Archives de catégorie : Non classé

La révélation poétique de soi : penser l’éducation avec Jean Onimus

Baptiste Jacomino*

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Résumé : Dans l’œuvre de Jean Onimus, deux livres (L’enseignement des lettres et la vie et Qu’est-ce que le poétique?) articulent une réflexion philosophique qui relève de l’esthétique et de la métaphysique à des propositions pédagogiques. A travers la littérature et l’expérience du poétique, nous dit Onimus, l’élève peut découvrir les profondeurs de son humanité et le souffle divin qui l’habite. Pour l’y aider, le maître est appelé à jouer un rôle paradoxal. Il lui faut s’effacer pour faire place aux œuvres, mais aussi préparer les élèves et les accompagner pour que cet effacement du professeur puisse donner du fruit. Il doit, par ailleurs, être suffisamment poète pour pouvoir transmettre à ceux qui lui sont confiés la conscience poétique par laquelle il veut les révéler à eux-mêmes et, dans le même temps, prendre ses distances avec le poétique pour s’inscrire dans une logique pédagogique inévitablement plus prosaïque et instrumentale.

Mots-clés : Education, Poétique, Onimus, Littérature, Pédagogie

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Vocation humaine et éducation pensées sur la trace de Paul Ricœur

François Prouteau

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Comment mes études me préparent un avenir ? Que faire de ma vie ? Un tel questionnement se pose pour tout élève à un moment ou à un autre de son parcours scolaire. Il peut donner lieu à une diversité de réponses selon les cas, touchant à l’orientation ou au choix d’un métier, et plus fondamentalement à la raison d’être ou du prix qu’on accorde à son existence dans le monde. D’aucuns résumeraient cette problématique essentielle par « quelle est ma vocation ? » A cause de son caractère radical, cette question peut s’avérer souvent tout à fait pertinente. Cependant, elle invite à préciser ce qu’on entend par le mot « vocation » dans la modernité ? En effet, avec les Lumières, l’être humain s’est émancipé de l’autorité des religions, et venant de l’univers biblique, la notion de vocation pourrait à ce titre, sembler appartenir à un autre temps. Par ailleurs, la vocation fait appel à des relations durables (notion de promesse et de fidélité) et à une rencontre personnelle, à un véritable dialogue avec autrui, avec soi-même ou avec Dieu. Ce qui est ici requis semble loin de la temporalité de notre modernité tardive mue par une logique d’accélération qui délite la relation au monde et les moments de rencontres personnelles.

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L’expérience liminaire de la vocation chrétienne

Thierry Le Goaziou

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Résumé : Cet article a pour objectif de montrer que la démarche chrétienne est traversée de part en part par une incertitude fondamentale. Celle-ci vient perturber, en le fissurant sans toutefois le détruire, le socle convictionnel qui permet au croyant de s’engager durablement à la suite du Christ. Pour illustrer cette manière troublée d’être et de vivre l’adhésion chrétienne, la notion de liminalité sera valorisée car elle est en capacité d’expliciter ce qu’éprouve le croyant. Issue de l’anthropologie, cette vision de l’existence sera présentée comme une façon de se situer dans le monde, d’être au « seuil », parfois en marge, d’accepter de ne pas tout maîtriser. A travers quelques exemples – le prophète, le héros, le récit du publicain et du pharisien chez Luc – la liminalité permettra de saisir en quoi l’écoute de sa propre intériorité est déterminante pour vivre lucidement de la foi du Ressuscité. C’est en prenant soin de ce que l’on ressent, dans l’exercice de la prière, dans la mise en œuvre des béatitudes, que l’on peut parvenir à surmonter les inévitables difficultés de la condition chrétienne et à s’y épanouir.

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La vocation, germe des temps nouveaux du christianisme

Francis Marfoglia*

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Résumé : L’individualisme de l’ordre libéral produit ses effets dévastateurs sur le monde et les sociétés. Pour bon nombre, il apparaît sans alternative, ce qui plonge les peuples dans la désespérance. Pourtant, les héritiers de David ne manquent pas de ressources pour abattre ce Goliath. C’est dans l’éternelle figure du serviteur qui refuse les jeux de la domination que l’individualisme rencontre son adversaire le plus sérieux. L’idée de vocation qui lui donne chair offre alors aux peuples de retrouver l’espérance. La vocation propre des établissements de l’Enseignement catholique se précise à son tour : s’engager dans la défense et la promotion de la vocation personnelle pour opérer le passage du vivre ensemble au vivre les uns pour les autres.

