Fondement personnaliste de l’orientation

Eléments théoriques pour une discussion des approches traits-facteurs et constructiviste en orientation

Bertrand Senez[1]

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Résumé : Un rapide retour sur plus d’un siècle de recherches en orientation apprend que deux grands courants se dégagent nettement, avec tout d’abord l’approche traits-facteurs, puis l’approche constructiviste. Cet article vise : à esquisser les contours et les fondements d’une nouvelle approche qui sera qualifiée ici de personnaliste ; à la distinguer de ces deux grands courants dominants qui ont prévalu jusqu’à maintenant ; et à en montrer la pertinence.

Mots clés : Personnalisme, orientation professionnelle, congruence, constructivisme, approche traits-facteurs

Retour sur plus d’un siècle de recherches en orientation

Approche traits-facteurs

Les recherches en orientation scolaire et professionnelle ont débuté au commencement du XXe siècle. Parsons[2], généralement désigné comme le père de l’orientation professionnelle[3], a jeté les bases de ce qui sera appelé par la suite l’approche traits-facteurs et qui a dominé les recherches en orientation pour une large part au XXe siècle. Trois considérations fondamentales se dégagent chez Parsons : « 1) une compréhension claire de soi-même, de ses aptitudes, intérêts, ambitions, ressources, de ses propres limites et de leurs causes ; 2) une connaissance des exigences et des conditions de réussite, des opportunités et des perspectives dans les différents types de travail ; 3) un jugement ajusté sur les relations entre ces deux premiers aspects »[4] (traduction libre). Le modèle a été nommé « traits-facteurs » parce que « les descriptions des individus et des activités professionnelles sont faites au moyen de traits, traits définis le plus souvent par les facteurs de l’analyse factorielle »[5]. Ceci vise un bon appariement individu-profession, « c’est-à-dire une bonne similitude entre le profil des aptitudes décrivant la personne et le profil des aptitudes décrivant la profession » (Ibid.). Cette vision de Parsons a conduit au développement d’inventaires des intérêts professionnels pour permettre l’appariement des personnes vers des activités que l’on pourrait qualifier de congruentes, la congruence désignant ici une certaine conformité entre un individu et une profession.

Cette attention aux intérêts professionnels a conduit à l’élaboration de questionnaires permettant de les évaluer. Strong est l’inventeur du premier inventaire significatif[6]. Le questionnaire permet de faire ressortir, par l’accumulation d’informations recueillies, des relations stables entre les intérêts de l’individu et la profession, ce qui permet de prédire le choix qui sera cause de satisfaction[7]. Strong repère l’intérêt professionnel à ce que l’individu porte spontanément et sans effort son attention sur une activité jugée bénéfique et plaisante ; et l’intérêt professionnel est l’expression des besoins, des valeurs et des motivations individuels. Ainsi, comme chez Parsons, mais avec un outil plus perfectionné permettant de faire émerger les intérêts professionnels, Strong cherche à faire correspondre les intérêts individuels avec ceux qui sont habituellement liés à une profession et un mode de vie supposé associé[8].

Dawis et Lofquist ont aussi développé une théorie de l’adaptation au travail fondée sur l’appariement et qui n’est pas sans rapport avec la notion de congruence. En effet, la bonne adaptation résulte selon eux d’une bonne correspondance entre la personnalité et les caractéristiques du travail[9]. La personnalité, qui est considérée comme assez stable, est caractérisée par ses capacités et ses valeurs. Neuf capacités analysées par la General Aptitude Test Battery (GATB) sont retenues : capacité générale à apprendre, capacité verbale, capacité spatiale, capacité numérique, capacité à percevoir des formes, capacité pour le travail administratif, capacité de coordination œil-mains, dextérité digitale, habileté manuelle. Les valeurs retenues et recensées par le Minnesota Importance Questionnaire (MIQ) révèlent les besoins. Elles sont au nombre de six : accomplissement de soi, confort, statut, altruisme, sécurité, autonomie. A cela s’ajoute quatre styles de personnalité qui sont des façons de mettre en œuvre les capacités et les besoins : la promptitude (à réagir), l’allure plus ou moins soutenue, le rythme et l’endurance. Pour Dawis et Lofquist[10], les mêmes attributs doivent décrire la personnalité au travail et les caractéristiques mêmes du travail et de son environnement (déterminées par exemple par le MIQ). Dawis et Lofquist s’inscrivent dans la lignée de Parsons : « on applique à l’individu un test qui permet de mesurer son efficience pour les neuf capacités considérées, et un questionnaire qui permet d’évaluer son attachement aux six valeurs retenues. On discute avec le consultant de ses résultats et on lui explique pourquoi ils peuvent servir de base au choix d’une profession qui lui conviendrait et dans laquelle il serait efficient »[11].

La typologie de Holland comporte quant à elle six types de personnalités (théorique et idéale) : réaliste, investigateur, artistique, social, entreprenant et conventionnel. Par ailleurs, les degrés de ressemblance d’une personne « avec chacun des six types constitue son patron de personnalité »[12]. Il en va de même pour les environnements dans lesquels sont immergés les individus. A chaque environnement convient un certain type dominant. Ainsi, le rapport entre le type de personnalité[13] et le type d’environnement est considéré comme déterminant eu égard à la satisfaction éprouvée dans son activité professionnelle. C’est ici qu’intervient la congruence, principe de satisfaction au travail, mais aussi de compétence et de rendement. « Par la congruence, Holland entend la correspondance entre les types et les environnements. Une personne de type artistique trouvera dans un milieu artistique un environnement congruent, parce que ce dernier est susceptible de lui fournir l’occasion d’exprimer ce qu’elle est et d’obtenir les satisfactions qu’elle recherche »[14]. Et plus loin : « l’examen de la congruence entre le profil de la personne et celui de l’emploi qu’elle choisit permet de prévoir, à la lumière du cadre théorique, le degré de succès et de satisfaction qu’elle trouvera dans l’exercice de cet emploi ou, au contraire, la frustration qu’elle pourra y éprouver »[15]. Les questionnaires mis au point par Holland permettent de déterminer le patron du consultant et de le situer par rapport au modèle RIASEC (acronyme formé par les six types énumérés plus haut) de la profession envisagée, étant retenu comme principe, que des personnes de même type ont spontanément tendance à rejoindre des environnements communs.

La théorie du développement de carrière de Super[16] reprend des éléments évoqués plus haut, et qui sont issus d’une psychologie différentielle ; les individus se distinguent les uns des autres par leur personnalité, leurs habiletés, leurs besoins, leurs valeurs, intérêts et traits, toutes caractéristiques qui les rendent aptes à l’exercice des professions. Par ailleurs, Super souligne l’importance du concept de soi professionnel défini comme « une constellation d’attributs de soi qu’un individu considère comme pertinent dans le choix d’une vocation ; ces attributs peuvent ou non être traduits en une préférence professionnelle »[17]. L’adéquation entre le soi et l’environnement désigne la congruence. Par ailleurs, le concept de soi, qui laisse place à une vraie latitude et une certaine souplesse de la part du sujet, n’est pas seulement subjectif. Il peut être objectif, c’est-à-dire tel que vu par autrui et éventuellement évalué par des tests.  C’est ainsi que Super ne tient pas seulement compte des intérêts exprimés, mais privilégie même la considération des intérêts testés[18]. Guichard et Huteau[19] distinguent de même chez Super une congruence « subjective » (telle que l’individu se la représente) et une congruence « objective » (telle que la mesurent les tests). Quand le soi évalue objectivement son environnement ainsi que lui-même (c’est-à-dire conformément aux tests), on peut alors parler de réalisme dans le développement de carrière.

La perspective de Super, bien que faisant une place plus grande à la subjectivité (et au développement de l’individu sa vie durant) avec sa théorie du concept de soi, est similaire à celles de Parsons, Dawis, Lofquist Strong ou Holland, dans cette préoccupation de faire correspondre les individus à un environnement. Et chez Super également ceci est source de satisfaction au travail.

