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Anniversaire des Filles de Marie-Auxiliatrice

Les Filles de Marie-Auxiliatrice – dites Sœurs Salésiennes de Don Bosco (SMA) – célèbrent en ce moment leur 150ème anniversaire.  Comme toutes les congrégations religieuses spécialisées dans l’éducation, elles méritent et reçoivent l’hommage dû à leur dévouement et à leurs compétences.

Les congrégations présentent généralement une originalité, une spécificité : celles de leurs objectifs et, plus encore, de leur spiritualité. Il s’agit précisément de leur « charisme ». Les Filles de Marie-Dominique Mazzarello manifestent, en la matière, une forte singularité : solidement adossées à la pédagogie de Don Bosco, à qui elles doivent leur élan et leur sécurité, fortes de leur charisme, elles ont su, simultanément, sauvegarder et aménager leur autonomie. De plus, disposant du « système préventif » et de la thématique de la confiance, elles ont très vite perçu combien leurs origines leur permettaient de tirer parti d’une certaine proximité avec les courants libéraux qui commençaient à la même époque à se déployer dans la conception de l’éducation des filles.

Guy Avanzini

Jean-Marie Petitclerc – Portrait de Saint Dominique Savio

Paris, Salvator, 2020, 144 p.

C’est, dit-il, aux adolescents eux-mêmes que, à leurs propres demandes, le Père Petitclerc adresse cet ouvrage. Son hypothèse, c’est évidemment que la figure de ce jeune Saint (1842-1857), Dominique Savio, canonisé en 1954, suscite un désir d’identification : hypothèse risquée, néanmoins, dans la mesure de la différence entre « les jeunes d’aujourd’hui », volontiers rebelles à toutes normes, et ceux du XIXème siècle. Cependant, si l’on ne cède pas à des représentations trop sommaires, Dominique Savio peut leur parler à sa façon. Son message ne porte pas, en effet, d’abord sur les enseignements scolaires mais sur la vie relationnelle quotidienne, au sein de l’établissement. C’est là qu’il est original et peut exercer un rôle.

Son originalité, c’est la manière dont il s’efforce de transformer le climat de la récréation et de l’internat. C’est à ces moments-là qu’il exerce une très grande influence en s’efforçant de faire cesser « les bagarres, les comportements agressifs, la violence, voire les désirs malsains » ; il s’efforce d’animer la vie fraternelle et de cultiver la bonne entente entre élèves. Il peut donc être considéré comme l’ancêtre ou l’inventeur de la « médiation » par la façon dont il intervient pour mettre fin aux conflits. C’est pourquoi Jean-Marie Petitclerc peut voir en lui le début des pratiques de médiation. On peut considérer que, à ce titre, il est, une fois de plus, au départ des intuitions pédagogiques de Don Bosco.

Guy Avanzini

Victoire Degez – Guide pratique et simple pour
une orientation réussie

Paris, Salvator, 2020, 240p.

Face à l’imprévisibilité du monde à venir, l’incitation adressée aux adolescents de « choisir » leur avenir pourrait prendre l’allure d’un défi ou d’une provocation : comment opter au sein de l’indiscernable ? Quelle pertinence accorder à une aspiration affectée de tant de facteurs aléatoires ? N’est-ce pas là une situation impossible, propre à induire le désarroi, sinon la colère, ou l’ironie, la déception, voire la dépression ? Ne sont-ce pas là les effets prévisibles d’une incitation qui peut sembler ironique ? N’est-elle pas une raison suffisante pour susciter ou accroître le découragement, le désintérêt scolaire, sinon le « décrochage » ? Mais, sans s’abandonner au pire, le risque majeur est celui d’un avenir affecté d’un poids de déterminants sociaux et socio-économiques insurmontables. Cela ne rend-il pas absurde l’idée de choix ? Quel sens prend en effet, dans cette situation, l’expérience d’une motivation ou d’un désir dont le contexte compromet l’obtention ?

Cependant, voici que, récemment, l’horizon semble commencer à se dégager ; cela est dû à diverses initiatives qui ont renouvelé les problématiques de l’orientation. Le signe en est donné, notamment, par diverses publications (cf. par exemple celle de : M. Chevreul. Ta vie est une mission. Paris, éditions Emmanuel, 2020, 178p.) et celle de Madame Degez, qui ont réhabilité une sphère de liberté pour l’orientation : ils n’y voient plus seulement la recherche d’une correspondance, plus ou moins garantie, entre une formation et un métier ; ils y voient, au contraire, le lieu possible de réalisation d’une « vocation » impliquant de considérer le choix professionnel comme voué à la réalisation d’un désir, comportant lui-même de fortes dimensions éthiques. Dans la même perspective, on voit émerger et se développer la notion de coach, impliquant la légitimité d’une aide à porter à un sujet pour faciliter son adaptation et favoriser sa réussite. Dans le même sens la diffusion, parfois abusive et insuffisamment maîtrisée, de la notion d’accompagnement qui, rigoureusement entendue, valorise le soutien à la réalisation d’un projet que son auteur ne parviendrait pas à faire aboutir seul, mais qu’il mènerait à bien avec un soutien approprié. Tout cela implique la reconnaissance d’une certaine liberté de jeu, et non l’acceptation aveugle de l’évolution socio-économique.