Mots-clés : vocation, individualisme, communauté fraternelle, Enseignement Catholique, alliance, serviteur.

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Penser la vocation aujourd’hui : De la grâce à la gratitude

Laurent Stalla-Bourdillon*

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 « Nous sommes par grâce une liberté qui se découvre donnée à elle-même
dans l’Alliance nouvelle et éternelle – avec celui dont elle se reçoit. »
Père Albert CHAPELLE, sj
Herméneutique, pp. 39

Notre existence à chacun est enchâssée entre deux évènements qui bornent notre séjour terrestre : un don de vie purement gratuit et une perte de cette vie sur laquelle nous n’avons finalement aucun pouvoir. « Qui peut rajouter une seule coudée à la longueur de sa vie ? » demandera Jésus à ses disciples (Mt 6,27). Ainsi, l’enjeu central de l’existence ne consiste sans doute pas tant à repousser l’heure de la mort, qu’à essayer d’exprimer notre compréhension de la signification du don gratuit qui nous fait exister. La vie apparaît bel et bien comme un appel à énoncer notre réponse personnelle à ce don. Cette réponse viendra constituer notre personne et nous parachever bien davantage que notre apparence corporelle. Dans cet entre-deux, la vie humaine apparaît dans son essence même comme un appel, une vocation. Ainsi, il devient possible de penser l’éducation des jeunes à partir de la réponse qu’ils devront formuler sur le don de la vie reçue. La tâche éducative trouve ici ses ressources les plus puissantes. L’éducation des jeunes ou plus exactement, la responsabilité éducative de ceux qui ont reçu cette mission, suppose deux choses : la conscience de l’énigme du don gratuit de la vie et l’avènement d’une réponse libre, faite de gratitude par un dialogue qui se prolongera et s’éternisera dans l’amour.

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Editorial

Penser la vocation dans le champ éducatif

François Moog*

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L’omniprésence du discours sur la vocation ou les vocations dans le monde catholique correspond historiquement à un problème de recrutement, principalement sacerdotal, dès le milieu du XIXe. s. Il s’agissait d’attirer des hommes, jeunes si possible, à « donner leur vie à la suite du Christ », selon la rhétorique en vigueur. Une telle perspective est souvent relativisée dans le discours – où l’on dit que tous les baptisés sont appelés – mais elle est systématique dans les pratiques[1]. Dans ce cadre, la notion de vocation est très souvent faussée en ce qu’elle concerne quelques-uns, en vue d’un engagement exceptionnel, consenti une fois pour toute (puisque la question de la vocation – au singulier – semble réglée une fois l’engagement solennel acquis). Cette représentation de la vocation a influencé le vocabulaire courant pour lequel « avoir une vocation » signifie la capacité d’une personne à trouver sa voie et à s’engager dans une mission d’une manière qui sort de l’ordinaire, dès lors que ce n’est pas un travail, c’est une vocation !

Au sein de ce système de représentations, penser la vocation dans le champ éducatif n’a que peu d’intérêt, qu’il s’agisse d’envisager les écoles catholiques comme des lieux de recrutement pour les diocèses et les ordres religieux, ou de favoriser une insertion sociale à forte plus-value en terme de développement personnel.

 

Mais la perspective a changé en profondeur, depuis le Concile Vatican II qui a relayé un profond appel à la sainteté adressé à tous[2]. Cet appel est accompagné d’un énoncé de ses finalités : « Il est donc bien évident pour tous que l’appel à la plénitude de la vie chrétienne et à la perfection de la charité s’adresse à tous ceux qui croient au Christ, quel que soit leur état ou leur forme de vie ; dans la société terrestre elle-même, cette sainteté contribue à promouvoir plus d’humanité dans les conditions d’existence »[3]. S’il s’agit d’un appel adressé à tous dont le but est la promotion de plus d’humanité, alors la perspective éducative devient plus féconde. C’est en ce sens qu’il faut comprendre la définition des finalités de l’éducation proposée par le même Concile dans sa déclaration sur l’éducation chrétienne : « Le but que poursuit la véritable éducation est de former la personne humaine dans la perspective de sa fin la plus haute et du bien des groupes dont l’homme est membre et au service desquels s’exercera son activité d’adulte »[4]. Le premier but sera progressivement énoncé par la Congrégation pour l’éducation catholique, dès 1977, comme « formation intégrale de la personne humaine »[5]. Le second prend la forme dès Vatican II d’une « contribution à la réalisation du bien commun »[6].