La congruence est ainsi un concept clé des théories de carrière fondées sur une identification de traits-facteurs qui suppose une approche très analytique et positiviste de la réalité des individus et de l’environnement : la mise en évidence de relation entre des caractéristiques bien identifiées d’un individu et de son environnement est la condition nécessaire et suffisante d’un ajustement satisfaisant. Cette approche est qualifiée ici de positiviste, au sens où comme en science physique, la mesure de caractéristiques bien identifiées (par exemple en mécanique, la masse, la résistance de l’air, la vitesse, etc.) permet de prévoir le comportement d’une réalité (la trajectoire d’un projectile soumis aux lois de la pesanteur).

L’idée d’une conformité entre la personnalité et une activité professionnelle est ainsi présente dès les débuts du conseil en orientation[20]. Cela a répondu à un besoin du monde du travail en plein développement, et qui requérait l’affectation efficace de ressources humaines en entreprise et particulièrement dans l’industrie.

Approche constructiviste

Le contexte de la fin du XXe siècle a amené à envisager d’une façon renouvelée l’orientation[21]. Le monde semble moins prévisible, plus complexe et incertain[22]. La mondialisation de l’économie, le développement rapide des technologies de l’information, et une plus grande instabilité du marché du travail ont ainsi amené à une reformulation des concepts centraux des théories de l’orientation scolaire et professionnelle « afin de les adapter à l’économie postmoderne »[23]. Selon les auteurs, les théories et techniques mobilisées en orientation et qui ont prévalu au XXe siècle sont devenues bien moins pertinentes. L’environnement étant moins stable, plus mouvant ou chaotique, les parcours professionnels eux-mêmes sont devenus moins prévisibles et la détermination des aptitudes et des intérêts semble ne pas suffire à déterminer le choix d’une orientation.  La méta-analyse effectuée par Brown et Krane[24] révèle en ce sens que ces caractéristiques individuelles présentent un pouvoir prédictif limité. Les aptitudes et les intérêts d’une personne ne sont pas immuables, et la causalité linéaire est rare. Il existe plutôt des causalités en interrelation. « C’est la raison pour laquelle nous avons besoin de modèles théoriques mettant l’accent sur la flexibilité humaine, l’adaptabilité et la formation tout au long de la vie »[25]. Bernadette Dumora et Thierry Boy soulignent de la même manière que les modèles théoriques et les méthodes du XXe siècle en orientation ne sont plus aujourd’hui adéquats et que dès lors, il faut « préciser les conditions pour une approche du conseil qui soit idiosyncrasique, évolutive, holistique, proactive et sensible au contexte »[26]. De cette première exigence découle la seconde : la complexité de la vie des individus doit être considérée plus qu’elle ne l’était jadis en conseil en orientation. « La focalisation sur le rôle professionnel occulte la myriade de rôles que l’individu joue dans sa vie et isole donc sa vie professionnelle des autres secteurs de sa vie alors qu’il faudrait élargir le conseil de carrière à l’aide à la construction de soi »[27]. La prise en considération d’un environnement plus instable conduit à théoriser les interactions avec celui-ci, contrairement aux approches précédentes de type traits-facteurs  qui supposent une stabilité de l’individu et une certaine indépendance de ce dernier par rapport à l’environnement : « les valeurs, les intérêts et les inspirations des individus sont considérés comme des composantes personnologiques évoluant en vase clos comme si l’influence des contextes familiaux, communautaire, économique, de genre, ou ethnique était secondaire sinon négligeable »[28]. C’est pourquoi les auteurs préconisent une « construction holistique » des parcours de vie et se méfient également de l’utilisation de profils standardisés.

L’approche constructiviste cherche ainsi à relever le défi d’une orientation dans un monde du travail beaucoup plus changeant.

Savickas et al. insistent sur la notion d’adaptabilité, et conséquemment sur la nécessité de construire un soi en fonction de son environnement. Cette construction n’est plus envisagée selon la seule perspective du travail, mais selon d’autres perspectives comme la vie familiale, ce qui fait qu’il convient plutôt de parler de « parcours de vie » que de choix de carrière. « Nous devons chercher à répondre à la question : comment les individus peuvent-ils construire au mieux leur vie dans la société humaine dans laquelle ils vivent ? Une telle question de recherche souligne immédiatement la nécessité de prendre en compte les activités dans les différents domaines de vie, plutôt que de se limiter au seul travail »[29]. Cette évolution s’explique par ce que « les individus sont maintenant obligés de réfléchir à ce qui a le plus d’importance pour eux »[30], et doivent ainsi arbitrer entre plusieurs orientations possibles en fonction de valeurs. Citant Parker, les auteurs mentionnent des « biens-clés »[31] en reconnaissant que ce sont là des critères de décision essentiels et en précisant qu’ils doivent être examinés « en lien avec le contexte dans lequel ils vivent »[32].

L’approche constructiviste comporte de nombreuses nuances selon les auteurs[33], mais, de façon générale, les modèles constructivistes tentent de relever les nouveaux défis de l’orientation selon une perspective commune : « s’orienter aujourd’hui, c’est « se construire » tout au long de la vie et la psychologie de l’orientation devient nécessairement une psychologie de la construction de soi »[34].

Fondements philosophiques

Il s’agit maintenant d’identifier les fondements philosophiques du constructivisme en orientation, comme a pu l’être le positivisme au fondement de l’approche par traits-facteurs.

Bernadette Dumora et Thierry Boy[35] remarquent que dans l’étude du processus de construction l’accent peut être mis sur le sujet individuel qui interprète sa propre réalité, ou sur la réalité sociale ; la première perspective est celle d’un constructivisme plus psychologique, la seconde est celle du constructionisme[36]. Selon Gergen, « pour les constructivistes, le processus de construction du monde est psychologique; il s’opère « dans la tête ». Pour les constructionnistes au contraire, ce qui est tenu pour vrai est le résultat de relations sociales »[37]. Mais le constructivisme social comme le constructionisme ont des racines philosophiques communes ; ils supposent d’abord une position idéaliste qui nie la possibilité de connaitre la réalité du soi, ou l’existence même d’une essence du soi. Comme le pointe Guichard[38], on peut justifier philosophiquement qu’il n’y a que des représentations construites sur le monde, « des systèmes construits d’interprétation qui « produisent » ce monde et ces phénomènes ainsi pour nous. »

Dumora et Boy relèvent un même rapport au réel :

Le constructivisme est d’abord une posture épistémologique selon laquelle la réalité n’est pas immédiatement reconnaissable mais construite pas l’esprit humain. Le terme de « constructivisme » a été proposé par Piaget dans le cadre de son projet d’épistémologie génétique pour désigner le processus de construction des connaissances qu’il a étudié chez l’enfant, la psychologie de l’enfant n’étant pour lui que le moyen de parvenir à une théorie générale de la construction des connaissances. […] L’interrogation sur l’inaccessibilité immédiate du réel s’enracine dans une longue tradition[39].

Cette longue tradition trouve peut-être son expression la plus achevée chez Kant[40] qui par sa fameuse distinction du phénomène et du noumène, et conjointement l’impossibilité de connaitre ce dernier, défend la thèse de l’idéalisme transcendantal : la chose en soi est de façon générale inconnaissable. Toute métaphysique de l’être est impossible.