Pour Madame Degez, il ne s’agit pas « d’être orienté », c’est-à-dire d’apprendre d’un testing ce dont on serait capable, et d’y adhérer docilement, mais de travailler à son accomplissement.

A cet égard, la démarche à laquelle Madame Degez invite est celle d’une démarche active de toute la famille, qui réfléchit, avec l’intéressé, de son orientation. Nous sommes, ici, dans une attitude radicalement opposée à celle qui consiste à consulter « l’orienteur », plus encore « l’orientateur ». L’objectif est de réagir à certains critères susceptibles d’aider l’adolescent à identifier son portrait : quels sont ses goûts et ses points forts et, inversement, ses faiblesses ? quels sont, également, ses désirs et ses craintes ? Quelles sont, enfin, ses possibilités objectives et son propre contexte ? C’est l’ensemble des conclusions dégagées de cette réflexion qui le conduira à une réflexion saine susceptible d’aboutir à une décision délibérée, source de liberté.

Guy Avanzini

Agnès Charlemagne – Je t’écoute : petit guide pour
transmettre la foi entre les générations

Paris, 2020, éditions Créer, 190 p.

Justement connue et estimée pour ses activités pastorales dans les établissements catholiques d’enseignement, Agnès Charlemagne vient de publier un livre qui est à la fois la synthèse de ses travaux antérieurs et l’ouverture à de nouvelles recherches. Elle part de l’idée que l’éducation religieuse ne saurait se réduire à transmettre aux adolescents un bagage théologico-pastoral achevé, auquel ils adhéreraient d’emblée. Elle considère, au contraire, qu’il convient de partir de leurs expériences existentielles ou de leurs problèmes, pour engager une libre réflexion qui puisse conduire à la formalisation de données religieuses proprement dites et favoriser un accès à l’Évangile. On le voit, il s’agit d’une véritable révolution copernicienne liée à un renversement d’ordre anthropologique. Il ne s’agit plus d’accueillir facilement une révélation, mais de chercher les questions, problèmes et difficultés qui conduisent à accueillir la parole de Dieu pour en discerner le sens. Mutatis mutandis, on pourrait comparer cette démarche, en didactique générale, à celle de Freinet : les textes libres produits par les élèves sont d’emblée traités comme des matériaux à partir desquels va s’élaborer leur culture : pour toi, qui est Jésus Christ ? Où est Dieu ? C’est à partir de questions de ce type que l’on va s’efforcer d’engager la réflexion.

Cette approche nouvelle et originale peut paraître prometteuse. Cependant, vu sa nouveauté et sans aucun préjugé malveillant, elle appelle à un examen approfondi pour en éviter toutes dérives. Il importe en effet, en la matière, d’écarter l’adoption de nouveautés séduisantes mais équivoques, ou de les refuser par rejet de l’improvisation. Il faut donc la soumettre à une évaluation théologique qui en identifie la pertinence. Par ailleurs, la pratique des « ateliers », manifestement très suggestive et bienvenue, appelle à une précision sur sa gestion et son déroulement : comment s’y prendre pour procéder à « l’extraction » de l’intuition de l’élève et à son élucidation proprement spirituelle et religieuse.

A vrai dire, ces deux questions sont voisines. L’évaluation est indispensable à la sécurisation de la démarche et la rigueur méthodologique de celle-ci est également très souhaitable pour favoriser les progrès que requiert aujourd’hui la démarche catéchétique. Les difficultés que celle-ci rencontre actuellement et l’évidence de son importance donnent à cette investigation une urgence inconditionnelle.

Guy Avanzini

 

Louis Lourme – Éduquer, c’est -à-dire ? Anthropologie
chrétienne et éducation

Paris, Bayard, 2020, 228p.

Dès l’introduction, M. Lourme observe que l’éducation renvoie doublement à l’anthropologie : d’abord parce qu’elle est presque toujours liée à une certaine vision de l’enfant ; ensuite parce qu’elle entend promouvoir un certain type d’être humain. Cette référence est inégalement élaborée et identifiée mais elle est toujours présente. L’auteur met également en évidence un lien interne et intrinsèque entre éducation et philosophie. Il analyse ce lien notamment chez les grands formateurs, spécialement, pour l’époque contemporaine, Maritain et Mounier.

