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Sylvie Bernay
Femmes de Dieu : l’aventure de la vie consacrée féminine

Paris – Editions de l’Emmanuel – 2016 – 236 p.

L’objectif de l’auteure n’est pas d’ordre pédagogique. Il émane du regret que suscite chez elle l’absence d’un ouvrage de synthèse, qui présenterait « une histoire générale de la vie consacrée féminine » (p. 77). Son désir est de combler cette lacune et de réparer cette omission. C’est pourquoi, elle-même consacrée au sein de l’Emmanuel, elle a rédigé ce gros volume, qui étudie le sens, la raison de la constance, dès les origines du christianisme, et l’ampleur de ce véritable phénomène social que constitue l’émergence toujours renouvelée de l’engagement religieux féminin.

On appréciera d’emblée et à bon droit la réalisation de ce beau projet, la surabondance et la précision des informations rassemblées et, plus encore, le souci de souligner et de mettre en évidence le lien entre le type de fondation d’une époque déterminée et son contexte socio-pastoral et ecclésial, en particulier lors des périodes de renouveau et d’essor, due notamment à la diffusion internationale assumée par les Congrégations Missionnaires, sans exclure celles qui se consacrent, exclusivement ou partiellement, à l’éducation et à la scolarisation. Et l’on remarque spécialement le mouvement du XIXème siècle, cet « âge d’or des religieuses françaises » dont parle Gérard Cholvy. Au fil de la lecture, on admire la richesse de l’inventivité ainsi déployée, le courage des initiatives, l’intensité du sens spirituel et l’engagement plénier et inconditionnel de ces femmes données à Dieu dans le service du prochain. C’est un bel hommage qui est ainsi rendu aux personnes consacrées et à l’héroïcité de tant d’entre elles.

On regrettera seulement que la complexité du sujet ait, ici ou là, faussé le plan du développement, en particulier le positionnement des pages 214 et sq. sur Thérèse de l’Enfant Jésus et Elisabeth de la Trinité. Globalement, l’approche du XXème siècle manque du peu de recul. De même les problèmes canoniques liés aux vœux et à la clôture mériteraient-ils une analyse plus poussée. Enfin, il manque un index.

Ce beau livre paraît dans un contexte qui se veut délibérément valorisateur de la femme et de son rôle dans l’histoire des sociétés. Mais voici que, simultanément, un courant inverse se manifeste. Ainsi, un récent article du Monde : « des catholiques veulent rendre à l’Église sa virilité. Des laïcs et des prêtres multiplient les stages pour aider les hommes à se réconcilier avec leur masculinité » (mercredi 28 décembre 2016, p. 0) : ces textes disent la plainte de ceux qui déplorent une « féminisation de la vie en Eglise » (id.). Il n’y a évidemment pas, ici à trancher entre ces deux thèses. Du moins importe-t-il de signaler leur dualité.

Guy Avanzini

Philippe Maxence
Baden-Powell

Paris – Ed. Perrin – 2016 – 500 p.

L’essor rapidement mondial du scoutisme, sa compatibilité avec les contextes socioculturels et socio-éducatifs les plus variés et sa vitalité qui demeure depuis plus d’un siècle justifient de se demander à quoi cela est dû. C’est la question que l’on se pose à nouveau à l’occasion de la parution de ce volumineux ouvrage. Comment expliquer le paradoxe d’un mouvement de jeunesse qui résiste au bouleversement de nos sociétés ?

Si ce n’est pas explicitement à cette question qu’il répond, du moins M. Maxence ne manque-t-il pas de l’éclairer par cette approche biographique très informée, approfondie et minutieuse, qui reconstitue dans le détail la vie de Baden-Powell, tout en signalant au fil des pages les traits et les valeurs qui préfigurent ceux que devait bientôt promouvoir le scoutisme. « Sa scolarité est médiocre » (p.581),et déjà émergeait un certain anti-intellectualisme, que la suite confirmera. A défaut, « il progresse au football » (p.57)… et se découvre de plus en plus homme d’action, voire hyperactif. Cela autorise à dire que, « avant d’être une pédagogie écrite et formalisée, le scoutisme a été vécu par son fondateur » (p. 64). Adulte, il entre dans l’armée et devient officier, ce qui l’amène à de nombreux séjours outre-mer, spécialement, en Inde et en Afrique du Sud, et à alterner les périodes monotones de la vie de garnison -dont il se distrait par la chasse au sanglier- et les épisodes de combat, vu les guerres coloniales que menait alors la Grande-Bretagne. Du moins critique-t-il la discipline imposée et « l’encadrement militaire » (p.122) ;Mais, fort de batailles qui lui assurent du prestige ; Il est promu général à 43 ans et, en 1903, est nommé Inspecteur Général de la Cavalerie.