C’est précisément dans cette définition des finalités de l’éducation qu’un réinvestissement de la notion de vocation est possible. Il s’agit de permettre aux structures d’éducation catholique de mettre à la disposition de tous, croyants ou non, l’une des plus belles ressources de la foi chrétienne : l’appel à l’accomplissement de sa propre humanité et l’appel à participer à la vie et à la mission de la communauté. Alors, la notion de vocation peut renvoyer au lien génétique qui existe entre éducation intégrale de la personne et promotion du Bien commun, dans une perspective anthropologique et sociale qui appartient à la tradition chrétienne.

Dans ce cadre, il est sans doute préférable de ne pas simplement parler de vocation car, en tant qu’appel permanent à engager sa liberté au service de tous, il s’agit plus certainement d’une dynamique vocationnelle qui structure toute existence humaine. On peut citer en ce sens Marguerite Léna, pour laquelle l’humanité de l’homme est « l’espace où retentit l’appel, la demeure où s’accomplit la rencontre : elle est vraiment, et jusqu’en ses profondeurs, tout entière en forme de vocation »[7]. Dynamique vocationnelle ou vocation comme forme de l’existence humaine, permettent alors au concept de vocation de renouveler les perspectives éducatives.

 

C’est ce à quoi s’attèlent les contributeurs de ce numéro de la revue Educatio consacrée à la vocation.

Dans une première partie qui cherche à penser la vocation aujourd’hui, Jérôme Brunet propose un parcours d’analyse lexicale et de lectures bibliques qui désigne la notion de vocation comme marqueur d’une éducation intégrale et comme contribution de l’éducation catholique à la question de l’orientation. L’abbé Laurent Stalla-Bourdillon présente ensuite la vie elle-même comme une promesse et un appel. A partir d’une phénoménologie de la découverte de la vie comme don, dès la première prise de conscience d’être vivant, il permet de penser que l’éducation n’a pas pour objectif d’être en mesure de répondre à une vocation, mais que c’est au contraire la vie comme appel et comme réponse au don qui structure une éducation. Francis Marfoglia montre quant à lui comment l’idée de vocation renouvelle la perspective éducative en l’orientant vers le Bien commun. L’éducation au service de la vocation personnelle et du bien commun ouvre alors des voies sociales et politiques nouvelles. Thierry Le Goaziou interroge la notion de liminalité pour montrer que tout démarche chrétienne implique une résistance au repli sur soi et sur ses conviction qui possède une dimension vocationnelle en ceci qu’elle ouvre la possibilité d’un épanouissement et d’une mise en mouvement que la démarche éducative va pouvoir accompagner. Enfin François Prouteau se demande comment penser l’éducation à partir de la notion de vocation. Avec Paul Ricœur, il entrevoit qu’en accompagnant un sujet à devenir lui-même, on inscrit sa vocation au cœur du projet éducatif.

Une deuxième partie fait écho à ces réflexions à partir des pratiques éducatives. Sœur Nathalie Becquart nous fait bénéficier de son expérience au synode des évêques consacré aux jeunes (2018) en redonnant au registre de la vocation sa puissance dynamique comme vocation à l’amour qui fait toute sa place au désir et à la disposition de chacun au service des autres. Benoît Skouratko et Joseph Herveau rendent compte du colloque du CNESCO de 2018 sur l’éducation à l’orientation, laquelle peut être conçue comme possibilité offerte à chacun de prendre sa place dans la communauté humaine en vue du Bien commun. Jean-Baptiste Jacomino, à partir de l’œuvre de Jean Onimus, montre comment l’expérience du poétique initie l’humain à son humanité. En révélant ainsi le sujet à lui-même, la littérature l’ouvre à un monde à habiter dans lequel sa responsabilité doit s’exercer et sa liberté s’engager. Isabelle de La Garanderie  nous partage son expérience de consacrée enseignante en éducation prioritaire et de sa familiarité avec le texte biblique. Elle montre ainsi comment en portant sur l’autre un regard d’amour, en se laissant toucher par lui, en étant prêt à le relever et en l’invitant à s’engager, l’éducateur peut restaurer une authentique liberté qui demeurera un bien précieux. Enfin, Alexis Poujade, formateur dans le domaine de l’action sociale, partage les fruits d’une expérience menée auprès des potentiels cadres intermédiaires de la Fondation d’Auteuil. Il montre comment l’inscription d’un parcours professionnel dans un projet de vie peut être particulièrement féconde pour les personnes.