Ce premier chapitre, dû au professeur François Moog, analyse précisément ce lien ; en étudiant l’évolution de leurs textes, il le montre particulièrement valorisé chez Maritain et Mounier. Et il suscite, de ce fait, une réflexion très bienvenue sur une question considérée comme tellement importante qu’elle se trouve paradoxalement oubliée ou négligée, comme si c’était évident.

Mais c’est ensuite avec une particulière attention qu’on étudiera la communication du Frère André-Pierre Gauthier sur l’élaboration d’une « pédagogie de la fraternité ». Ce trait spécifique constitue à ses yeux l’exigence majeure d’un établissement chrétien en tant que tel. Son objectif, dit-il, ne saurait être autre que de s’attacher obstinément à réussir une pédagogie de la fraternité. C’est cela qui manifeste la singularité du projet de l’École catholique : la fraternité doit y être vécue dans les moments les plus quotidiens, dans la normalité de l’École, « dès qu’on en a franchi le seuil » (p.86). En effet, « l’acte éducatif y est vécu comme désir de relations fraternelles » (p.87). Là est son projet séculaire, à référer aux fondateurs les plus prestigieux des congrégations spécialisées. Pout l’École catholique, cette fraternité est « un élément structurant de l’acte éducatif » (p.95). Il ne s’agit plus ici de juger, d’évaluer, de classer, de condamner, mais de comprendre pour conduire à la réussite. Est-il besoin de souligner à l’attention de ceux qui cherchent à réactiver leur enseignement qu’ils trouveront dans ces pages le moyen d’y parvenir et, notamment, de repérer les finalités stimulantes qui répondent au désir de « ré enchanter l’École », ce que préconise le Secrétariat Général.

Le Père Stalla-Bourdillon propose ensuite une belle étude sur la parole de l’Homme, Etre qui parle, qui porte la Parole, qui entend celle d’autrui, dialogue avec lui et, plus encore, entend et reconnait la Parole de Dieu. L’auteur analyse sa fonction « nutritive », qui construit ceux à qui elle s’adresse, en particulier l’enfant et l’adolescent : l’un et l’autre la reçoive comme une nourriture, dont le défaut ou la mauvaise qualité compromettent gravement le développement. La Parole est à la fois objet et moyen de l’éducation, qui la mobilise sans cesse pour se déployer et donner un sens à la vie.

Dans le chapitre suivant, confié à Viviane Conturie, FSX, on retiendra d’abord le titre original : « La faculté de l’autre ». Ce texte, de haut niveau, analyse cette capacité humaine de « l’expérience d’autrui ». Au terme de son analyse, l’auteure peut dire : « éveiller, développer, faire expérimenter et goûter la faculté de l’autre, c’est un grand défi pour les éducateurs, parents et enseignants, et c’est aussi l’une de leurs missions les plus urgentes ? Elle montre comment l’élève perçoit et comprend cette capacité que, trop souvent, on se contente de condamner ou de bannir comme un simple bavardage. Il ne faut pas oublier que, selon le mot de Marguerite Lena, « la mission éducative, c’est cette parole qui appelle à vivre, à la fécondité d’un pouvoir au-delà de soi-même ».

Ce livre est important. Malheureusement, il n’est pas encore assez connu. Or, vu sa richesse, sa rigueur et sa capacité d’aller à l’essentiel, il devrait être diffusé et médité dans toutes les écoles chrétiennes. Il fournit en effet un bel exemple de cette anthropologie pédagogique qui appelle son Traité. En outre, il s’offre aux praticiens d’une « éducation intégrale » comme de la « pédagogie de l’Autre » pour y nourrir leur inventivité.

Nous terminerons cette recension en citant une remarque de Monseigneur Ide : « Ce dont les éducateurs, parents et enseignants, ont le plus besoin aujourd’hui, c’est le discernement vis-à-vis de ces différents modèles anthropologiques qui leur sont proposés » (p.196). Ce livre magistral pourra les y aider.

Guy Avanzini

Projet d’une nouvelle branche scoute

Les Poverelli

Charlotte Cumet, Bertrand Cumet

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Genèse

La proposition d’une branche scoute  Poverelli   décrite ici est née d’une demande et d’un constat.

La demande du pape François tout d’abord, dans Laudato Si’, de relever le « grand défi culturel, spirituel et éducatif » (LS 202) de mettre en pratique les préceptes de l’écologie intégrale contenus dans son encyclique.