A la page 289 de l’ouvrage, on arrive à la seconde  période de sa vie , celle qui est marquée par la fondation et le développement du scoutisme ; en 1906, il entreprend la rédaction d’un ouvrage, vite devenu célèbre, sur l’éducation des garçons par le scoutisme, et, en mai 1907, il se risque à abandonner ses fonctions dans l’armée pour se consacrer exclusivement à la direction et à l’animation du mouvement, dont le fameux camp inaugural allant vérifier et valider la formule. Il s’agit alors désormais, pour lui, de veiller à une unité d’inspiration et de pensée que pouvaient néanmoins compromettre dissidences, jalousies, rivalités et contre-sens. Il s’agit notamment de réagir aux tentations -ou aux accusations- de militarisme et aux « exercices abêtissants »(p. 320)que préconisent, notamment, les régimes totalitaires. Ce sont sa résolution, sa fermeté, son autorité propre qui permettent de sauver l’idéal d’une « virilité chrétienne » (p.284)vécue au quotidien, et pas seulement « professée le dimanche » (p.360).

Au terme de la lecture, on ne peut qu’admirer l’érudition de M. Maxence et sa méticuleuse restitution d’une histoire dense et complexe. Les annexes, le glossaire et la bibliographique de et sur Baden-Powell seront aussi justement appréciés : l’information ainsi réunie favorisera la compréhension de ce phénomène social que constitue le scoutisme. Force est cependant de regretter  l’absence d’une reconstitution de sa pédagogie. Si ses traits majeurs ont été identifiés et signalés, aucune synthèse n’en est esquissée. Et pourtant, toutes les données requises sont présentes : ce mouvement procède d’une axiologie originale, d’une anthropologie qui ne l’est pas moins et d’une inventivité spectaculaire. On aimerait aussi voir étudier ses liens avec les théoriciens de l’Education Nouvelle, comme avec les Eglises. Et il serait souhaitable de préciser également dans quelle mesure et en quel sens il s’agit d’une pédagogie chrétienne.

Guy Avanzini

 

Sylvie d’Esclaibes
Montessori, partout et pour tous

Ed. Balland – 2016 – 332 p.

Voici un livre extraordinaire, du à une personnalité hyperactive et volubile, enthousiaste et chaleureuse, qui célèbre avec ferveur les louanges de la pédagogie Montessorienne, telle qu’elle la perçoit et la pratique. Directrice d’un lycée qu’elle a fondé pour en diffuser les bienfaits, elle n’a cessé d’en découvrir les mérites. Mais, même si cette adhésion passionnée pourrait sembler excessive, elle ne doit pas empêcher de discerner aussi la pertinence globale de son propos.

La première partie (100p.)est autobiographique. Mme d’Esclaibes raconte avec plaisir et assurance son enfance, sa famille et, surtout, sa découverte enflammée de Maria Montessori ; Ainsi, elle sait comment remédier à la médiocrité dépressive de la pédagogie officielle usuelle, normative et contraignante, dont elle entend protéger ses propres enfants, qu’elle veut heureux et épanouis. Si elle est un peu touffue et redondante, cette narration se présente comme une sorte d’hymne à la joie, associé à la libre réflexion qui la nourrit.

La deuxième partie, de même longueur, expose les « piliers » de la doctrine. Sans doute -mais on retrouve cela chez beaucoup de Montessoriens- affirme-t-elle un peu facilement sa « scientificité » due à une «démonstration » (p. 110)mais les principes fondamentaux sont clairement identifiés et argumentés : ainsi en va-t-il de l’insistance sur le respect dû à l’enfant, sur la bienveillance confiante et le « regard positif » à adopter sur l’importance de « l’émotionnel », sur l’affection à éprouver à son égard, sur l’éducabilité : elle rappelle ces données qui rejoignent celles de Don Bosco (p.230) ;  Cela est requis pour assurer le bonheur, l’épanouissement et le développement de chacun. Et l’on déplore, avec l’auteur, que trop d’enseignants ignorent ou rejettent ces thèmes dont l’adoption serait requise pour assurer un vrai nouveau départ, qui serait non seulement formel ou idéologique, si nombreux demeurant ceux qui, à leur insu, pratiquent un sélectionisme élitiste.