 

Un tel dossier, particulièrement stimulant, ne peut qu’inciter chacun chrétien à redécouvrir que la mission éducative est au cœur de sa mission baptismale, et inviter chaque éducateur, chrétien ou non, à rechercher dans la tradition éducative chrétienne des ressources éducatives profondément porteuses de sens. On peut en attendre l’éclosion de nombreuses « vocations » d’enseignants et d’éducateurs car, plus que jamais, la moisson est abondante !

* Professeur, Institut Catholique de Paris, UR-RCS 7403

[1] Il suffit pour s’en convaincre de vérifier quelle est la mission du « service des vocations » dans un diocèse ou de s’intéresser aux documents produits par ceux-ci. Il n’y est jamais question de la vocation à la sainteté qui est adressée à tous, mais bien toujours de favoriser l’engagement de quelques-uns à des fonctions ciblées. Par ailleurs, il est systématique que l’appel du Christ à prier pour les ouvriers de la moisson (Mt 9, 38 ou Lc 10, 2) soit référé à un engagement dans la vie religieuse ou presbytérale, très marginalement à l’engagement et à la vie des époux chrétiens.

[2] Concile Vatican II, Constitution dogmatique sur l’Eglise, Lumen gentium, n° 39-42.

[3] Ibid., n° 40.

[4] Concile Vatican II, Déclaration sur l’éducation chrétienne, Gravissimum educationis, n° 1.

[5] Cf. Congrégation pour l’éducation Catholique, L’école catholique (19 mars 1977) n° 4, 8, 15, 16, 19, 26, 35, 36, 39, 45.

[6] Concile Vatican II, Déclaration sur l’éducation chrétienne, Gravissimum educationis, n° 1.

[7] Marguerite LENA, L’esprit de l’éducation, Paris, Parole et Silence, 2004, p. 37.

Agnès Brot et Guillemette de la Borie
Héroïnes de Dieu : l’épopée des religieuses missionnaires au XIXème siècle

Paris -Ed. Artège – 2016 – 316 p.

Ce livre procède à l’inverse de celui de Sylvie Bernay qui étudie la permanence du phénomène de la vie féminine consacrée à travers l’histoire de l’Église, et qui l’illustre par la présentation de quelques figures exemplaires. Nos deux auteures se sont, quant à elles, au contraire, centrées sur huit religieuses missionnaires du XIXème siècle, inégalement connues. En outre, elles ne prétendent nullement avoir effectué « un travail de recherches » (p.19) ; aussi bien, aucune justification n’est fournie d’une liste qui, en définitive, semble arbitraire, mais qui réunit des personnalités exceptionnelles, mues par le même ardent désir de convertir les « sauvages ». Et, de fait, au fil des pages, on est saisi par un volontarisme obstiné et une témérité souvent improvisée, qui déconcertent et pourraient défier abusivement la raison.

On n’entreprendra pas ici le résumé de chacune de ces histoires de vie, dont rien ne peut suppléer la lecture et qui laissent décontenancé devant l’amoncellement d’obstacles décourageants, qui ne cessent de menacer l’existence même et la survie des religieuses, exposées d’abord aux tribulations de la traversée des océans et au danger des naufrages, puis à la dureté des climats et des conditions d’existence quotidienne qui compromettent leur santé et, très souvent, leur vie même. Il s’y ajoute leur méconnaissance totale des lieux et des sociétés vers lesquels elles vont, l’indifférence, sinon l’hostilité des populations avec lesquelles elles cherchent le contact, un fossé culturel insoupçonné, ces tensions au sein même des communautés ou avec l’autorité ecclésiastique,  la lenteur interminable des communications, des problèmes canoniques toujours en suspens,  l’incoordination de l’action pastorale, enfin une série de péripéties rocambolesques. Force est alors de conclure que seuls l’intensité de la foi et le secours de la grâce permettent le miracle permanent d’un tel héroïsme missionnaire et cette réponse inconditionnelle à l’appel à l’évangélisation que lança le Pape Grégoire XVI. Et c’est pourquoi l’on ne peut qu’admirer leur capacité de réalisation et de mise en place d’œuvres sociales ou socio-éducatives, qui serviront de substrat à l’action des missionnaires.