Aux analyses ci-dessus, il faut aussi ajouter que le constructivisme se nourrit d’un existentialisme de type sartrien, pour lequel il n’y a pas d’essence donnée pour l’homme qui au contraire se fait par ses actes[41]. Il n’y a pas chez Sartre l’idée d’un phénomène qui révèlerait dans son apparaître même un être caché avec une essence et une nature. L’apparence est l’essence. Il n’y a donc pas de potentialités qui pourraient être révélées par l’action.  « Du même coup va tomber la dualité de la puissance et de l’acte. Tout est acte »[42]. Guichard distingue ainsi le constructivisme du développement personnel qui suppose que des potentialités sont déjà inscrites dans l’individu qui a la responsabilité de les déployer. Le constructivisme social suppose au contraire que les interactions avec des contextes sociaux engendrent des formes identitaires subjectives dans lesquels l’individu se construit et s’anticipe. Et cette construction résulte d’interactions avec un contexte social : ces recherches en orientation de carrière présentent ainsi une profonde similitude avec l’école de Palo Alto et des auteurs comme Bateson et Watzlawick, qui affirment de la même façon l’impossibilité de connaitre le réel et la même perspective existentialiste : « la réalité, dans une très large mesure, est ce que nous la faisons. Les philosophes existentialistes proposent une relation entre l’homme et son monde qui a beaucoup d’analogies : ils voient l’homme comme jeté dans un monde opaque, informe et absurde, et c’est à partir de là que l’homme se crée sa situation. Sa manière propre « d’être-au-monde » résulte donc de son choix ; c’est le sens que, lui, donne à ce qui, selon toute vraisemblance, se situe hors de la compréhension objective de l’homme »[43].

Insuffisance des approches traits-facteurs et constructiviste

L’approche constructiviste, par la proactivité qu’elle préconise, valorise assurément l’affirmation du sujet dans une démarche réflexive et le met en situation d’être décideur ; elle prend acte de la réalité changeante du monde du travail et plus largement d’une diminution des repères institués dans la société. Elle n’enferme pas l’individu dans des standards, ce que risquait d’induire l’approche traits-facteurs, mais elle est susceptible au contraire d’ouvrir de multiples possibilités à une liberté créatrice, ce qui induit chez le conseiller en orientation une attitude bien plus ouverte à l’imprévu et à l’étonnement devant la personne qu’il accompagne et qui n’est jamais prévisible. Si le constructivisme tente de relever des défis suscités par un contexte socio-économique bouleversé, ce que l’approche traits-facteurs n’est pas en mesure de faire, des difficultés d’ordre théorique peuvent cependant être notées.

La première difficulté relevée est l’absence de prise en considération explicite de l’ajustement entre l’activité professionnelle envisagée et la personne elle-même, ce que tente au contraire l’approche traits-facteurs. Le sujet est invité à s’adapter et à construire son parcours en tenant certes compte de son histoire et de ses multiples représentations de soi. Cela lui permet de cartographier son système de formes identitaires subjectives (FIS)[44] mais, semble-t-il, il n’est pas sollicité pour examiner en lui-même, ce qui lui correspond comme personne. Il peut certes être invité à identifier par exemple ses « biens-clés »[45], ou une FIS anticipée qui lui permet de se projeter dans l’avenir. Mais cette démarche n’est pas censée révéler quelque chose de la personne elle-même. Si l’approche constructiviste peut proposer des modèles d’entretien[46], qui aident le consultant à construire une orientation, le constructivisme comme théorie ne semble pas fonder les pratiques qu’il préconise. La construction de soi présuppose en effet qu’il n’y a pas un « déjà-là », c’est-à-dire quelque chose (ou plutôt quelqu’un) qui n’est pas à construire mais à découvrir. Pourtant comment se fait-il que cette valeur plutôt qu’une autre soit un « bien-clé » pour cette personne ? Pourquoi trouve-t-elle écho en elle et pas une autre ? La reconnaissance d’un « bien-clé » passe par la prise de conscience de quelque chose en soi qui préexiste[47] et qui n’est pas construit par la décision ; et qui pourtant détermine de façon décisive l’orientation du sujet. Autrement dit, les préconisations pratiques (par exemple, « découvrir ses biens-clés ») ne sont pas assumées par la théorie qui pourtant les formule. Dans le processus de discernement d’une orientation, se joue un va-et-vient entre l’examen d’une possibilité extérieure (telle profession, tel projet, telle opportunité, tel poste, etc.) et la personne elle-même. La réflexivité préconisée par l’approche constructiviste se fait sur fond de l’intériorité de la personne qui n’est pas une entité indifférenciée[48]. Ces quelques remarques suggèrent ainsi de réintroduire les concepts d’ajustement ou de congruence comme critère de discernement d’une adaptation pas seulement à l’environnement, mais à la réalité de la personne telle qu’elle s’éprouve en son for intérieur. Le processus de discernement devrait alors intégrer l’attention à une résonnance intérieure pour identifier ce qui peut orienter la personne, au mieux des situations dans lesquelles elle est placée. Il est ici proposé de reprendre le mot de congruence employé par Holland pour désigner la conformité[49] entre une activité professionnelle et la personne elle-même, mais il s’agira de la penser à nouveaux frais et de façon élargie.

Une autre difficulté doit être relevée. Notre monde qualifié de post-moderne est caractérisé par la disparition de repères communs évidents et stables, grâce auxquels chaque individu pouvait jusqu’alors plus facilement s’orienter et se projeter à long terme. Les métiers évoluaient peu, et il était alors plus aisé d’apparier un individu et un emploi selon certaines dimensions stables (aptitudes, valeurs, intérêts, etc.). Des changements de l’environnement économique, de l’organisation du travail, et des représentations du sujet ont peu à peu amené à une « société liquide » décrite par Zygmunt Bauman. Celle-ci rend l’individu plus esseulé ; les acteurs doivent choisir de façon autonome. Mais où trouver alors les raisons de choisir telle orientation plutôt que telle autre ? « Contrairement aux corps solides, les liquides ne peuvent pas conserver leur forme lorsqu’ils sont pressés ou poussés par une force extérieure, aussi mineure soit-elle. Les liens entre leurs particules sont trop faibles pour résister… Et ceci est précisément le trait le plus frappant du type de cohabitation humaine caractéristique de la « modernité liquide » »[50]. Si l’environnement social ne donne plus de repères solides, le sujet peut-il encore s’orienter ? Ou alors ne faut-il pas pour cela qu’il interroge une boussole qui serait en lui, et non plus dans la société, puisque celle-ci ne lui offre plus de repères stables ? Mais une telle boussole pourrait-elle exister dans un sujet complètement indéterminé qui serait lui aussi liquide ? Un tel sujet peut-il trouver en lui ce dont il a besoin pour s’orienter ? N’est-il pas même contraint de prendre la forme du contenant, c’est-à-dire de la société qui l’environne ? Comme le liquide qui prend la forme du récipient, le sujet ne risque-t-il pas finalement de se laisser déterminer par des injonctions économiques et sociales, en réagissant perpétuellement aux contraintes du milieu, pour s’y adapter et y être le plus performant possible ? Ce n’est très probablement pas l’objectif des auteurs constructivistes évoqués plus haut qui prennent simplement acte de l’évolution sociale et se demandent comment il est possible d’aider à l’orientation dans un contexte post-moderne et de s’y adapter, mais là encore, il semble que la théorie n’est pas capable de fonder la pratique qu’elle préconise.

Une autre difficulté est d’ordre métaphysique. Dans la perspectiviste constructiviste le soi se construit sans cesse : « le concept de soi des personnes peut être modifié par de nouvelles expériences ou même, parfois, simplement par l’observation des autres. Leurs intérêts ne sont jamais complètement fixés et le soi est en perpétuelle construction »[51]. Et assurément, une personne évolue sans cesse au gré des événements de la vie, de ses choix et de l’environnement qu’elle côtoie. Mais ceci n’implique pas que le soi ne possède pas une unité et conjointement une singularité ontologique qui personnaliserait le processus même de construction. En effet, à supposer même avec les constructivistes que des soi multiples se construisent dans le temps, il n’en reste pas moins que c’est la même personne qui se construit, et la variété de ses soi successifs qui apparaissent dans le temps, selon des contextes eux-mêmes variés, ne peuvent apparaître que sur fond d’un soi ontologique qui assure l’unité de la personne au cours du temps. L’articulation de l’unité ontologique du soi et de la multiplicité de ses constructions permet d’avancer une hypothèse différente du constructivisme pur. Si chacun doit s’adapter dans un monde particulièrement complexe et changeant, et ainsi se construire en s’adaptant à ses contextes de vie, il n’en reste pas moins que ces adaptations construites s’élaborent par un soi qui n’est pas une pure indétermination mais qui, bien que se constituant aussi par et dans son histoire, peut imprimer sa marque de façon personnelle à ce qu’il construit.

