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Des « leaders populaires » contre la crise de l’autorité

Un défi éducatif du pape François

Philippe Franceschetti*

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Résumé : Au fil de ses écrits, nous analyserons un aspect plutôt méconnu de la pensée du pape François : le souci de former des « leaders populaires ». Nous montrerons que cela engage l’éducation chrétienne et que cela fait écho à une certaine crise de l’autorité.  Cette notion de « leaders populaires » fait appel à une l’idée que François se fait du « peuple » et nous amène à préciser sa conception de la prise de responsabilité. C’est donc pour le système éducatif une interpellation forte au sujet de la formation à dispenser aux jeunes dans une relation d’autorité renouvelée, mais aussi de la conception à avoir de la communauté éducative et de la pédagogie à adopter pour parvenir à cet objectif. Dans la crise de l’autorité actuelle, François propose aux éducateurs une démarche pour former à une autre autorité, la démarche d’Emmaüs.

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Sœur Emmanuelle BILLOTEAU
Nicolas Barré : Un chemin de liberté.

Paris, Salvator, 2021, 222p.

Le grand réveil religieux qui a marqué, en France, le XVIIème siècle a suscité, à la fois, des initiatives pastorales d’envergure, notamment l’essor de l’éducation des milieux populaires et la création de congrégations enseignantes, mais aussi un renouveau spirituel très intense, comportant l’essor de conversions engagées par des chrétiens désireux d’assurer leur perfectionnement spirituel. Si Nicolas Barré a intensément participé à l’action scolaire de sa propre congrégation des Minimes, le second chantier lui doit également beaucoup. Il a, en effet, puissamment aidé ce mouvement que nous appellerions volontiers aujourd’hui « d’accompagnement » : il s’agit bien toujours d’éducation, non plus, certes, d’enfants, mais d’adultes à faire grandir spirituellement selon leur propre souhait. Leur volonté étant de répondre à l’appel de Dieu, cela se fera selon des voies appropriées à leur état de vie, à leur culture et à leurs aspirations. Il ne s’agit pas, ici, de se contenter d’une démarche peu exigeante, mais bien d’identifier et de cultiver des voies appropriées à chacun, de façon personnalisée. Comme l’écrit dans sa préface Monseigneur Boulanger, « la vie spirituelle, pour eux, ne s’adresse pas à des anges mais à des êtres humains ». Il s’agit donc, de façon modeste mais résolue, de mettre en place une démarche de formation chrétienne d’adultes. Cela devait aboutir en 1694, c’est-à-dire quelques années après la mort de l’auteur, à la publication de « Maximes pour la direction des âmes » tant pour les « directeurs » que pour les personnes « dirigées ». Il s’agit donc d’instaurer une pratique originale de perfectionnement spirituel. L’on sera à bon droit reconnaissant à Sœur Emmanuelle d’avoir ainsi actualisé une voie de recherche un peu oubliée mais dont les origines et l’histoire méritent d’être connus, et cela à l’occasion du 4ème centenaire de la disparition de Nicolas Barré. Il convient donc d’en féliciter chaleureusement Sœur Emmanuelle.

Guy AVANZINI

 

Axelle BRODIEZ-MOLINO
Des sans-logis aux sans domicile : Le foyer de Notre Dame des sans-abri à Lyon depuis 1950.

Éditions des Presses universitaires de Saint Etienne, 2020, 268 p.

Voici un ouvrage qu’il est malaisé d’affecter à une rubrique scientifique classique. Paru dans la Collection « Sociologie-matières à penser », il relève de plusieurs disciplines ordonnées à l’étude d’un épisode éminent de l’histoire de Lyon : la fondation du foyer Notre Dame des sans-abri ouvert en 1950 par Gabriel Rosset, professeur dans un lycée public et membre fidèle de la Paroisse Universitaire de Lyon.

Plutôt que d’en présenter un résumé, sans doute est-il préférable de distinguer les trois raisons majeures qui font à la fois sa valeur et son intérêt. La première est d’ordre historique : il s’agit d’une étude approfondie et rigoureuse du célèbre « foyer » qui a marqué décisivement l’histoire du Christianisme social à Lyon. Madame Brodiez a minutieusement reconstitué et exposé sa genèse, son ouverture ainsi que son développement. Elle montre l’extraordinaire hétérogénéité de ceux qui y ont cherché et trouvé un accueil et un réconfort.