S’agissant précisément de l’éducation, c’est un souci qui leur est commun : toutes sont, partiellement ou principalement, désireuses d’instruire les populations et de baptiser les enfants, même si c’est sans s’interroger suffisamment sur ce qu’elles peuvent raisonnablement envisager. Aussi bien, elles sont souvent amenées malgré elles à s’occuper d’abord des enfants de  colons installés dans ces contrées lointaines. Il leur est difficile de rejoindre les jeunes « sauvages » dont la conversion est leur objectif. En outre, lorsqu’elles y parviennent, c’est selon des programmes et des rythmes occidentaux, que les petits indigènes n’assimilent pas. Aussi leur a-t-il fallu consentir à un lourd travail d’adaptation, c’est-à-dire d’invention pédagogique, qui mettra aussi en évidence l’éducabilité, jusqu’alors insoupçonnée, de ces « primitives ».

Au terme de l’ouvrage, l’épilogue s’intéresse à « ce qui reste de l’œuvre de ces héroïnes de Dieu » : « ont-elles transmis leur foi, fait grandir l’Église ? » (p.299). L’on ne saurait échapper à la problématique de l’évaluation. Et cependant, force est aussi de dire d’emblée que l’efficacité du travail spirituel ne relève pas de nos techniques d’évaluation mais du mystère de la grâce. C’est toute la vitalité chrétienne actuelle des pays où ces femmes ont épuisé leurs forces qui est le juste étalon  de leur don d’elles-mêmes.

Cet ouvrage contribuera ainsi à casser l’image simpliste de la religieuse compassée, au profit de celle qui s’abandonne à la ‘folie de la foi’, dont parle Saint Paul.

Guy Avanzini

 

Quentin de Veyrac
A l’école des plus pauvres : de l’aventure à la quête intérieure

Paris – Ed. Artège – 2017 – 354 p.

C’est l’histoire de trois jeunes amis chrétiens, qui décident de suspendre leurs études supérieures pour partir, ensemble, ainsi qu’y invite le Pape, vers les « périphéries » : ils vont effectuer un tour du monde d’une année, pour rencontrer, sur les divers continents, des institutions spécialisées dans l’accueil des « pauvres » : prostituées, malades mentaux, handicapés… telles serons les « missions » qu’ils se sont données. Ils partent à l’inconnu, en auto-stop, avec un bagage minimum ; forts d’un dépouillement volontaire, ils s’abandonnent à la Providence. Ils le savaient et le voulaient ainsi : c’est « un itinéraire géographique tout autant qu’un cheminement intérieur » (p.10), pour rejoindre « ceux qui avaient décidé de consacrer leur vie pour venir en aide aux autres (id.). S’en suit un récit, agréablement écrit, et hautement émouvant, des épisodes et péripéties d’un périple qui n’a ni épargné les épreuves, ni écarté les occasions de faire à bon droit confiance à Dieu.

Sans doute ce livre suscitera-t-il d’emblée les réactions les plus variées. Certains admireront la générosité et la foi de ces « jeunes », si prompts à répondre à l’appel du Pape, tandis que d’autres, y verront un désir immature d’aventures et de voyages, ou l’illusion naïve de croire utiles des initiatives qui, à l’évidence, ne sont pas à la mesure de la misère rencontrée ; D’autres dénonceront cet optimisme crédule auquel s’abandonnent volontiers les chrétiens. L’auteur, quant à lui, manifeste beaucoup de lucidité et n’ignore ni l’immensité des problèmes, ni la fragilité de ceux qui les affrontent et qui, par là, reçoivent plus qu’ils ne donnent. Tous trois en en discutant régulièrement, pour s’évaluer. On appréciera leur belle définition des « périphéries » : « tous les lieux où Dieu n’est pas reconnu et où la dignité de l’homme, créé à son image, est bafouée (p. 314). Aussi bien, l’objectif des voyages est moins de « faire pour » que « d’être avec » ! Plus précisément il est aussi, éventuellement, de suggérer à ces marginaux qu’ils ne sont pas méprisés et rejetés de tous,  mais qu’ils sont aussi, quoique trop rarement, reconnus et respectés, et qu’il peut y avoir un autre avenir que leur actuel présent. Ils contribuent ainsi à casser le fatalisme, à ouvrir une espérance, à éveiller un appel.