Notre constat par ailleurs, à l’époque où nous étions chefs d’un groupe de scouts de France, que la nature et plus largement la création demeuraient pour les jeunes accueillis un « environnement » propice à la mise en place de la pédagogie par le jeu, mais guère plus. Trop souvent des propriétaires nous faisaient part des dégâts commis par les scouts, des arbres coupés ou abimés, distraitement ou intentionnellement, aux mégots ou détritus oubliés sur place. Mais surtout il nous semblait que la démarche HALP (Habiter Autrement La Planète) des scouts de France, quoique innovante dans ce domaine, et plus largement cet article de la loi scoute « Le scout voit dans la nature l’œuvre de Dieu : il aime les plantes et les animaux. », n’étaient pas assimilés. Nous nous sentions démunis pour inverser cette tendance, renforcée par l’urbanisation de nos unités, la perte de connaissances en matière de « campisme », et les multiples règles contraignantes concernant les bivouacs ou les camps, éloignant toujours plus les scouts de la nature.

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Projet d’une nouvelle branche scoute

Les Poverelli

Charlotte Cumet, Bertrand Cumet

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Genèse

La proposition d’une branche scoute  Poverelli   décrite ici est née d’une demande et d’un constat.

La demande du pape François tout d’abord, dans Laudato Si’, de relever le « grand défi culturel, spirituel et éducatif » (LS 202) de mettre en pratique les préceptes de l’écologie intégrale contenus dans son encyclique.

Notre constat par ailleurs, à l’époque où nous étions chefs d’un groupe de scouts de France, que la nature et plus largement la création demeuraient pour les jeunes accueillis un « environnement » propice à la mise en place de la pédagogie par le jeu, mais guère plus. Trop souvent des propriétaires nous faisaient part des dégâts commis par les scouts, des arbres coupés ou abimés, distraitement ou intentionnellement, aux mégots ou détritus oubliés sur place. Mais surtout il nous semblait que la démarche HALP (Habiter Autrement La Planète) des scouts de France, quoique innovante dans ce domaine, et plus largement cet article de la loi scoute « Le scout voit dans la nature l’œuvre de Dieu : il aime les plantes et les animaux. », n’étaient pas assimilés. Nous nous sentions démunis pour inverser cette tendance, renforcée par l’urbanisation de nos unités, la perte de connaissances en matière de « campisme », et les multiples règles contraignantes concernant les bivouacs ou les camps, éloignant toujours plus les scouts de la nature.

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Les écoles catholiques dans le monde – Première partie

Tendances des inscriptions

Quentin Wodon*

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Résumé : À l’échelle mondiale, l’Église catholique estime que 35 millions d’enfants étaient inscrits dans ses écoles primaires en 2018, avec 19 millions d’enfants supplémentaires inscrits au niveau du secondaire et plus de 7 millions en maternelle. Comment le nombre d’élèves dans les écoles catholiques a-t-il évolué au cours des dernières décennies ? Dans quelles régions du monde et dans quels pays la croissance des inscriptions a-t-elle lieu, et où observe-t-on un déclin ? Compte tenu de la croissance démographique et de la hausse des taux de scolarisation au primaire et secondaire dans les pays en développement, quelles seront les tendances probables des inscriptions dans le futur ? Enfin, quelles sont certaines des implications de ces tendances pour les défis auxquels les écoles catholiques doivent faire face ? Cet article en deux parties propose des éléments de réponse à ces questions. Après une brève discussion de l’importance d’investir dans l’éducation des enfants et des jeunes, la première partie de l’article considère les changements dans la géographie des inscriptions en écoles catholiques au niveau mondial au cours des quatre dernières décennies. La seconde partie de l’article explore certains des défis auxquels les systèmes éducatifs font face, et les réponses que les écoles catholiques pourraient y apporter.

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« Une créativité généreuse et digne »

Rétablir les travaux manuels au collège et au lycée général

Clémence Godefroy*

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En 2017, j’ai fait passer des oraux d’anglais au Ceproc, une école culinaire située dans le 19e arrondissement de Paris. J’interrogeais des élèves qui finissaient leur bac professionnel en pâtisserie ; comme pour n’importe quel oral d’anglais, certains parlaient avec une grande fluidité, d’autres avaient beaucoup de mal à s’exprimer. Tous devaient, entre autres, me parler brièvement des raisons pour lesquels ils faisaient de la pâtisserie et ce qu’ils voulaient faire plus tard.

J’ai découvert à cette occasion toute une filière d’étude que je ne connaissais absolument pas, alors que j’enseignais depuis 2009. Je me souviens très bien des élèves qui expliquaient avec passion les raisons pour lesquelles ils aimaient la pâtisserie ; beaucoup m’ont également parlé de leur souhait de continuer leur formation pour obtenir un Brevet de Maîtrise, et éventuellement d’ouvrir leur propre pâtisserie à l’étranger, puisque les pâtissiers français sont très en demande notamment dans les pays asiatiques.