La troisième partie, enfin, présente des « études de cas » : enfants en difficultés, ou en échec, que l’Ecole Montessori a souvent mis sur la voie de l’essor personnel. Ces dossiers sont bien choisis et judicieusement analysés. Ils confirment le rôle décisif de l’éducateur qui croit en l’enfant et est heureux de l’accompagner. On souhaiterait cependant, pour mieux situer l’entreprise du lycée, une analyse sociologique du milieu de ces élèves, pour voir dans quelle mesure, objectivement, il est de nature à faciliter leur travail. Même si son exubérance prête parfois à sourire, ce propos, animé par une foi inaltérable et l’éducation, contraste brutalement avec l’actuelle tonalité morose de la pédagogie et de l’Ecole, en proie à un climat découragé et dépressif, dans lequel on va jusqu’à s’interroger sur la possibilité même d’éduquer. Or cette confiance n’est pas fortuite et ne tient ni à une euphorie naïve, ni à un optimisme aveugle. Elle provient de ce que Mme d’Esclaibes dispose d’une doctrine qui non seulement anime mais fonde sa pratique. D’une part,  elle a une finalité claire et explicite qui est simultanément « une passion » : « avoir comme principal objectif le développement de l’autonomie et de la confiance en soi… » (p. 330) ; d’autre part, elle dispose d’une anthropologie : elle croit au potentiel, à l’éducabilité de chacun.

Ce livre souffre de certaines négligences d’ordre formel : typographie et ponctuation défectueuses, écriture compacte et peu soignée. Par ailleurs, aucune précision n’est donnée sur les relations entre le lycée et les organisations montessoriennes « officielles ». Enfin et surtout, on s’étonne de l’omission complète de toute évocation d’une éducation religieuse, malgré le caractère intrinsèquement chrétien de la pensée Montessorienne. Celle-ci se trouve ainsi amputée d’une dimension centrale dans les écoles publiques, qui n’en mobiliserait que le matériel et les pratiques didactiques, en méconnaissant ou en rejetant ce dont elles procèdent. Or, qu’on le sache ou le veuille ou non, c’est une pédagogie chrétienne, greffée sur l’Evangile. Aussi bien, c’est dès 1929, à l’école de Barcelone, que l’énoncé de sa finalité spirituelle inaugure le renouveau de la formation religieuse, dont la portée s’avérera décisive sur la pédagogie catéchétique du XXème siècle[1] ! Mais, même si ce silence étonne, il faut néanmoins recommander la lecture de ce livre spécialement aux déprimés, fatalistes et résignés, pour réanimer leur volonté d’éduquer.

Guy Avanzini

 

[1]Dictionnaire historique d’éducation chrétienne, notices n° Co 11 et m 081.

Monseigneur Luc Crépy et Sœur Marie-Françoise le Brizaut
Saint Jean-Eudes : ouvrier de la nouvelle évangélisation au XVIIème siècle

Paris – Editions Jésuites – 2016 -132 p.

Saint Jean-Eudes n’est généralement pas perçu d’abord comme un pédagogue, mais bien plutôt comme un missionnaire passionné, spécialement au sein du monde rural, et comme un artisan du renouveau spirituel du 17ème siècle, en lien avec Bérulle et l’Ecole française de spiritualité. Et cependant, c’est précisément cette expérience de prédicateur qui l’a rendu attentif à deux types de misère qui allaient l’amener à des initiatives d’ordre éducatif. La première est à l’intention des prostituées et des filles en danger moral ; elle le conduisit à créer à leur intention en 1641, à Caen, un « refuge » dont allaient ensuite émaner la Congrégation de Notre Dame de la Charité, puis celle du Bon Pasteur d’Angers. Toute différente, la seconde est, dans la dynamique du Concile de Trente, de créer moins des collèges que des séminaires, pour améliorer la formation défaillante du clergé séculier. Cela allait lui faire quitter l’Oratoire, pour susciter en 1643 la Congrégation de jésus et Marie, « les Eudistes », vouée à la préparation spirituelle des prêtres, dont la qualité est requise pour assurer aux missions leur portée. En outre, pour non formel qu’il soit, son incessant ministère au sein des paroisses comme son rôle de catéchèse et de directeur spirituel constituent bien, également, une activité foncièrement éducative.