Mais, surtout, l’horizon s’élargit et l’auteur situe le foyer lyonnais dans le contexte sociologique de l’époque ; elle inventorie avec minutie et de façon souvent novatrice, l’émergence et l’activité des diverses Œuvres, religieuses ou non, mises en place tant par les Églises que par les services officiels pour faire face au phénomène impressionnant de la misère. Elle dresse le tableau des institutions vouées à y remédier, issues notamment de l’influence de l’Abbé Pierre et de l’action du Secours Catholique.

Une troisième raison de la valeur de cet ouvrage, c’est la manière dont, discrètement mais fermement, elle met en lumière et en relief l’anthropologie chrétienne qui témoigne de la volonté d’ouvrir aux sans-logis un avenir qui leur rende possible l’éventualité de retrouver leur autonomie. Le signe délicat mais fort de cette volonté se trouve d’emblée dans le terme de « passager », qui désigne ceux qui sollicitent de venir au Foyer et d’y être reçus : ce mot signifie qu’ils ne sont pas voués à jamais à la marginalité mais que leur avenir demeure ouvert. C’est ce que montre aussi la présence Gabriel Rosset auprès de ces « passagers » pour étudier de façon personnalisée avec eux l’ouverture d’un avenir.

On sera donc particulièrement reconnaissant à madame Brodiez de cette recherche novatrice, qui pose un problème tragique par l’énormité de ses aspects et la complexité des activités qu’elle impose.

Guy AVANZINI

 

Bertrand BERGIER
Retours gagnants. De la sortie sans diplôme au retour diplômant.

Peter Lang, Bruxelles, 2022, 226 p.

Ce livre est à la fois original, bienvenu et opportun. Prenant acte de l’usure de l’École, que manifestent tout particulièrement l’échec scolaire et la décision individuelle de quitter l’institution sans avoir acquis de diplôme, Bertrand Bergier entreprend d’élucider la signification de ce phénomène et étudie les voies d’une remédiation.

A la lecture de cet ouvrage très documenté, nous avons d’abord apprécié sa maîtrise méthodologique, que manifestent particulièrement la finesse de ses analyses comme la clarification du phénomène de l’absentéisme, dont il discrimine les diverses étapes. Celui qui abandonne l’École volontairement et sans diplôme va, certes, jouir d’abord de la liberté ainsi acquise mais il va bientôt éprouver aussi désarroi et ennui. Cette situation déroutante va l’amener à envisager l’éventualité d’une reprise d’étude, en vue de l’obtention d’un diplôme. Mais, ce faisant, il se heurte à toutes sortes de difficultés, susceptibles de ruiner son projet, sauf s’il maintient la volonté de soutenir son effort.

L’observation de ces cas amène à privilégier deux remarques fondamentales pour expliquer ce processus complexe de départ et de retour. Il est clair d’abord que, à travers les modalités les plus complexes, l’élément déterminant de ce mouvement est d’abord d’ordre affectif : ce qui commande l’évolution de l’adolescent dans ses incertitudes et ses changements, c’est d’abord la qualité des relations intra familiales. Comme aux autres moments du développement du sujet, c’est bien toujours ce facteur relationnel qui est premier. Secondement, et plus précisément, l’auteur dégage une hypothèse dont la formulation et l’énoncé justifient la citation intégrale : « plus les jeunes de notre population sont issus de catégories professionnelles modestes, plus les facteurs de décrochage les distinguant de manière significative concernent les registres cognitifs et pédagogiques ; plus ils sont issus de catégories favorisées, plus le facteur distinctif est d’ordre relationnel » (pp.52-53). Enfin, on n’appréciera pas moins l’étude des difficultés que soulèvent le retour à une formation diplômante. L’auteur propose à cet égard une analyse qui approfondit et renouvèle la psychologie de l’adolescent comme les diverses problématiques qui ouvrent à des vues proprement anthropologiques.