Cette expérience a été révélatrice pour moi à plusieurs niveaux. Tout d’abord, je me suis rendue compte que je n’avais pas l’habitude d’entendre des jeunes de terminale parler avec autant de motivation et d’enthousiasme de ce qu’on leur enseignait et de leurs projets d’avenir. Ensuite, j’ai pu constater mon ignorance totale en matière de CAP et bac pro et leurs débouchées possibles, et la séparation quasi-hermétique entre les différentes voies que nous proposons aux jeunes.

Mais que proposons-nous vraiment ? De mémoire, je n’ai entendu parler qu’une seule fois du CAP et du bac pro, à la fin de la troisième. Alors que je suivais ma scolarité dans le collège public d’un quartier populaire, l’enseignante ne cachait pas que ces voies n’étaient pas adressées à de bons élèves, ce que je m’efforçais d’être. Issue d’une famille où l’enseignement universitaire est très valorisé, il était inenvisageable pour moi de choisir une telle orientation.

Et pourtant, je me souviens également d’avoir été tentée par le métier d’ébéniste et le travail du bois. J’étais très habile de mes mains, que ce soit pour dessiner, pour fabriquer ou pour bricoler. Ce goût des travaux manuels ne m’a d’ailleurs jamais quittée, et c’est surtout grâce à mon engagement dans le scoutisme que j’ai pu le mettre à profit. En effet, dans mon lycée général, l’idée qu’on pouvait non seulement aimer les travaux manuels mais qu’ils pouvaient tout à fait être intégrés à notre formation était totalement absente.

Je suis désormais à mon tour professeur en lycée général, et rien n’a changé. On sépare toujours de l’intellectuel du manuel sans se demander pourquoi, et sans prendre en compte la variété des talents et des aspirations de nos élèves. La lecture de Laudato Si’ m’a fait réfléchir sur l’effet contre-productif d’une telle dichotomie au regard du changement de société auquel nous sommes appelés. Si nous souhaitons que les élèves de l’enseignement catholique répondent également à cet appel, il est impératif de faire tomber les cloisons qui créent une hiérarchie injustifiée, non seulement à l’école mais à l’échelle de la société, et empêchent les jeunes de s’accomplir pleinement dans leurs études.

Orientation ou obstruction ?

Nous avons tous fait l’expérience des difficultés que présente l’orientation de nos élèves. Alors que beaucoup d’entre eux n’ont qu’une très vague idée de ce qu’ils veulent faire, il y a une pression significative de la part des parents de choisir celles qui sont perçues comme les plus à même de déboucher sur des métiers socialement reconnus et prestigieux : ingénieur, médecin, commercial. Quand les filières S, ES et L existaient, elles semblaient correspondre moins aux appétences des jeunes qu’à un classement des élèves (respectivement bons, moyens et médiocres). Quant aux filières technologiques ou professionnels, les proposer sans offusquer les parents est un exercice délicat tant les a priori sont ancrés dans notre vision collective de l’éducation.

Or, la réussite et l’épanouissement personnel est possible dans n’importe quelle filière, tant que l’élève est motivé par un goût sincère pour les matières enseignées et non entravé dans sa progression par une impression d’être relégué dans une formation de seconde catégorie. Cependant, beaucoup d’élèves ne peuvent pas aujourd’hui choisirent une orientation en bonne intelligence. Non seulement parce qu’ils n’ont qu’une connaissance très parcellaire de la multitude de choix qui s’offre à eux, mais également parce que tout un pan de l’enseignement manque à leur cursus.

Nous poussons les élèves à réfléchir, argumenter, conceptualiser, mais jamais nous ne les poussons à fabriquer. En rendant l’EPS obligatoire jusqu’à la terminale, nous reconnaissons l’importance de l’activité physique, de la coordination et de la dextérité quand elle sert des performances sportives, mais non quand elle sert une construction ou une œuvre d’artisanat. Nous essayons de leur apprendre à être autonomes, à se forger un point de vue de façon logique, à connaître les réalités scientifiques, historiques et géographiques du monde, mais d’autres réalités ne leur sont jamais enseignées : la réflexion nécessaire à la conception d’un meuble, l’effort de spatialisation qu’exige la fabrication d’un vêtement, la patience dont on doit faire preuve lorsqu’on cultive des légumes.

L’ameublement, les vêtements et la nourriture font partie de leur quotidien ; ce sont même les conditions de base pour que s’effectuent toutes les autres tâches qui ponctuent leur journée. Nous nous retrouvons donc dans une situation où les jeunes doivent gérer des notions d’une très grande complexité tout en n’ayant qu’une vague idée du travail nécessaire à la création de tout ce qui les entoure.