Sans doute est-ce l’actuel désir de certains de le voir déclarer « Docteur de l’Eglise » qui est à l’origine de ce livre, dû à Monseigneur Crépy, évêque du Puy, lui-même eudiste, et à Sœur Marie-Françoise, de la Congrégation du Bon Pasteur.  Tous deux déclarent, dans l’avant-propos, leur désir d’éviter deux dangers « tomber dans l’apologie et succomber au concordisme » (p.5).Mais, au risque de céder au second, on serait tenté de dire que, à sa manière, Saint Jean-Eudes s’est explicitement voulu apôtre des « périphéries ».

La seconde partie de l’ouvrage relève d’une thématique proprement théologique et spirituelle. Elle examine les aspects originaux de la réflexion de Saint Jean-Eudes, en insistant sur le rôle qu’il donne au « coeur » comme à la Vierge Marie. De copieux extraits de ses propres textes sont proposés.

Au total, ce livre bref présente une synthèse bien informée, dense, claire et précise d’une personnalité chrétienne aujourd’hui insuffisamment connue et non dépourvue de portée sur certains aspects de l’éducation.

Guy Avanzini

 

Sœur Maria Isabel Paez Melero
Un murmure aux mille échos

Edition des Religieuses de la Sainte Famille de Villefranche – 2003 – 196 p.

La Congrégation est simultanément, l’objet d’une approche originale, qui se veut explicitement historique sans, pour autant, s’interdire « l’imagination narrative propre au roman » (p. IV). Telle est l’intention de ce livre écrit par une religieuse d’origine madrilène, dans un style qui entend recréer le milieu de vieille noblesse provinciale où vécut la fondatrice, Sainte Emilie de Rodat.

Celle-ci est née en septembre 1787, donc dans une période prérévolutionnaire, de sorte que son enfance et son adolescence se déroulent dans un climat d’inquiétude, voire d’insécurité, marqué aussi par une foi ardente et un constant souci des pauvres, ce qui intensifie chez elle le souci de donner un sens à son existence. Or, voici que, amenée à rejoindre sa grand-mère dans une résidence non conventuelle mais chrétienne, elle trouve l’occasion de s’occuper de petites filles pauvres, malheureuses ou orphelines, qu’elle aime à secourir et dont, avec quelques autres, elle entreprend très empiriquement l’éducation. Et peu à peu c’est une sorte d’école qui s’installe. Et peu à peu aussi, c’est une vocation religieuse qui émerge, et la convainc d’un engagement plénier. Encore fallait-il choisir une congrégation, et ce fut l’objet de plusieurs essais infructueux, chez les Sœurs de Nevers puis chez les Picpuciennes et à la Miséricorde de Moissac, avant d’en venir à la lente maturation d’un projet original, celui de la Sainte-Famille, délibérément vouée à la scolarisation et à l’éducation des filles. Si l’auteure ne donne guère d’indications d’ordre proprement canonique, elle décrit bien l’alternance de joies spirituelles et de déceptions, de phases d’essor et de diffusion, de difficultés institutionnelles, politique et autres, et aussi le processus de consolidation de l’œuvre, notamment après son abandon d’un projet de fusion avec les religieuses Marianistes d’Adèle de Trenquelléon. Et, si l’on ne parle guère des aspects proprement pédagogiques, du moins souligne-t-on avec quelle affectueuse douceur Sainte Emilie savait aborder des élèves insoumises ou caractérielles et les amener à surmonter leurs troubles antérieurs. Le concours décisif de l’Eglise et, plus spécifiquement, des religieuses à l’éducation est ici, une fois de plus, clairement établi et mis en lumière.

Guy Avanzini

Les enfants acteurs de leur développement : ATD Quart Monde et l’Institut Supérieur Maria Montessori, regards croisés sur l’éducation

Revue Quart Monde n° 27 – 2017 – 164 p.