On félicitera volontiers Monsieur Bergier de ce beau travail, qui mérite d’être poursuivi et approfondi, dans la ligne des recherches qu’il suggère.

Guy AVANZINI

 

Pierre CIEUTAT et Sylvain CONNAC
Coopération et évaluation. Pour ne décourager aucun élève.

Lyon, 2021, Chronique sociale, 201p.

Qu’il le veuille ou non, le système scolaire comporte nécessairement une « évaluation », tant pour juger de sa portée que pour comparer les élèves. Mais, précisément, cela entraîne des risques en exposant certains à une attitude auto dépréciative comme d’autres à une vanité naïve. Plusieurs sont découragés face au classement qui les expose à une image détériorante d’eux-mêmes et au risque d’aggraver une évolution que l’on voudrait précisément éviter.

C’est pour prévenir ce danger et ces dégâts qu’un groupe de 40 praticiens et chercheurs de la direction diocésaines de l’Enseignement Catholique de Mende se sont efforcés d’inventer de nouvelles manières de procéder. Aussi, Messieurs Cieutat et Connac ont entrepris une recherche-action partant de l’hypothèse selon laquelle l’adoption de démarches coopératives pourrait prévenir une comparaison infériorisante. Ce volume expose donc, et de manière précise et détaillée, ce que chacun d’eux a inventé pour sa propre classe en substituant la coopération à la comparaison.

Il n’est évidemment pas possible d’exposer ici toutes ces démarches, bien qu’il soit légitime de les féliciter de leur inventivité. On regrettera seulement que l’élaboration théorique soit un peu rapide, sans qu’on puisse vraiment le leur reprocher, dans la mesure où leur objectif est de préconiser des pratiques.

On signalera aussi que, malgré leur bonne volonté, cette entreprise se heurte à un obstacle sur lequel on a malheureusement peu de prise. L’usage scolaire de la comparaison, du classement et de l’évaluation négative est, en effet, l’expression scolaire d’une démarche beaucoup plus générale. C’est toute la société qui est marquée par l’influence du darwinisme et de la sélection. L’École prolonge à sa manière ce que la société induit. Un système d’évaluation correspond à une vision d’ordre proprement politique. En ce sens, pour légitime qu’elle soit, la pratique d’une évaluation détériorante est difficile à éviter. Il s’agit bien de la combattre mais sans ignorer l’obstacle considérable auquel elle se heurte.

Guy Avanzini

 

 

Yves COMBEAU
« Toujours prêt » : Histoire du scoutisme catholique en France.

Paris, éditions du Cerf, 2021, 360p.

Le centenaire du scoutisme, notamment catholique, a été marqué par son éclatement institutionnel et la rupture conflictuelle de son unité. C’est ce phénomène complexe et ses raisons qui ont fait l’objet du minutieux travail d’un historien dominicain qui en a scrupuleusement reconstitué les épisodes. Mais, dès l’introduction, il propose une hypothèse audacieuse, selon laquelle cette explosion apparemment étonnante était en réalité prévisible dès l’origine : « Depuis ses premiers pas, le scoutisme catholique français portait les germes de débats irrésolus et probablement insolubles » (p.8). Pour l’auteur, en effet, trois ambiguïtés majeures n’étaient pas surmontées, et devaient nécessairement engendrer la discorde : d’abord, fondée à Paris en 1920, l’Association Catholique des Scouts de France laissait dans l’incertitude l’identité claire de l’autorité religieuse dont elle relevait. Quels sont, en la matière, les pouvoirs de l’évêque local ? En outre, quel est le rôle de l’aumônier : est-il le directeur ou l’animateur spirituel ? Enfin, quelle est la finalité du mouvement : éducation générale, ou évangélisation ? Il y avait là, d’emblée, trois sources de divergences. A mesure que le mouvement se développe, ces ambiguïtés deviennent plus gênantes et s’imposent dans le débat.

Dans un style à la fois clair et détendu, le Père Combeau rend intelligible un objet complexe et multiforme, que sa finesse dérobe à l’analyse. Il montre comment, selon les périodes, les risques de désaccords s’intensifient, jusqu’à entrainer la division et l’instauration de groupes distincts.