La capacité d’abstraction est certes une force dans notre système scolaire. Le fait qu’on enseigne la philosophie à des adolescents, ce qui est le cas dans très peu de pays, doit être vue comme une preuve de confiance en leur potentiel intellectuel. Néanmoins, si cette capacité d’abstraction sert à justifier une mise à l’écart du réel par rapport à l’idée, ou pire, une hiérarchisation entre le travail de l’esprit et celui des mains, alors elle devient vide de sens. Nous pouvons nous inspirer ici de la révolution bénédictine mentionnée au paragraphe 126 :

Plus tard, saint Benoît de Nurcie a proposé que ses moines vivent en communauté, alliant la prière et la lecture au travail manuel (“Ora et labora’’). Cette introduction du travail manuel, imprégné de sens spirituel, était révolutionnaire. On a appris à chercher la maturation et la sanctification dans la compénétration du recueillement et du travail. Cette manière de vivre le travail nous rend plus attentifs et plus respectueux de l’environnement, elle imprègne de saine sobriété notre relation au monde.

C’est un point qui devrait particulièrement nous intéresser en tant que professeurs dans l’enseignement catholique privé. Le christianisme est par définition une religion incarnée : elle ne peut se contenter d’abstractions. Dans le paragraphe 98, le pape François attire notre attention sur ce fait :

[Jésus] n’apparaissait pas comme un ascète séparé du monde ou un ennemi des choses agréables de la vie. Il disait, se référant à lui-même : « Vient le Fils de l’homme, mangeant et buvant, et l’on dit : voilà un glouton et un ivrogne » (Mt 11, 19). Il était loin des philosophies qui dépréciaient le corps, la matière et les choses de ce monde. (…) Jésus travaillait de ses mains, au contact direct quotidien avec la matière créée par Dieu pour lui donner forme avec son habileté d’artisan. Il est frappant que la plus grande partie de sa vie ait été consacrée à cette tâche, dans une existence simple qui ne suscitait aucune admiration. « N’est-il pas le charpentier, le fils de Marie ? » (Mc 6, 3).

De façon paradoxale, nous vivons dans une société à la fois matérialiste, où la recherche de plaisir est omniprésente, et où le virtuel prend de plus en plus de place. Les directives de l’Éducation Nationale nous poussent à faire une place toujours plus grande aux écrans dans nos pratiques pédagogiques, et de fait, de nombreux actifs passent une large partie de leur journée devant un écran et ne voient pas concrètement le résultat de leur travail. Cela reste à l’état de chiffres, des statistiques, de tableaux, de comptes-rendus.

Ce qui ne revient pas à dire que ces emplois sont inutiles, loin de là. D’ailleurs, Laudato Si’ est loin d’être un texte conservateur, empreint d’une nostalgie pour un âge d’or sans réalité historique, comme nous pouvons le voir au paragraphe 102 :

La technologie a porté remède à d’innombrables maux qui nuisaient à l’être humain et le limitaient. Nous ne pouvons pas ne pas valoriser ni apprécier le progrès technique, surtout dans la médecine, l’ingénierie et les communications. Et comment ne pas reconnaître tous les efforts de beaucoup de scientifiques et de techniciens qui ont apporté des alternatives pour un développement durable ?

Cependant, nous aurions tort de penser que ces métiers conviennent aux aspirations de tous nos élèves, et qu’il faut présenter le secteur tertiaire et les métiers « cols blancs » comme le but ultime à atteindre après sa scolarité, une récompense pour les bons élèves tandis que les mauvais devront se contenter de basses tâches purement utilitaires. Cette hiérarchisation est d’autant plus dépassée qu’une nouvelle réalité économique et sociale se dessine à l’horizon, conséquence des changements qu’entraîneront la crise climatique.

Des élèves acteurs et non consommateurs

Nous pouvons constater en parlant avec eux que les jeunes sont très informés sur la crise écologique que nous traversons, à la fois à l’école et en dehors ; ils se sentent concernés et certains d’entre eux commencent à militer pour une prise de conscience. Cependant, ce flot d’information, nourri en particulier par les réseaux sociaux, peut être excessivement anxiogène. Il n’est pas évident pour eux de savoir ce qu’ils peuvent faire concrètement, d’autant plus qu’ils sont limités par leur jeune âge et par leur dépendance à leurs parents. Les incitations à moins consommer se heurtent chez les adolescents à une pression très forte de conformité et de ressemblance entre paires :  celle-ci nécessite d’acheter des vêtements à la mode et des appareils électroniques dernier cri. Même avec beaucoup de bonne volonté, ils sont tiraillés entre le désir de prendre leur essor, le regard de leurs camarades et le poids très lourd que les générations précédentes font peser sur eux. Que faire ?