Le texte est trop long, dilué, redondant. Et cependant, il mérite éminemment d’être lu et connu. Il rend compte, en effet, (trop) minutieusement d’une recherche active exemplaire, menée depuis 2011 en commun par ATD Quart Monde, dont on sait l’intense préoccupation éducative, et l’Institut Supérieur Maria Montessori, à l’intention d’enfants de 3 à 6 ans issus de milieux marqués par la détresse de la grande pauvreté. Forts de leur expérience, tous deux savent le triste sort de ceux « que l’Ecole ne sait pas prendre en charge » (p.7), et dont l’adaptation à l’Ecole Maternelle puis au CP est très aléatoire, car ils sont « les plus éloignés de l’Ecole » (p.149),vu le fossé entre les exigences de celle-ci et leur propre culture. Quoi qu’à des niveaux divers de théorisation, ATD et le mouvement Montessori constatent aussi la proximité de leurs valeurs respectives : prévenir l’échec et favoriser une réussite non pas seulement scolaire, mais humaine, en vue d’une société juste et pacifique, telle que le préconise la finalité politique globale de l’Ecole Nouvelle(cf. p. 36). Ils observent la proximité de leurs représentations de l’enfant : tous deux affirment son éducabilité et font confiance à son potentiel. Le constat de cette double convergence aboutit à la mise en place d’une structure commune, d’une « alliance » : l’Atelier des 3-6 ans, au sein du Centre de Promotion Familial, social et culturel de Noisy le Grand. Deux fois par semaine, les enfants volontaires -que l’on va chercher et raccompagner chez eux pour ménager un contact avec leurs parents- participent à des activités liées à leurs besoins et à leurs attentes, tels que les conçoit la théorie Montessorienne. On en lira le détail dans le texte, ainsi que les solides études de cas, qui mettent en évidence le processus d’auto-construction de la personne. Soulignons seulement que l’objectif n’est pas de former un écolier modèle, mais un homme autonome. D’où un heureux rejet de l’idée selon laquelle il faudrait surtout développer des « compétences » ; (p.150)qui risquaient de fractionner les apprentissages et de « perdre de vue l’enfant dans sa globalité, dans sa singularité » (p.15).Les adultes, quant à eux, se réunissent régulièrement chaque semaine, pour exercer la réflexion qui institue une vraie recherche-action.

Ainsi s’illustre et se vérifie la structure triangulaire de l’acte éducatif : nécessairement finalisé et dynamisé par une axiologie qui explicite son idéal, il comporte ensuite une anthropologie qui statue sur la réceptivité, l’éducabilité et le potentiel du sujet (cf. pp.36-150) ; enfin le paramètre pédagogique invente une articulation des deux premiers : « l’histoire de la pédagogie, c’est d’abord l’histoire de ces pédagogues qui prennent le risque… d’essayer quelque chose. Et cette même histoire d’invention ou de réinvention se répète en permanence, parce qu’il n’y a pas d’autre moyen de faire de la pédagogie (p. 11).

Cette collaboration exemplaire et officielle entre deux institutions comporte une originalité qui mérite d’être saluée et félicitée : l’on souhaite la poursuite féconde de leur coopération, en désirant seulement qu’une version abrégée et plus lisible facilité l’accès à une démarche féconde. Peut-être pourrait-on souhaiter aussi que leur commune origine chrétienne fût explicitement énoncée.

Guy Avanzini

J.M. Petitclerc, s.d.b.
Prévenir la radicalisation des jeunes

Paris – Salvator – 2017 – 114 p.

Voici enfin un livre intelligent, sur un problème très grave : et d’abord parce que, à l’opposé d’un certain discours simpliste, il dit explicitement pourquoi il faut comprendre avant de condamner. En effet, en dépit d’un propos malencontreusement célèbre, excuser n’est pas « absoudre » mais aide à se donner les moyens de prévenir un phénomène qui, pense-t-il, serait plus justement nommé « sectarisation » ou « fanatisation » (p. 18) ;quoi qu’il en soit, si aberrant soit-il, tout comportement a ses raisons, même si le coupable n’a nullement raison ; il faut donc chercher à les identifier pour essayer d’y remédier.