Les changements remarqués du contexte socioéconomique déjà plusieurs fois évoqués ont rendu moins pertinente l’approche traits-facteurs, et l’approche constructiviste tente ainsi de relever le défi de l’adaptabilité individuelle dans un monde de plus en plus changeant. L’approche constructiviste de l’orientation met l’accent sur la proactivité du sujet et la singularité de son parcours, mais il ne nous a pas semblé qu’elle soit attentive, comme théorie, à la reconnaissance éventuelle de ce qui pourrait être appelé l’expression de la singularité de la personne, comme être unique. Si la personne est sollicitée pour s’adapter aux changements perpétuels du monde contemporain en étant proactive et créative, elle ne semble pas invitée d’abord à être attentive à ce qui la constitue en propre, pour rechercher dans ce monde ce qui pourrait lui convenir. Bref, l’approche constructiviste ne thématise pas la congruence comme guide pour discerner une orientation professionnelle adaptée à la personne. Elle recherche assurément à relever le défi de l’orientation professionnelle dans un contexte différent de celui qui a vu l’émergence et le développement des théories traits-facteurs ; elle facilite l’émergence de parcours singuliers dans une période où les carrières toutes tracées disparaissent ; mais elle ne se réfère pas explicitement dans sa théorie, sinon peut-être dans sa pratique, à l’attention qu’il conviendrait de porter à l’expression de la personne, et à la façon dont celle-ci résonne à l’évocation d’une orientation professionnelle. L’approche constructiviste n’intègre donc pas ce que nous avons nommé la congruence avec la personne.

L’hypothèse qui sera explorée dans la suite de cet article est que le sujet n’est pas liquide, qu’il est d’abord une personne avec une forme propre, une singularité dont il faut tenir compte pour s’orienter, et qu’il peut être un repère (parmi d’autres) pour faire un choix d’orientation avisé, qui engage le sujet comme personne unique et singulière. Les propos qui suivent tentent de fonder cette perspective personnaliste.

Eléments pour une fondation personnaliste de l’orientation

Caractéristiques générales du personnalisme

La présentation ci-dessous d’une approche personnaliste ne prétend pas être la seule possible. Comme l’affirme Emmanuel Mounier[52] lui-même, il n’y a pas un mais des personnalismes[53]. Lee[54] repère au XXe siècle trois principaux centres européens du personnalisme : Paris, Munich et Lublin, représentants d’influences philosophiques variées. Tous ont en commun d’affirmer « l’existence de personnes libres et créatrices »[55], qui sont considérées comme des sujets. Comme l’affirme Joseph Lee[56] : « un principe essentiel commun du personnalisme est que l’être humain étudié par les sciences est également un  » je  » »[57] (traduction libre). Il ne s’agit pas ici de se référer à une mouvance particulière du personnalisme, ni même de renoncer à se référer à des auteurs qui ne seraient habituellement pas réputés personnalistes, ce qui est d’ailleurs conforme à la conception du plus célèbre d’entre eux en France, Emmanuel Mounier, qui étend le personnalisme à un courant philosophique bien plus large :

Ce qu’on appelle aujourd’hui personnalisme n’est rien moins qu’une nouveauté. L’univers de la personne, c’est l’univers de l’homme. Il serait étonnant que l’on eût attendu le XXe siècle pour l’explorer, fût-ce sous d’autres noms. Le personnalisme le plus actuel se greffe (…) sur une longue tradition.[58]

Les auteurs évoqués ci-dessous ne sont pas tous considérés d’emblée comme personnalistes, mais concourent à préciser une approche personnaliste de l’orientation, c’est-à-dire une approche de l’orientation des personnes, considérées comme des êtres singuliers et uniques, bien que de nature humaine ; sujets libres avec un caractère propre, en même temps qu’enracinés dans une histoire et engagés dans une société toujours particulière qui comporte des défis et des combats propres à une époque.

Trois aspects d’une approche personnaliste de l’orientation seront ici présentés. Ils permettront, en guise de conclusion, de faire apparaître les similitudes et les divergences d’avec les approches traits-facteurs et constructiviste.

La congruence d’un point de vue personnaliste

Si la congruence n’est pas une notion habituellement convoquée en philosophie, il n’en reste pas moins que l’idée d’une adéquation entre ce qu’est la personne et ce qu’elle fait ou d’abord décide est bien présente. Des philosophies personnalistes de l’intériorité se préoccupent du discernement d’une adéquation entre ce que je suis profondément et ce que j’envisage d’entreprendre.

La notion de soi souvent convoquée par les constructivistes n’est pas non plus commune en philosophie, et en tout cas moins qu’en psychologie. La notion de personne lui est souvent préférée. La personne désigne un être qui a une unité ontologique (Boèce), par-delà ses multiples états ou ses transformations dans le temps. C’est d’abord une substance[59], c’est-à-dire un être qui se tient là, qui est un « étant » ayant son unité propre, mais qui est doué de raison. Cette rationalité lui donne d’avoir une vie intérieure par la réflexivité qui est induite par la raison elle-même : je sais et je sais que je sais ; j’aime et je sais que j’aime ; je raisonne et je réfléchis à la façon dont je raisonne etc. Toute personne porte ainsi un monde intérieur. Sa rationalité lui donne aussi de pouvoir agir comme sujet libre et de se retrouver ainsi dans l’acte qu’elle accomplit. Elle en est responsable. Elle peut en effet en répondre car elle sait pourquoi elle agit ainsi, et elle se sait auteur en même temps qu’acteur. Par ailleurs, la notion de personne, bien qu’incluant la notion de sujet (elle est ce qui agit librement), et étant un être unique et singulier, présente des caractéristiques objectives. Elle a une nature. La personne, comme être subsistant, concentre plusieurs dimensions[60] : matérielle et organique (elle a ou même elle est un corps), animale (elle est douée d’une vie sensible, d’une affectivité) et spirituelle (elle a une intelligence lui permettant de connaitre ce qui n’est pas sensible, et une volonté, capable de choisir ce qui peut aussi dépasser la sensibilité).

D’un point de vue philosophique, on peut dire que le soi est la personne mais avec au moins deux nuances : le soi peut désigner le cœur même de la personne, ce qui en constitue le « noyau de l’âme »[61] ou aussi la personne en tant qu’elle s’approprie elle-même et qu’elle se sait elle-même unique et inaliénable, différente du monde dans lequel elle s’insère, et entretenant un rapport singulier avec tout ce qui la constitue : son corps, ses affections, ses émotions, son histoire, et les relations qu’elle entretient avec autrui. Aussi, penser la congruence de soi en philosophie consiste à examiner si la personne, telle qu’elle s’approprie elle-même, dans son irréductible singularité, tout au long de son histoire, se sent ajustée à ce qu’elle fait.