Pendant chacune de leurs « missions » successives, nos trois missionnaires ont été, bien sur, associés à diverses tâches d’éducation populaire, voire d’enseignement, pour aider certains à échapper à leur destin. Mais, plutôt que de résumer ce qu’ils ont fait, mieux vaut renverser le regard et s’interroger sur les deux problèmes majeurs que ce voyage d’une année poste à l’éducateur. Le premier, c’est de savoir comment, pour reprendre un mot du Pape, arracher les indifférents au confort du « divan » et les éveiller aux grandes causes ; le second, réciproquement, est de chercher comment éviter que celles-ci servent d’alibi à des sujets immatures, qui tentent la fuite et l’évasion. Comment responsabiliser ceux qui ne pensent qu’au confort et aux loisirs et calmer ceux qu’égare un activisme irréfléchi ? Comment sensibiliser les indifférents et assagir les affolés, pour amener les uns et les autres à des initiatives réfléchies et efficaces ? C’est dire qu’aujourd’hui le problème se pose d’une « pédagogie de l’humanitaire », qui peut déjà, certes, se prévaloir de belles réussites, mais qui demeurent marginales et sont perçues comme exceptionnelles, non intégrées à une vision pertinente de la formation morale et spirituelle. En outre, cela ne pourrait-il pas s’insérer dans les pratiques du « réenchantement de l’Ecole », que préconise Pascal Balmand ?

On sera reconnaissant à cet ouvrage simple, direct et modeste, d’ouvrir des perspectives qu’une pédagogie chrétienne fidèle à ses exigences intrinsèques ne peut s’autoriser à négliger.

Guy Avanzini

 

Don Bosco Le système préventif, d’hier à aujourd’hui… et pour demain ?

Paris – Edit. Bosco – 2017 – 110 p.

Dans la conjoncture, plutôt morose de la pédagogie contemporaine, voici néanmoins une bonne nouvelle : la parution, dans un petit livre facilement accessible, du célèbre texte de Don Bosco sur « le système préventif ». Il s’agit en effet d’un document particulièrement précieux, car il présente, de la main même de son auteur, la seule formalisation de sa pensée pédagogique.

Dans un chapitre initial, le Père Wirth, de l’Université Pontificale Salésienne de Rome, expose le contexte de son élaboration : en mars 1877, à l’inauguration du « patronage St Pierre de Nice, première implantation de la Congrégation de France, Don Bosco lui-même prit la parole pour présenter les principes de son action. De retour à Turin, il retouche et met au point la rédaction de son propos, pour le publier pendant l’été dans un livret bilingue franco-italien ; sous la forme d’un « appendice » il expose les méthodes d’éducation de la jeunesse ; C’était aussi, à ses yeux, « l’esquisse » d’un petit ouvrage qu’il se proposait d’écrire s’il en trouvait le temps. Enfin, la version définitive fut arrêtée à l’automne, comme prologue au « Règlement pour les maisons de la Société de St François de Sales », comme le remarque le Père Wirth, ce « travail de circonstance » fournit l’occasion d’élaborer un « texte normatif » (p. 24).

Nul, néanmoins, ne se doutait alors que, malgré la discrétion de leur origine, ces onze pages inaugureraient une étape nouvelle dans la dynamique de la pédagogie chrétienne. Certes, comme le note aussi le Père Wirth, sa conception est marquée par la culture d’une époque où d’aucuns préconisaient déjà de substituer la prévention à la répression. Il reste que le choix de Don Bosco n’émane pas d’abord de la validité intellectuelle de ce renversement mais bien davantage de sa longue expérience de terrain, comme de son propre charisme. Ainsi inaugurait-il l’approche tripolaire -raison, affection, religion- qui organise entre elles interdépendance et circularité. On le voit, sa spécificité tient au renouveau d’ordre anthropologique qu’il introduit : celui d’un adolescent qui, n’étant plus humilié ou marginalisé, n’est plus animé du désir de vengeance dû à la punition ; alors, il se transforme et se réhabilite à ses propres yeux, grâce à l’expérience affective d’une relation confiante avec un adulte ; il sait, désormais, que la sanction éventuelle porte sur son acte, et non plus sur sa personne ; il se sait et se sent respecté.