Fort de sa longue expérience d’éducation spécialisée et de directeur du Valdocco, le Père Petitclerc distingue globalement, si complexe que soit le cheminement de chaque personne, deux principales catégories de « radicalisés ». La première réunit des jeunes qui, souvent issus de l’immigration, ayant échoué à l’école et en étant sortis sans qualification, se sentent exclus et humiliés et nourrissent à l’égard de la société une haine passionnée ; ils trouvent alors dans l’idéologie islamiste un discours et une cohérence qui les séduisent et nourrissent leur désir de vengeance. La seconde, au contraire, rassemble plutôt des adolescents de souche européenne et de classe moyenne qui, plus ou moins frustrés affectivement, vivent une sorte de crise existentielle et de recherche d’absolu, liées à la révolte contre l’injustice. N’ayant pas trouvé de sens à leur vie, ils découvrent dans l’idéologie islamiste une cohérence qui les convainc. Quant au processus de radicalisation proprement dit, on appréciera le schéma en cinq étapes, que propose l’auteur ; l’on remarquera surtout sa distinction entre « l’embrigadement relationnel » et « l’envoûtement idéologique », le premier précède le second et y conduit tout naturellement. Comment, dès lors, tenter d’enrayer ce phénomène ? Petitclerc remarque d’emblée, courageusement, contre et malgré l’opinion commune, que ce ne sera surtout pas par l’incarcération : « nos prisons, en France, constituent aujourd’hui le premier lien de développement de l’Islam radical » (p. 50), quant aux « centres de déradicalisation », ils n’ont évidemment guère servi qu’à faire sourire. Pour combattre « l’embrigadement relationnel », son expérience l’a convaincu il faut induire parmi les jeunes l’expérience de la fraternité, c’est-à-dire gérer l’articulation complexe entre les similitudes et les différences qui les caractérisent. L’exercice de la médiation leur montrera que les conflits n’entraînent pas nécessairement la violence mais peuvent susciter le respect réciproque, l’acceptation de pluralisme, le sens du dialogue. Important est aussi le rôle de l’Ecole si elle sait développer le sens critique et la raison, pour apprendre à résister à la tentation de gestes aberrants. Certes, « c’est beaucoup demander et beaucoup espérer » (p. 4), du fait que « la plupart des enseignants ont été formés à la négation de la relation affective » (p. 96). Néanmoins, on sait que le recours à l’éducation est aléatoire et ne comporte jamais la garantie de sa réussite mais, ici comme ailleurs, le postulat de l’éducabilité est la condition première et exigible de tout progrès.

Nul ne s’étonnera que l’auteur souligne combien tout cela confirme la pertinence des intuitions pédagogiques de Don Bosco, toujours « référence pour aujourd’hui » (p. 95).  Malgré la différence des contextes, elles trouvent ici leur confirmation « ce dont les jeunes ont besoin si on veut éviter la bascule vers la radicalisation, c’est de rencontrer des adultes capables de les guider dans leur recherche de sens » (p. 108).

Beaucoup de reconnaissance est due au Père Petitclerc, dont on sait les talents de réflexion et d’exposition, pour cet ouvrage, si pertinent et publié si à propos, qui confirme la portée de sa contribution à la recherche pédagogique contemporaine, spécialement à la réflexion chrétienne. On regrettera seulement que le contexte ne favorise guère sa reconnaissance par la pédagogie officielle et son inscription dans les bibliographies des sciences de l’éducation…

Guy Avanzini

Jean-Yves SERADIN
Penser avec Michel de Certeau : une pédagogie du quotidien

Lyon – Chronique Sociale – 2016 – 144 p.

Il est de fait que Michel de Certeau n’est pas perçu comme pédagogue. Et, cependant, c’est bien ainsi que le présente cet ouvrage. Certes, à la différence des « grands pédagogues », reconnus comme tels, il n’est pas, quant à lui, parti d’une doctrine sur les finalités et valeurs de l’éducation, mais des questions et difficultés que soulève la vie quotidienne de la classe. Et cette approche, apparemment empirique, est devenue une vraie méthode d’investigation : à partir d’une situation particulière, inventer une solution, réfléchir aux raisons de son efficacité et ébaucher ainsi une théorisation qui inaugure une recherche-action. Globalement, cela retrouve les « méthodes actives » en tant qu’elles instituent l’élève en acteur de son apprentissage. Mais son originalité tient à l’approfondissement de sa pensée, qu’il doit à certaines rencontres, à d’abord celles d’Illich -qui n’était pas évêque ! (p.23)- et, plus encore, de Paulo Freire, chez qui il trouve et à qui il emprunte sa vision de la démarche pédagogique à partir de conjonctures concrètes, qui, sont à la fois l’objet et le levier d’une pratique libératrice. Seradin souligne aussi à bon droit que, malgré sa pertinence, Certeau discerne bien les limites du modèle de Bourdieu, en en récusant une lecture de type déterministe, qui ne laisserait pas sa place à « la valeur d’espérance », suspendue à la résistance que les dominés lui semblaient pouvoir opposer aux pesanteurs sociales et qui a, on le sait, donné lieu à de vifs débats. Pourrait-on, sans lui prêter la moindre naïveté, voir là une marque chrétienne ?