Cela signifie a contrario que la personne peut agir en étant à côté d’elle-même, ne se reconnaissant pas vraiment dans ce qu’elle fait, en jouant par exemple un personnage, ou en empruntant à des mobiles superficiels des raisons d’agir qui l’éloignent alors de son soi, de ce qu’elle est vraiment.  C’est pourquoi la congruence passe par un effort d’authenticité qui suppose de se découvrir en vérité. Lavelle[62] parle ainsi de sincérité qui « exige qu’au-delà de tous les plans superficiels de la conscience, où ne nous faisons qu’éprouver des états, nous pénétrions jusqu’à cette région mystérieuse ou naissent ces désirs profonds et consentis qui donnent à toute notre vie son point d’attache avec l’absolu. » Cette région mystérieuse semble désigner le lieu propre de la personne qui est vu comme une source, et à laquelle il faut tenter de s’abreuver pour devenir vraiment soi-même. Elle est le lieu même de l’exercice de la liberté, qui n’est autre qu’une libération du soi des motifs qui le dispersent : « Le propre de la sincérité, c’est de m’obliger à être moi-même, c’est-à-dire à devenir moi-même ce que je suis. Elle est une recherche de ma propre essence, qui commence à s’adultérer dès que j’emprunte au dehors des motifs qui me font agir »[63]. Ainsi l’essence du soi pour Lavelle n’est pas comme celle d’une chose, stable et définie ; elle est dynamique car elle dépend de l’actualisation des puissances constitutives du soi qui suggèrent à la liberté une orientation authentique. Elle est une conquête sans cesse à faire de soi sur soi. « La sincérité est donc un acte indivisible de rentrée en soi et de sortie en soi, une quête qui est déjà une découverte (…). Elle est le trait d’union entre ce que je suis et ce que je veux être »[64]. Bref le soi détient en lui, sous la forme d’une promesse, le secret de la vocation. Mais si on comprend en quoi le soi peut se disperser, il faut approfondir ce que Lavelle entend par cette « région mystérieuse » de l’intériorité.

Deux pistes seront ici explorées ; l’une se fonde sur l’affirmation que la personne a un caractère propre, une partie d’elle-même qui est « déjà-là » et qu’elle ne fait pas ; et qu’il convient de se l’approprier et d’y consentir pour agir de façon congruente. L’autre piste s’apparenterait plus à ce que Lavelle a appelé « l’absolu », et qui peut être interprété ici comme la finalité ultime à laquelle une personne souhaite s’ordonner, et qui se retrouverait, de façon là aussi congruente, dans sa mission fondamentale et personnelle : l’idée de vocation.

Penser le « déjà-là »

Ce qui a été rapporté plus haut à propos de la personne manifeste une façon singulière et unique d’exister avec un caractère propre, et aussi une nature qui n’est pas construite, mais reçue, et qui pourtant est constitutive de la personne. Ce caractère qui est reçu, et que je ne fais pas, constitue-t-il une négation de la liberté ? Ricœur souligne l’omniprésence du caractère dans tout ce que je suis, mais aussi fais et pense : « mon caractère n’est pas seulement mon signalement hors de moi, mais ma nature adhérant à moi-même, si proche de moi que je ne peux me l’opposer, voire comme une part inférieure de moi-même »[65]. Il est constitutif de moi-même. « Sa marque est sur les décisions même que je prends, dans la façon dont je fais effort, comme dans ma manière de percevoir, de désirer. Il m’affecte dans ma totalité. Démarche, gestes, inflexions de la voix, écriture, etc. sont des indices de cette omniprésence[66] du caractère jusque dans la conduite de mes pensées »[67]. On ne peut pas concrètement dissocier le caractère et la liberté bien qu’il faille les distinguer. L’esprit, qui rend possible la liberté, et qui fait que la personne n’est pas strictement conditionnée par un caractère à choisir telle ou telle orientation possible, est toujours incarné, et se manifeste dans et par un caractère, qui est donné, et qui en ce sens est dit naturel. Mon caractère est constitutif de ma singularité irréductible. Il « adhère à moi (il n’est pas une fiche anthropométrique qui peut circuler de main en main), il est une totalité concrète (et non une combinatoire de traits isolés et abstraits), il est cet individu que je suis »[68]. Bien que les psychologues puissent l’analyser et le décrire selon des caractéristiques distinctes, objectives et universelles (et donc partagées par d’autres individus), comme le préconise l’approche traits-facteurs, mon caractère existe comme un tout singulier, constitutif de ma personne. A tel point que « changer mon caractère, ce serait proprement devenir un autre, m’aliéner ; je ne peux me défaire de moi-même. Par mon caractère je suis jeté situé, jeté dans l’individualité ; je me subis moi-même comme individu donné[69] »[70]. Ces analyses vont à l’encontre d’une compréhension positiviste de l’individu mais aussi du sujet auto-construit des constructivistes pour qui le sujet n’est constitué par aucune forme donnée par une nature pré-formative. Et précisément, si ce caractère me constitue et m’est donné comme une nature que je ne peux éviter, qu’en est-il de ma liberté ?  Ricœur ajoute en même temps : « Je pressens que liberté et destin ne sont pas deux règnes juxtaposés, l’un commençant ici et l’autre là, mais que ma liberté est partout et impose sa marque à ma santé elle-même. Je devine (…) que mon caractère dans ce qu’il a d’immuable n’est que la manière d’être de ma liberté »[71]. Pour Ricœur, le caractère n’annihile pas la possibilité de la liberté, mais affecte la façon dont la liberté va s’engager dans tel ou tel possible. « J’ai une façon à moi de choisir et de me choisir que je ne choisis pas »[72]. Mais le choix, qui implique intelligence et volonté, est bien libre, car ces deux facultés ne sont pas aliénées par la présence du caractère. C’est plutôt celui-ci qui peut être variablement assumé par la volonté et la liberté : « Je dois croire d’abord à ma responsabilité totale et à mon initiative illimitée, et accepter ensuite de ne pouvoir exercer ma liberté que selon un mode fini et immuable »[73]. De même, l’intelligence, bien que liée à un caractère, peut toujours interroger ce qu’elle pense, et n’est en ce sens pas enfermée par le caractère : « Le caractère, c’est toujours ma manière propre de penser, non ce que je pense »[74]. Or c’est bien ce que je pense qui oriente mes choix, non ma manière de penser.

L’analyse de Ricœur laisse apparaître que mon caractère n’empêche certes pas ma liberté, mais peut indiquer une façon particulière d’être au monde (notamment par le travail) et de m’y réaliser. Mon caractère désigne en moi ce qui me constitue et que je ne peux changer, et à quoi il convient par conséquent de consentir : « Je me tromperais fort si je me proposais de changer mon caractère : je ne puis le connaitre pour le modifier, mais pour y consentir »[75].  Le consentement est d’ailleurs un acte de liberté, et n’est pas un renoncement qui m’inciterait à ne faire aucun effort, considérant que tout est joué par ce caractère que je suis et que je n’ai pas décidé. Dans l’articulation entre le caractère et la liberté au sein même de l’acte du consentement se dessine même pour Ricœur une orientation de vie : « Une liberté située par le destin d’un caractère auquel elle consent devient une destinée, une vocation »[76].  Le discernement d’une congruence entre telle ou telle activité professionnelle et ce que je suis précède ainsi l’esquisse de la vocation. L’homme qui se connait bien et assume son caractère comme partie intégrante de lui-même, sait bien qu’il n’est pas que son caractère mais qu’il ne peut en faire fi. Dans un acte d’intuition qui rassemble la connaissance qu’il a de lui-même, il anticipe, au moment de la décision d’orientation, si le milieu dans lequel il a la possibilité de travailler, et aussi le type d’activité, lui conviendront. Si toute décision suppose une anticipation, la décision d’orientation professionnelle a ceci de particulier qu’elle requiert l’anticipation d’une congruence entre l’activité et l’environnement d’une part, et le caractère d’autre part.

L’idée de vocation

Mais que désigne plus précisément ce que Ricœur appelle la vocation et comment peut-elle émerger ?