La décroissance nécessaire à la sauvegarde de notre environnement repose en partie sur le principe des « trois R » : recycler, réparer, réutiliser. Or, cet apprentissage est pour l’instant laissé de côté au collège et au lycée général : personne n’apprend aux élèves à coudre, à fabriquer un meuble à partir de palettes ou de réparer un appareil électronique. Ces compétences sont réservées aux filières spécialisées que peu d’entre eux, nous l’avons vu, seront amenés à choisir, et les autres n’auront comme sources que des vidéos de tutoriels trouvés sur le web.

Or, tant que l’institution scolaire se contente d’enseigner aux élèves les raisons et les conséquences de la crise de notre environnement, elle n’apportera que la moitié de la solution au problème. Le pape François le dit de manière très claire dans le paragraphe 211 :

Cependant, cette éducation ayant pour vocation de créer une “citoyenneté écologique” se limite parfois à informer, et ne réussit pas à développer des habitudes. L’existence de lois et de normes n’est pas suffisante à long terme pour limiter les mauvais comportements, même si un contrôle effectif existe. (…) C’est seulement en cultivant de solides vertus que le don de soi dans un engagement écologique est possible. (…) Accomplir le devoir de sauvegarder la création par de petites actions quotidiennes est très noble, et il est merveilleux que l’éducation soit capable de les susciter jusqu’à en faire un style de vie. (…) Tout cela fait partie d’une créativité généreuse et digne, qui révèle le meilleur de l’être humain. Le fait de réutiliser quelque chose au lieu de le jeter rapidement, parce qu’on est animé par de profondes motivations, peut être un acte d’amour exprimant notre dignité.

Ce « style de vie » auquel nous exhorte le pape, condition essentielle à une véritable conversion, ne peut rester purement théorique. Pour les motiver les élèves et développer de façon positive la « créativité généreuse et digne » dont il est question, nous devons les encourager non seulement à avoir les bonnes habitudes que chacun sait (trier ses déchets, éteindre les lumières inutiles, éviter les emballages plastique), mais également à savoir faire des choses de leurs mains, que ce soit de délicieux plats à partager, loin de la fadeur de la nourriture industrielle, ou des habits uniques, décorés avec soin, dont ils ne se lasseront pas en quelques semaines.

J’ai noté avec beaucoup d’intérêt qu’un certain nombre de mes élèves ont développé ces talents pendant le confinement, tout simplement parce qu’ils avaient du temps, et y ont trouvé beaucoup de plaisir. Pourtant le plaisir n’est pas souvent quelque chose qu’on associe à un style de vie plus écologique dans le discours politique actuel. Or le travail manuel, au-delà du côté pratique et du gain d’autonomie, peuvent leur procurer de la joie, un sentiment d’accomplissement, les sensibiliser à la beauté par un autre biais que le biais purement intellectuel duquel certains se sentent exclus, notamment lorsqu’ils viennent de milieux défavorisés. Au paragraphe 215, le pape nous parle d’un nouveau paradigme vers lequel nous pouvons mener nos élèves :

Prêter attention à la beauté, et l’aimer, nous aide à sortir du pragmatisme utilitariste. Quand quelqu’un n’apprend pas à s’arrêter pour observer et pour évaluer ce qui est beau, il n’est pas étonnant que tout devienne pour lui objet d’usage et d’abus sans scrupule. En même temps, si l’on veut obtenir des changements profonds, il faut garder présent à l’esprit que les paradigmes de la pensée influent réellement sur les comportements. L’éducation sera inefficace, et ses efforts seront vains, si elle n’essaie pas aussi de répandre un nouveau paradigme concernant l’être humain, la vie, la société et la relation avec la nature.

Possibilités de mise en pratique

Même si l’on parvient à reconnaître l’utilité des travaux manuels, leur potentiel pédagogique et leur contribution à un style de vie plus écologique, reste la difficulté de la mise en pratique au sein de nos établissements. Les programmes sont déjà saturés, avec davantage de travail demandé aux professeurs et aux élèves à chaque nouvelle réforme. Les conditions matérielles et financières des établissements varient énormément et empêchent d’envisager à court terme une évolution majeure de notre enseignement. Les difficultés de mise en pratique sont particulièrement ardues pour la cuisine ou la menuiserie, qui nécessitent un matériel dont très peu d’établissements disposent et des conditions de sécurité rigoureuses.

Voici cependant quelques exemples d’initiatives simples à mettre en place au collège et au lycée qui peuvent contribuer d’ores et déjà à une plus grande place des travaux manuels.

Séjour scolaire en centre sportif ou en station de ski avec des collégiens : les élèves sont encouragés à faire des jeux sportifs lors de leurs temps de détente. D’autres préfèrent parler en groupe ou jouer aux cartes. Pourquoi ne pas consacrer une petite salle aux activités artistiques et manuelles telle que le dessin ou le tissage de bracelets ? Une personne de l’équipe encadrante peut-elle proposer une initiation sommaire à une pratique comme le tricot ?