La pensée pédagogique de Certeau va se préciser par l’explicitation de son adhésion au plan Rouchette. Les controverses à son propos révèlent aisément, derrière le début didactique, sa vraie nature, qui est politique. En effet, il s’agit de distinguer entre une conception traditionnelle et normative de l’Ecole, qui valorise la culture écrite, notamment l’orthographe, au détriment de la maîtrise d’une communication directe entre les personnes. Est-elle un lieu que le maître gère de manière autocratique, ou un espace au sein duquel se déroulent librement des échanges horizontaux ? Or, le plan Rouchette « brise les tables de la loi » au lieu de mobiliser « les classes dominantes pour défendre leurs territoires et leurs principes » (p.58) ; d’où l’hostilité qu’il a suscitée à son encontre.

En définitive, pour Certeau, il existe deux conceptions de la relation pédagogique : soit le maître parle àses élèves, soit il parle aveceux ; ou il impose son savoir, ou il les aide à construire le leur. Le plus souvent, ses « lunettes sociales » (p. 63) l’empêchent de discerner son propre rapport au pouvoir et l’amènent à exercer une « autorité » fallacieusement confondue avec l’autoritarisme et la coercition, en dissimulant ainsi la violence que porte la culture dominante. D’où sa critique d’une relation normative et dominatrice, au mépris de ceux dont elle ignore les ressources et le potentiel.  Aussi bien, cette normativité s’exerce dès l’étape de l’apprentissage de la lecture, trop volontiers confondu avec le déchiffrage, en oubliant que l’essentiel tient au désir de lire, d’autant plus que « c’est le jeu de l’attente des lecteurs et de la résistance du texte qui forme ce que nous appelons le sens » (p.110). Et l’on se réjouira de ce que ces remarques donnent à M. Seradin l’occasion de déplorer les  « âneries » (p. 103), parfois officiellement énoncées à propos de la méthode globale, par des incompétents.

Sans doute regrettera-t-on le plan un peu discontinu d’un livre dont l’écriture contractée s’avère inégalement adéquate. De même aurait-on souhaité une réponse d’ordre épistémologique plus élaborée à la problématique initiale de « l’apport de Certeau à la pédagogie du quotidien » (p.7) et à l’élucidation du sens qu’il donne à cette notion même, comme à celles de « recherche-action » ou de « théorisation ». Mais on sera reconnaissant à l’auteur d’avoir mis en lumière un aspect peu connu de l’ample et forte pensée d’un Père Jésuite qui, familier de l’idéologie de 1968 et des courants qui l’animaient, a su s’en dégager et les dépasser par une réflexion élargie et approfondie, qui unit avec aisance nuance, précision et pertinence.

Guy Avanzini

Jeunes en milieu populaire : un défi urgent pour l’Église

Documents de l’Episcopat – n° 10 – 2015 – 87 p.

Bien qu’il s’agisse, comme le titre l’indique, d’un « défi urgent », le problème de la pastorale des « jeunes de milieu populaire » n’est pas souvent méthodiquement traité. C’est le mérite de ce dossier d’en rassembler certaines données et de susciter une réflexion à son propos.

Ainsi que l’indique Sœur Nathalie Becquard dans une fine et dense analyse, la population concernée est d’abord, et d’emblée, affectée par une série de déconvenues et d’échecs : carence et dépréciation familiales, échec scolaire, décrochage, d’où chômage et précarité, voire addiction et délinquance, d’où fatalisme, marginalité, mésestime de soi, rejets divers.  En outre, son hétérogénéité ethnique et culturelle, d’où il résulte, au minimum, un vivre-ensemble aléatoire. A cela, cependant, s’opposent, au moins chez certains, une volonté de vivre, un dynamisme, des projets ; quant aux chrétiens, a fortiori les catholiques, ils sont plus que minoritaires, en revanche, majoritaires sont désormais les musulmans et, de plus en plus nombreux, les Evangéliques, résolus, actifs et dynamiques.  Mais, chez tous, même implicitement ou confusément, dans la dérive, l’oisiveté ou la révolte, se pose le problème du sens : que faire ? Que devenir ? Que vouloir ? Où et vers qui ou quoi aller ?

C’est là que se situe le rôle de la Pastorale, tout se passant paradoxalement comme si l’absence d’horizon favorisait la perméabilité au message d’un Christ Sauveur, parce qu’il ouvre à une expérience de la fraternité. Dès lors « devant une situation que nous qualifions d’urgence éducative, sociale et spirituelle, l’appel et la formation de nouveaux missionnaires à envoyer auprès des jeunes de milieu populaire devient cruciale » (p. 17).