Pour Edith Stein, le Soi est d’abord esprit, c’est-à-dire « ce qui possède une intériorité[77] en un sens tout à fait non-spatial et qui demeure en lui, tout en sortant de lui-même »[78]. Il est non-spatial puisque non-matériel, et possède une intériorité parce qu’il est capable précisément, et à la différence des sens, de revenir sur lui-même, mais peut aussi bien que les sens sortir de lui-même, en visant intentionnellement des objets extérieurs. Cette réflexivité permet la liberté. L’homme, comme personne spirituelle, « est porteur de sa vie au sens éminent de la tenir personnellement en main. Toutefois, il ne fait pas usage entièrement de sa liberté, mais il s’abandonne en une large mesure au devenir ou à ses tendances comme un être sensible »[79]. Cette possibilité de la liberté n’est effective que dans l’engagement concret dans l’acte libre, ce qui n’est sans doute pas possible à chaque instant de sa vie, mais qui l’est dans la mesure où la personne se situe délibérément comme sujet. Mais l’esprit, bien que libre et en ce sens créateur, ne peut créer que parce qu’il a lui-même une certaine détermination, ce qui rejoint ici l’idée de caractère développée par Ricœur. Il n’existe pas n’importe comment : il est un esprit humain qui a à se positionner face aux sollicitations du monde. Et c’est dans ce double mouvement de visée du monde à l’extérieur du soi, et de retour vers ce soi dans l’acte réflexif de l’esprit qu’il peut discerner la congruence recherchée. Le soi n’est pas alors soumis, comme l’animal, aux seules lois de la nature : « Aucun être libre et spirituel n’est entièrement enclos dans le royaume de la nature. La liberté de se soustraire au jeu naturel des réactions […] en porte témoignage. […] Un être libre a la possibilité de s’en dégager et de voir au-delà de sa sphère naturelle »[80].

Mais comment se fait alors un choix d’orientation ? C’est ici qu’intervient la conscience, en tant que manifestation de la réflexivité de l’esprit, dans l’activité du discernement. La conscience est cet œil de l’esprit qui assure un va-et-vient entre l’âme et l’action pour examiner si celle-ci est ajustée à celle-là, et discerner ainsi une éventuelle congruence.

Dans son intériorité l’âme se rend compte de ce qu’elle est et, d’une façon obscure et ineffable qui lui présente le mystère de son être en tant que mystère, sans le lui découvrir entièrement. D’ailleurs elle porte dans son quod la détermination de ce qu’elle doit devenir[81] : par l’intermédiaire de ce qu’elle reçoit et de ce qu’elle fait. Elle se rend compte de la compatibilité ou de l’incompatibilité de ce qu’elle accueille en elle avec son être propre, si ses actions vont ou non dans le sens de son être[82].

Il s’agit maintenant d’esquisser ce que revêt concrètement ce discernement de ce que Stein appelle la « compatibilité », et qui correspond ici à la congruence. Emmanuel Housset[83], ajoute la notion de mission, avec le concept « d’identité d’exode » qui permet d’articuler la visée d’une finalité qui transcende la personne (sa mission qui la sort d’elle-même et donne sens à son existence) et la personne elle-même. La perspective de Housset tente d’allier dans cet effort de compréhension de la notion de vocation, une perspective métaphysique de l’être de la personne avec une perspective phénoménologique dont l’intentionnalité est un concept central. Ainsi Housset reprend-il l’idée, déjà présente chez Stein par exemple, selon laquelle « la personne humaine n’est pas d’abord ce qu’elle se donne à elle-même, mais elle est donnée »[84]. Et ainsi « l’homme n’est lui-même qu’à transmettre, qu’à communiquer ce qui lui a été donné, et telle est sa liberté finie »[85]. On retrouve ici une similitude avec la pensée de Ricœur, et une différence fondamentale d’avec la perspective de l’existentialisme sartrien. Mais, ajoute Housset, si « la vocation de la personne ne s’oppose pas à l’essence de l’âme, elle n’est pas non plus seulement contenue dans l’essence de l’âme, mais elle est ce qui rend possible le déploiement de cette essence en lui donnant la forme d’un don de soi »[86]. Pourquoi cette notion de don de soi, et en quoi est-elle pertinente ici pour penser la notion de congruence dans le cadre de l’orientation professionnelle ? C’est que le travail doit être vu dans une perspective collective. Il prend son sens dans le service qu’il permet et qui le rend utile pour d’autres personnes ou d’autres communautés au sein de la société. La description de l’activité n’est ainsi pas suffisante. Une célèbre parabole en rend bien compte, celle des trois tailleurs de pierre. A chacun est posée la question : « Que fais-tu ? ». Le premier répond : « Je taille des pierres » ; le second : « Je réalise le mur que mon contremaître m’a demandé d’élever » ; et le troisième : « Je construis une cathédrale ». Les trois répondent de façon sensée, mais différemment, alors que d’un point de vue objectif, ils font exactement le même travail. Mais il est évident que la réponse du troisième intègre la perspective de la finalité, et que son travail a ainsi subjectivement une signification claire et stimulante, qui au-delà de la pénibilité de la tâche, lui permet de se réaliser comme personne qui s’ordonne librement à une œuvre qui le dépasse et qui donne sens à son existence. Ainsi, ce que vise la personne d’un point de vue subjectif quand elle se donne à son travail peut être l’objet d’un don de soi, et partant, d’une réalisation de soi, ceci sous-entendant que la personne est un être de relation qui ne se trouve qu’en se donnant à autre chose que lui-même. Si la personne sait quelle finalité elle poursuit, et y reconnait une mission dans laquelle elle s’accomplit, il ne s’agit pas seulement d’avoir une activité conforme à certains traits de personnalité, mais il s’agit de sortir de soi en s’ordonnant à une finalité qui donne du sens à l’existence même. En conséquence « notre véritable identité est bien une identité d’exode et la mission unique de chaque personne est à la fois ce qui assure sa distinction et son unité avec les autres personnes : elle est le propre en nous, c’est-à-dire ce qui est autre que la nature à laquelle il est attaché, et ce qui est pourtant inséparable d’elle dans la mesure où il est ce qui l’accomplit »[87]. La congruence réside ainsi dans la reconnaissance intime d’une finalité à laquelle la personne s’ordonne, qui donne sens à son existence, et qui peut être appelé une vocation, une mission, ou une vision[88]. Ainsi la congruence n’est-elle pas seulement ce qui convient à mon caractère, mais est aussi ce qui désigne un lien intime et existentiel de la personne comme sujet avec la finalité d’une activité professionnelle dans laquelle elle reconnait un sens qui lui convient et qui donne sens à son existence.

Conclusion : intégration et dépassement des approches traits-facteurs et constructiviste par le personnalisme

L’approche personnaliste se distingue ainsi nettement des approches traits-facteurs et constructiviste de l’orientation. Elle est cependant capable d’intégrer en son sein les préoccupations des deux. Comme l’approche traits-facteurs, elle considère que la personne n’est pas une réalité sans consistance et « liquide », malléable par le pouvoir seul de la liberté selon une exigence d’adaptabilité. La personne présente toujours un « déjà-là » et des caractéristiques propres qui révèlent une part de sa singularité. Les tests de personnalité utilisés par les conseillers en orientation peuvent d’ailleurs aider à la connaissance et à l’appropriation de soi par la dénomination de ces traits de personnalité.

Comme l’approche constructiviste, l’approche personnaliste considère d’une part que l’utilisation de profils standardisés est largement insuffisante, et d’autre part que le choix d’orientation nécessite une prise en compte des changements du contexte socio-économique et s’inscrit aussi dans une histoire personnelle ; et celle-ci inclut de multiples dimensions qui ne sont pas que professionnelles. Enfin, les nombreuses préconisations pratiques inventées par les chercheurs sont assurément les bienvenues pour aider à s’orienter dans un monde mouvant et complexe, et l’approche personnaliste peut les faire siennes.