Activités extrascolaires au collège ou au lycée : de la même façon qu’on propose des activités sportives et qu’on anime des clubs de cinéma ou des ateliers d’écriture, nous pourrions animer des clubs de couture ou de fabrication d’objets artisanaux. Ceci pourrait se décliner de plusieurs façons :

  • fabrication de décorations en feutrine, tissage de bracelets et de colliers : deux de mes collègues ont animé un atelier similaire au collège avec grand succès. Le surplus produit par les élèves étaient vendus à la kermesse de Noël pour une cause charitable.
  • apprentissage du patchwork (celui-ci peut se faire à la main) et création collective d’un quilt commémoratif avec des chutes de tissu récupérées.
  • partage de créations personnelles et de techniques de customisation d’habits (broderie, peinture sur tissu, etc.)
  • exposition des créations à la fin de l’année scolaire.

Jardin partagé : si les locaux le permettent, on peut demander à une équipe d’élèves bénévoles de donner un peu de temps pour entretenir le jardin, faire pousser des plantes, récolter quelques légumes. Selon la quantité, pourquoi ne pas en faire don à la paroisse pour une redistribution à des personnes qui en aurait besoin ?

Ces initiatives peuvent paraître minimes, voire dérisoires, mais même si elles n’attirent qu’un petit nombre d’élèves, ceux-ci auront du moins l’assurance que leur goût pour les travaux manuels est aussi louable et légitime qu’un goût pour le sport, la musique ou le cinéma.

De notre côté, nous devons mieux nous informer sur les filières et les possibilités d’orientation dont nous n’avons pas l’habitude de parler, et proposer des réunions d’informations destinés aux lycéens désireux d’élargir leurs horizons postbac, ouvertes également aux parents. Les élèves de terminale, dont je suis la professeure principale, m’ont récemment demandé d’eux-mêmes de leur présenter les études postbac en art et artisanat. Plusieurs se plaignaient de toujours entendre parler des mêmes orientations – celles, sans doute, desquelles leurs parents et leurs professeurs sont majoritairement issus.

Nés pour beaucoup d’entre nous dans les années 70 ou 80, ayant grandi à la fin du 20e siècle où le consumérisme et l’avènement du numérique nous paraissaient des garanties infaillibles de confort et de prospérité, il est peut-être difficile pour nous, plus que pour eux, d’envisager l’avenir sous un autre angle. Il est pourtant de notre devoir de nous mobiliser et de faire preuve d’une plus grande ouverture d’esprit si nous voulons répondre aux attentes de ces jeunes et leur montrer, à la suite du pape François, qu’il est possible de construire ensemble un autre modèle de société.

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Pour citer cet article
Référence électronique : Clémence Godefroy, « « Une créativité généreuse et digne » : rétablir les travaux manuels au collège et au lycée général », Educatio [En ligne], 11 | 2021. URL : https://revue-educatio.eu

Droits d’auteurs
Tous droits réservés

* Professeure d’anglais en lycée

L’école dehors

Une école naturelle, sensorielle, responsable,
favorisant le corps au service de l’esprit

Anne-Céline Gancel*

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Résumé : Dans ma classe maternelle, j’avais déjà mis en place une pédagogie qui s’inspire de Maria Montessori et Pierre Faure. J’avais déjà pu constater combien les enfants sont capables d’être actifs, autonomes et solidaires. Certains enfants me posaient tout de même question. L’observation de leur comportement pour se sentir bien, m’a poussée à sortir de la classe. En allant dehors allais-je trouver la même richesse que dans la classe, tout en m’aidant à adapter ma pédagogie à tous ? Et même aller au-delà de ce que les enfants étaient déjà capables de montrer à travers la liberté que leur offrait l’espace classe ? L’école dehors développe chez les enfants une conscience environnementale et une curiosité du vivant autour d’eux. Elle favoriserait également le développement intégral de l’enfant en ouvrant de nouvelles capacités à une intelligence différemment stimulée : respect, savoir-être et savoir-faire, coopération, imagination, créativité, contemplation, spiritualité. L’école aurait donc un rôle primordial à jouer pour offrir aux enfants cette expérience. Il est alors important que l’enseignant soit conscient de sa relation à la nature et à ses élèves. À travers l’expérience de ma classe, je montre comment s’établit ce lien entre l’expérience en classe dehors, la pédagogie déjà vécue en classe, et la construction intégrale de l’enfant. L’organisation du travail, la posture d’enseignante contribuent à établir ce lien qui, s’il n’est pas clairement exprimé dans Laudato Si’, permet de conduire une éducation intégrale qui inclut un apprentissage de l’écologie intégrale.

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