner, mais de comprendre pour conduire à la réussite. Est-il besoin de souligner à l’attention de ceux qui cherchent à réactiver leur enseignement qu’ils trouveront dans ces pages le moyen d’y parvenir et, notamment, de repérer les finalités stimulantes qui répondent au désir de « ré enchanter l’École », ce que préconise le Secrétariat Général.

Le Père Stalla-Bourdillon propose ensuite une belle étude sur la parole de l’Homme, Etre qui parle, qui porte la Parole, qui entend celle d’autrui, dialogue avec lui et, plus encore, entend et reconnait la Parole de Dieu. L’auteur analyse sa fonction « nutritive », qui construit ceux à qui elle s’adresse, en particulier l’enfant et l’adolescent : l’un et l’autre la reçoive comme une nourriture, dont le défaut ou la mauvaise qualité compromettent gravement le développement. La Parole est à la fois objet et moyen de l’éducation, qui la mobilise sans cesse pour se déployer et donner un sens à la vie.

Dans le chapitre suivant, confié à Viviane Conturie, FSX, on retiendra d’abord le titre original : « La faculté de l’autre ». Ce texte, de haut niveau, analyse cette capacité humaine de « l’expérience d’autrui ». Au terme de son analyse, l’auteure peut dire : « éveiller, développer, faire expérimenter et goûter la faculté de l’autre, c’est un grand défi pour les éducateurs, parents et enseignants, et c’est aussi l’une de leurs missions les plus urgentes ? Elle montre comment l’élève perçoit et comprend cette capacité que, trop souvent, on se contente de condamner ou de bannir comme un simple bavardage. Il ne faut pas oublier que, selon le mot de Marguerite Lena, « la mission éducative, c’est cette parole qui appelle à vivre, à la fécondité d’un pouvoir au-delà de soi-même ».

Ce livre est important. Malheureusement, il n’est pas encore assez connu. Or, vu sa richesse, sa rigueur et sa capacité d’aller à l’essentiel, il devrait être diffusé et médité dans toutes les écoles chrétiennes. Il fournit en effet un bel exemple de cette anthropologie pédagogique qui appelle son Traité. En outre, il s’offre aux praticiens d’une « éducation intégrale » comme de la « pédagogie de l’Autre » pour y nourrir leur inventivité.

Nous terminerons cette recension en citant une remarque de Monseigneur Ide : « Ce dont les éducateurs, parents et enseignants, ont le plus besoin aujourd’hui, c’est le discernement vis-à-vis de ces différents modèles anthropologiques qui leur sont proposés » (p.196). Ce livre magistral pourra les y aider.

Guy Avanzini