Cependant la vision personnaliste modifie le regard porté sur l’orientation. Elle invite à être attentif au monde intérieur qui indique des promesses de développement de la personne elle-même. Si « l’homme n’est rien d’autre que ce qu’il se fait »[89], il n’a pas d’abord à être attentif à ce monde intérieur, mais au projet qui le fait seul exister. Il risque d’être toute extériorité.  L’existentialisme sartrien qui sous-tend le constructivisme n’est pas attentif au mystère de la personne ; pour lui, l’homme ne se révèle pas alors à lui-même, il se construit et s’adapte aux situations. Le personnalisme considère au contraire la personne comme un mystère à découvrir. L’attention à cette révélation progressive et probablement sans fin de la personne se noue dans l’identification d’une congruence au moment d’une décision d’orientation. La personne se révèle alors peu à peu à elle-même par ses choix et ses expériences, en même temps qu’elle peut s’engager comme auteur par son travail dans le monde socio-économique tel qu’il est devenu. Cela permet seul au sujet de garder une boussole malgré les injonctions de plus en plus contraignantes du marché.

Ces quelques pages sont finalement comme une invitation à envisager la recherche en orientation avec un regard renouvelé sur la personne humaine, mystère qui ne peut se laisser approcher que par une attention à l’intériorité personnelle et qui inspire secrètement les décisions qui engagent dans le monde : « cela ressemble plus qu’à rien d’autre à un appel silencieux, dans une langue que notre vie se passerait à traduire[90]. ».

Bibliographie

Brown, S. D., Ryan Krane. Four (or five) sessions and a cloud of dust: Old assumptions and new observations about career counseling. In S. D. Brown & R. W. Lent (Eds.), Handbook of counseling psychology (3rd ed., pp. 195–226). New York, Wiley, 2000.

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Pour citer cet article
Référence électronique : Bertrand Senez, « Fondement personnaliste de l’orientation ; Éléments théoriques pour une discussion des approches traits-facteurs et constructiviste en orientation », Educatio [En ligne], 13| 2022. URL : https://revue-educatio.eu

Droits d’auteurs
Tous droits réservés

[1] Enseignant-chercheur en philosophie et directeur du développement à l’Ircom. A été directeur de l’Institut Albert le Grand de 1999 à 2022. PhD en Education de l’Université de Sherbrooke et doctorat en Education, Carriérologie et Ethique de l’Université Catholique de l’Ouest. Membre du GRACE et du CIRPaLL (Université d’Angers).

[2] Parsons, F., Choosing a vocation. Boston, Houghton Mifflin Co, 1909.

[3] Bujold, C., et Gingras, M. Choix professionnel et développement de carrière : Théories et recherches. Montréal, Gaëtan Morin, 2000.

[4] « In the wise choice of a vocation there are three broad factors : (1) a clear understanding of yourself, your aptitudes, interest, ambitions, resources, limitations, and their causes ; (2) a knowledge of the requirements and conditions of success, advantages and disadvantages, compensation, opportunities, and prospects in different lines work ; (3) true reasoning on the relations of these two groups of facts » Parsons, F., Choosing a vocation. Boston, Houghton Mifflin Co, 1909, p. 5.

[5] Guichard, J., et Huteau, M. (2001). Psychologie de l’orientation. Paris, Dunod, 2001, p 34.

[6] Ibid.

[7] « Occupational choice can be predicted because objective truth can be obtained through the fixed, correct answers to questions on interest inventories, which can then be matched to the world of work Burns, S. T., Savickas, M. L., et Walsh, W. B., Person matching for career exploration and choice. In APA Handbook of Career Intervention, Vol. 2. Applications. P. J. Hartung, 2015, p. 11.

[8] Ainsi Burns et al. concluent-ils : « An occupational group’s characteristic interests presumably factor into the selection of that occupation and provide a working environment in which those interests may be satisfied » (Ibid., p. 12).

[9] Guichard, J., et Huteau, M., Orientation et insertion professionnelle : 75 concepts clés, Paris, Dunod, 2007

[10] Dawis, R. V., et Lofquist, L. H., A psychological theory of work adjustment : An individual-differences model and its applications, Minapolis, University of Minnesota Press, 1984.

[11] Guichard, J., et Huteau, M., Orientation et insertion professionnelle : 75 concepts clés, Paris, Dunod, 2007, p. 40.

[12] Bujold, C., et Gingras, M., Choix professionnel et développement de carrière : Théories et recherches, Montréal, G. Morin. 2000, p. 3.

[13] Ou les deux voire trois types de personnalité dominants.

[14] Ibid. p. 32

[15] Ibid. p. 62

[16] Super, D. E., La psychologie des intérêts, Paris, Presses universitaires de France, 1964.

[17] Super, D. E., Career development, self-concept theory : Essays in vocational development, New-York, College Entrance Examination Board, 1963, p. 19.

[18] Super, D. E., La psychologie des intérêts, Paris, Presses universitaires de France, 1964.

[19] Guichard, J., et Huteau, M. (2001). Psychologie de l’orientation, Paris, Dunod, 2006.

[20] Appelé « counseling de carrière » au Québec.

[21] Savickas, M. L., Nota, L., Rossier, J., Dauwalder, J.-P., Duarte, M. E., Guichard, J., Soresi, S., Esbroeck, R. V., Vianen, A. E. M. van, et Bigeon, C., Construire sa vie (Life designing) : Un paradigme pour l’orientation au 21e siècle, 2010, L’orientation scolaire et professionnelle, 39/1, 5‑39. https://doi.org/10.4000/osp.2401

[22] Dumora, B., et Boy, T., Les perspectives constructivistes et constructionnistes de l’identité (1ère partie). L’orientation scolaire et professionnelle, 37/3, 2008, 347‑363. https://doi.org/10.4000/osp.1722 ; Savickas, M. L., Nota, L., Rossier, J., Dauwalder, J.-P., Duarte, M. E., Guichard, J., Soresi, S., Esbroeck, R. V., Vianen, A. E. M. van, et Bigeon, C., Construire sa vie (Life designing) : Un paradigme pour l’orientation au 21e siècle, 2010, L’orientation scolaire et professionnelle, 39/1, 5‑39. https://doi.org/10.4000/osp.2401 ; Pryor, R., et Bright, J., The chaos theory of careers : A new perspective on working in the twenty-first century, New-York, Routledge, 2011 ; Rezanson, L., Hopkins, S., et Neault, R. A. 2. Career Guidance and Counselling in Canada : Still Changing After All These Years. Le counseling et l’orientation professionnelle au Canada: toujours en évolution après toutes ces années, 2016, 50(3), 219‑239.

[23] Savickas, M. L., Nota, L., Rossier, J., Dauwalder, J.-P., Duarte, M. E., Guichard, J., Soresi, S., Esbroeck, R. V., Vianen, A. E. M. van, et Bigeon, C., Construire sa vie (Life designing) : Un paradigme pour l’orientation au 21e siècle, 2010, L’orientation scolaire et professionnelle, 39/1, 5‑39. https://doi.org/10.4000/osp.2401, p. 4.

[24] Brown, S. D., Krane, R., Four (or five) sessions and a cloud of dust: Old assumptions and new observations about career counseling. In S. D. Brown & R. W. Lent (Eds.), Handbook of counseling psychology (3rd ed., pp. 195–226). New York, Wiley, 2000.

[25] Ibid., p. 196.

[26] Dumora, B., et Boy, T., Les perspectives constructivistes et constructionnistes de l’identité (2e partie). L’orientation scolaire et professionnelle, 2008, 37/3, 365‑386. https://doi.org/10.4000/osp.1729, p. 366.

[27] Ibid.

[28] Ibid.

[29] Savickas, M. L., Nota, L., Rossier, J., Dauwalder, J.-P., Duarte, M. E., Guichard, J., Soresi, S., Esbroeck, R. V., Vianen, A. E. M. van, et Bigeon, C., Construire sa vie (Life designing) : Un paradigme pour l’orientation au 21e siècle, 2010, L’orientation scolaire et professionnelle, 39/1, 5‑39. https://doi.org/10.4000/osp.2401, p. 5.