C’est à cette fin que Monseigneur Brunin, évêque du Havre, propose certaines initiatives et précise que leur réceptivité passe par le partage d’un « parcours de vie » (p.23), c’est ce qui permettra de découvrir « le chemin que la Parole de Dieu est capable d’ouvrir pour eux » (p.23). On discerne la qualité de l’accompagnement requis pour que surgissent de véritables communautés d’Eglise. Et l’on voit aussi que « la mission n’est plus une activité parmi d’autres dans l’Église ; elle est constitutive de l’Église. » (p.25). Alors, on peut constater, avec Xavier de Palmaert, que les jeunes migrants « prennent conscience de leur identité profonde » et « se découvrent frères de tous en humanité » (p.35).Et l’on peut constater, avec le Père Chavane, que la rencontre de musulmans « entraîne les jeunes chrétiens au partage » (p.40)et induit même, chez certains, le goût de la théologie.

Evidemment sensible aux difficultés et exigences de cette urgence apostolique, ce texte s’avère, en profondeur, plutôt optimiste. Il ne cache pas les obstacles mais il met en évidence la possibilité d’un apostolat efficace. Il n’exclut pas, ici ou là, « la joie de la conversion » (p.72). Sans doute regrettera-t-on que les critères de l’identification du « milieu populaire » ne soient pas suffisamment élucidés, sans en ignorer la difficulté dans notre société mouvante mais, davantage, on félicitera les auteurs de ce dossier bienvenu, qui met en évidence le bien-fondé de l’annonce explicite de la Parole.

Guy Avanzini

 

Stéphane Clerget
Réussir à l’école : une question d’amour ?

Paris – Larousse – 2012 – 224 p.

Cet excellent ouvrage d’un pédopsychiatre parisien mérite d’être lu, connu et intériorisé, car il présente une vision assainie de l’éducation.  Ecrit avec une grande simplicité, il montre finement, par des exemples bien choisis, que, malgré une représentation simpliste mais persistante, « la réussite scolaire n’est pas une question d’intelligence » (p. 1)mais bien et d’abord, une « question d’amour » (id.). L’originalité et la pertinence de son approche tiennent à la précision avec laquelle il argumente, sans crainte de s’opposer ainsi au climat pseudo-rationaliste et néo-scientiste de certains courants didactiques. D’inspiration psychanalytique, prenant largement appui sur son expérience de clinicien, il oppose aux éducateurs et enseignants, asservis à une anthropologie fixiste du niveau intellectuel, que le facteur décisif de l’éducation scolaire tient aux conjonctures relationnelles que vit l’élève.

On appréciera particulièrement, dès le début, les pages qui explorent et commentent le sens du prénom que l’enfant a reçu, « pointe émergée de l’immensité des désirs projetés par les parents, consciemment ou non, sur leur enfant » (p.29). L’auteur expose ensuite les dommages qu’entraîne la pauvreté affective d’un climat familial, perturbé par l’attitude indifférente d’une mère incapable de manifester une émotion ou d’instaurer un attachement sécurisant, ou par l’obsession de parents anxieux, qui ne savent parler que de la scolarité et induisent les mauvais résultats que précisément ils redoutent. Si des règles et des limites s’imposent, encore faut-il qu’elles émanent du bon sens. En tout cela, c’est l’affectivité qui est prioritaire et alimente le vouloir-vivre et le vouloir-grandir de l’enfant. Décisive est aussi la confiance qu’on lui accorde et qui induit la sienne sur lui et l’estime de soi. Ainsi, « pour une large part, l’apprentissage scolaire est une question d’émotions et de mécanismes affectifs conscients ou inconscients » (p. 105). C’est ce que confirment les travaux classiques de Spitz sur l’hospitalisme et sur les pseudo-débilités d’origine affective. Enfin, chaque chapitre s’achève par une série de conseils concrets, susceptibles d’aider parents et éducateurs à adopter les attitudes souhaitables.

Le seul regret, c’est que S. Clerget ne développe pas sa pensée sur « les méthodes pédagogiques qui font de l’amour le facteur principal de la réussite scolaire » (p.212).L’on aurait aimé savoir à qui et auxquelles il pense, non sans se demander notamment si Don Bosco est parmi eux… Ce livre ne se réfère en rien à la pédagogie chrétienne ; on n’y trouve aucune allusion à elle. Néanmoins, vu la thèse qu’il adopte et développe, et sans céder à aucune tentative d’annexionnisme ni de récupération, force est de constater une convergence ou une rencontre.

Guy Avanzini