Toutefois, si manifestes qu’en soient les mérites, le système préventif demeure-t-il pertinent et applicable aujourd’hui ? Identifié et promu dans le contexte du XIXème siècle, garde-t-il son actualité dans un monde sécularisé et déchristianisé ? Offre-t-il encore une issue à la crise contemporaine de l’éducation ? C’est la problématique que, dans les trois chapitres suivants, traite le Père Petitclerc. Don Bosco n’a-t-il pas lui-même écrit : « le chrétien est seul capable d’appliquer avec fruit la méthode préventive ? » (p. 32). Encore ne dit-il pas qu’il ne s’adresserait qu’à des croyants ou à des sujets christianisés. Aussi bien, dès février 1878, dans une lettre au Ministre italien de l’Intérieur, pour l’éventuelle ouverture à Rome, d’un centre d’accueil de jeunes en difficulté, il propose lui-même une version allégée (cf. texte de Don Bosco, pp. 62-70) qui, dit Petitclerc, « ôte toute les références explicitement religieuses » (p. 61) , pourvu que, « grâce aux cours du soir et du dimanche, on donne à ces pauvres enfants du peuple une nourriture morale adaptée et indispensable » (p. 67). Aujourd’hui, le débat reste ouvert entre ceux pour qui la marginalisation de la tripolarité trahirait le message du Fondateur, et ceux pour qui, comme le Père Thévenot, « tout ce qui se prescrit au nom de Dieu peut se justifier du point de vue de l’homme » (p. 73-74).  Il y a là, on le voit, une question à approfondir. Qu’en est-il, par exemple, d’un établissement catholique qui, fidèle à son « caractère propre », s’efforce d’être chrétien, mais dont beaucoup de professeurs et d’élèves sont incroyants, ou indifférents, voire athées.

Quoi qu’il en soit, le « système préventif » a formalisé des acquisitions définitives de la pensée pédagogique, spécialement la distinction entre éducation et dressage ; il a esquissé aussi de fortes intuitions anticipatrices, dans le champ de l’affectivité et de la résilience. Souhaitons donc que cette nouvelle édition, qui rend le texte désormais aisément accessible, comme la qualité de sa présentation et de son commentaire en assurent l’audience et en favorisent l’adoption. Sa validité permet donc de dire à nouveau que l’éducation du XXIème siècle sera salésienne ou échouera.

Guy Avanzini

 

J’ai à te dire … Paroles d’éducateurs, à la manière de Don Bosco

Paris – Presses d’Ile de France – 2016 – 128 p.

Présenté de manière très soignée et agréable à lire, cet opuscule original rassemble 90 projets de « mots du soir », cette parole que Don Bosco avait coutume d’adresser avant la nuit aux internes du Valdocco, pour conclure la journée par un propos formateur. Cette tradition, qui lui était chère, s’est maintenue dans les maisons de la Congrégation, mais a été transformée, selon les cas, en « mot du matin » ou « mot du jour ». Issue du registre existentiel -accompagnement, accueil, bonté, confiance, fraternité, etc.- cette parole vise à aider chacun dans sa maturation personnelle par une brève incitation à la réflexion. Volontiers liée à un événement de la journée, à un incident du quotidien, elle souhaite ainsi induire parmi les adolescents une même sensibilité, voire une spiritualité commune, et les aider à assimiler l’esprit salésien.

Ce sont ces mêmes objectifs que 32 religieux -notamment Sœur Nadia et le Père Petitclerc- ou très proches de la famille salésienne se sont donnés. A ceux qui souhaiteraient restaurer ou instaurer cette pratique dans leur établissement, ils fournissent un vaste choix de suggestions, très heureusement identifiées par une liste de « mots clés » (p. 118 et sy), porteurs de thématiques voisines.

L’on ne s’étonnera évidemment pas que celles-ci se situent dans la dynamique et l’esprit du Système Préventif, qu’elles cherchent à transmettre : « sans vous, je ne peux rien faire », aimait dire Don Bosco à ses élèves. C’est bien cette adhésion intelligente qui est ainsi visée ; confiance, affection, joie, tiennent une large place. Au total, c’est toute une sagesse sereine qui émane de ces pages. Et l’on souhaite que, en les commentant ainsi, l’adulte s’en convainque lui aussi vraiment. Il y aurait là une belle réciprocité éducative.

Guy Avanzini