[30] Ibid.

[31] Parker, D., The self in moral space : Life narrative and the good. Ithaca, NY: Cornell University Press, 2007.

[32] Ibid. p. 5.

[33] Par exemple Guichard ou Bright et Pryor.

[34] Dumora, B., et Boy, T., Les perspectives constructivistes et constructionnistes de l’identité (2e partie). L’orientation scolaire et professionnelle, 2008, 37/3, 365‑386. https://doi.org/10.4000/osp.1729, p. 367.

[35] Dumora, B., et Boy, T., Les perspectives constructivistes et constructionnistes de l’identité (1ère partie). L’orientation scolaire et professionnelle, 37/3, 2008, 347‑363. https://doi.org/10.4000/osp.1722

[36] On trouve le mot « constructionisme » orthographié avec un ou deux « n ». Par ailleurs, même si le mot est quelque peu différent, il s’inscrit dans une perspective constructiviste.

[37] Gergen, K. J., Le constructionisme social : Une introduction, A. Robiolio, Trad.; Delachaux et Niestlé, 2001, p. 413.

[38] Guichard, J., et Huteau, M., Orientation et insertion professionnelle : 75 concepts clés, Paris, Dunod, 2007, p. 110.

[39] Dumora, B., et Boy, T., Les perspectives constructivistes et constructionnistes de l’identité (1ère partie). L’orientation scolaire et professionnelle, 37/3, 2008, 347‑363. https://doi.org/10.4000/osp.1722, p. 350.

[40] Kant, I., Critique de la raison pure (A. Tremesaygues & Pacaud, André, Trad.). Paris, Presses universitaires de France, 1986.

[41] Sartre, J.-P., L’existentialisme est un humanisme, Paris, Nagel, 1970.

[42] Sartre, J.-P., L’être et le néant : Essai d’ontologie phénoménologique (Ed. corrigée), Paris, Gallimard, 2012, p. 12.

[43] Watzlawick, P., Bavelas, J. B., et Jackson, D. D., Une logique de la communication, Paris, Éditions du Seuil, 1979, p. 266.

[44]  Guichard, J., 37/3—Proposition d’un schéma d’entretien constructiviste de conseil en orientation (life designing counseling) pour des adolescents ou de jeunes adultes. L’orientation scolaire et professionnelle, 2018, 47/4, 732. https://doi.org/10.4000/osp.9715

[45]  Parker, D., The self in moral space : Life narrative and the good. Ithaca, NY: Cornell University Press, 2007.

[46]  Ibid.

[47]  Peu importe ici que ce quelque chose soit inné ou acquis.

[48] Il faut d’ailleurs remarquer que le concept de personne n’apparaît pas ou marginalement dans l’approche constructiviste, mais celui de soi (au singulier ou au pluriel). Or la personne apparaît comme un être qui a une unité et une consistance propre, même si elle continue incessamment d’évoluer dans le temps. La présente acception de la personne sera précisée plus bas.

[49] En latin congruentia signifie la conformité.

[50] Entretien avec Zygmunt Bauman, propos recueillis par Xavier de la Vega accessible par le lien : http://wiki.labomedia.org/images/c/c2/Vivre_dans_la_modernite_liquide._Zygmunt_Bauman.pdf

[51] Savickas, M. L., Nota, L., Rossier, J., Dauwalder, J.-P., Duarte, M. E., Guichard, J., Soresi, S., Esbroeck, R. V., Vianen, A. E. M. van, et Bigeon, C., Construire sa vie (Life designing) : Un paradigme pour l’orientation au 21e siècle, 2010, L’orientation scolaire et professionnelle, 39/1, 5‑39. https://doi.org/10.4000/osp.2401, p. 11.

[52] Philosophe du XXème siècle à l’origine du courant personnaliste en France.

[53] Mounier, E., Le personnalisme, Paris, Editions du Seuil, 1962.

[54] Lee, J. (2017). Emmanuel Mounier and personalism : Contributions to personal and community life, 2017, New Ideas in Psychology, 45, 38‑45. https://doi.org/10.1016/j.newideapsych.2016.07.001, p. 38.

[55] Mounier, E., Le personnalisme, Paris, Editions du Seuil, 1962, p. 430.

[56] Ibid.

[57] « A common essential tenet of personalism is that the human being as studied by the sciences is also an « I ».»

[58] Mounier, E., Le personnalisme, Paris, Editions du Seuil, 1962, p 5.

[59] Le constructivisme peut employer dans un sens très différent le mot substance : par exemple Guichard et Huteau (2007) affirment que « dans la perspective constructiviste, le « soi » n’est pas conçu comme une substance (correspondant, par exemple, à une « identité sociale » que l’individu acquerrait passivement en s’imprégnant des modèles que lui fournit son entourage) mais comme une forme, comme un processus général de réflexivité se structurant sous la forme de certains modes déterminés de rapport à soi en fonction des interactions en contextes de l’individu » (Guichard, J., et Huteau, M., Orientation et insertion professionnelle : 75 concepts clés. Paris, Dunod, 2007, p. 109). L’utilisation du mot substance comme identité sociale est ici remarquable et très inhabituelle en philosophie. Originellement, le mot de substance désigne un être qui existe par soi, indépendamment de telle ou telle représentation sociale. La personne par exemple est une substance. La substance, telle qu’elle est niée du soi, et attribuée à l’identité sociale, est ainsi source d’un double étonnement : d’une part le soi ne serait pas un être qui se tient là comme personne, d’autre part, une identité sociale construite peut être une substance. Ce double étonnement nous introduit dans la philosophie qui sous-tend le constructivisme social. La perspective développée ici est au contraire réaliste (et non idéaliste) et ontologique. Mais contrairement à que semblent supposer les auteurs constructivistes, la personne comprise comme substance n’implique pas une fixité immuable de la personnalité.

[60] Stein, E., De la personne humaine, Münster, 1932-1933 1, 1, (F. M. Spescha & B. Beckmann-Zöller, Trad.), Villars-sous-Yens, Ad Solem : Cerf ; Ed. du Carmel, 2012.

[61] Ibid.

[62] Lavelle, L., L’erreur de Narcisse, Paris, Table ronde, 2003, p. 79.

[63] Ibid.

[64] Ibid.

[65] Ricœur, P., Le volontaire et l’involontaire, Paris. Éd. Points, 2009, p. 459.

[66] Séparé par un trait d’union dans le texte.

[67] Ibid.

[68] Ibid., p. 462.

[69] Souligné dans le texte.

[70] Ibid.

[71] Ibid.

[72] Ibid.

[73] Ibid.

[74] Ibid., p. 463.

[75] Ibid., p. 464.

[76] Ibid. p. 467.

[77] Souligné dans le texte.

[78] Stein, E., L’être fini et l’être éternel : Essai d’une atteinte du sens de l’être (R. Leuven, Éd.; G. Casella, F.-A. Viallet, et L. Gelber, Trad.), Louvain, Nauwelaerts, 1972, p. 360.

[79] Ibid., p. 369‑370.

[80] Ibid., p. 370

[81] Souligné dans le texte.

[82] Ibid.

[83] Housset, E., La vocation de la personne : L’histoire du concept de personne de sa naissance augustinienne à sa redécouverte phénoménologique (Vol. 1‑1), Paris, Presses universitaires de France, 2007.

[84] Ibid. p. 224

[85] Ibid.

[86] Ibid.

[87] Ibid., p. 269.

[88] Monbourquette, J., À chacun sa mission, Paris, Bayard, 2001.

[89] Sartre, J.-P., L’existentialisme est un humanisme, Paris, Nagel, 1970.

[90] Emmanuel Mounier, Le Personnalisme, Paris, Editions du Seuil, 1906, p. 467-468 (sous-chapitre intitulé « la vocation »)