L’on regrettera seulement que l’étude des relations entre le scoutisme et l’Épiscopat français n’ait pas été plus approfondie, de même que celle des rapports avec l’Action Catholique Spécialisée. Par ailleurs, les trois hypothèses posées initialement structurent tout le développement et lui donnent son unité. On aurait cependant souhaité qu’elle n’ait pas été plus systématiquement formalisée et rappelée aux différentes étapes. Elles sont comme un peu étouffées par une recherche que l’abondance de sa documentation rend difficile à maitriser.

Il s’agit cependant d’un beau travail, publié très opportunément et susceptible d’aider à l’établissement de relations pacifiées entre des institutions dont chacune porte un dynamisme original. C’est donc de tout cela que le Père Combeau doit être chaleureusement félicité.

Guy AVANZINI

 

Luc BRETONNIER
L’école du Gotha ; enquête sur l’École Alsacienne.

Paris, Seuil, 2021, 326 p.

La renommée dont jouit l’École Alsacienne amène à accueillir cet ouvrage avec intérêt. De fait, Monsieur Bretonnier propose un volume qui sera bien reçu. Il rassemble beaucoup d’informations sur les origines et l’originalité de cet établissement de prestige. Il en identifie les racines et, au terme d’enquêtes bien conduites, reconstitue tout son développement.

Cependant, sans qu’on en méconnaisse ses incontestables mérites, cette recherche suscite une certaine déception. Plusieurs de ses analyses apparaissent trop empiriques et approximatives ; sans exiger toujours une approche scientifique, il convient néanmoins de satisfaire à certaines requêtes méthodologiques, faute desquelles l’ensemble demeure insuffisamment valide. Mise en place à la suite de la guerre de 70 par les « Optants » français, elle ne présente pas suffisamment son contexte culturel. Elle n’indique pas non plus ce que serait son « projet pédagogique », qui en identifierait les objectifs et d’éventuelles doctrines de références. Ce n’est pas une rapide allusion à Maria Montessori qui suggère une idée précise des fondements que l’institution s’est donnés. Semblablement, si sa relation avec l’Église Réformée est notée, c’est de façon trop vague et rapide. Aussi bien, le paramètre religieux dans le programme de l’École n’est pas véritablement signalé ni analysé.

Quant aux problèmes de fond, celui du Gotha en tant que tel, l’ouvrage ne précise pas quelle solution est envisagée. Bien que la question soit largement traitée, elle ne permet pas d’y trouver une réponse vraiment satisfaisante. Ainsi, comment éviter que des enfants de milieux culturellement modestes mais scolarisés expérimentalement à l’École Alsacienne ne s’y sentent pas comme des « déportés culturels » ? Mais, inversement, si pour éviter tout danger, on préférait s’installer dans un « entre-soi », ne risquerait-on pas d’en ressentir une certaine mauvaise conscience ? La question est posée dans toute sa rigueur, mais on ne voit pas exactement comment elle est traitée, ni selon quel référentiel.

Guy AVANZINI

 

Daniel MARCELLI
Moi, je ! De l’éducation à l’individualisme.

Paris, Albin Michel, 2020, 264p.

Cet ouvrage, peut-être un peu long, s’adresse à tous ceux qu’inquiète l’actuel crise de l’éducation : selon quelles finalités éduquer et moyennant quelles pratiques ! Nul n’échappe à ces deux questions, conjointes mais disjointes, qu’induisent les transformations culturelles en cours. En particulier, on a vu, depuis 20 ou 30 ans, émerger un courant de pensée qui, avec l’avènement du « bébé compétent » (p.10) fort de son « potentiel », induit une mentalité permissive et individualiste au nom de laquelle chaque enfant pourrait poser librement ses propres choix.

Face à cette mentalité, l’auteur a rassemblé et exposé une abondante documentation. Il étudie les signes et indices de cette évolution, notamment la succession de concepts valorisés puis dévalorisés (bébé, sujet, enfant) comme le renversement des relations entre « désir » et « besoin » de l’enfant. Tout à la fois, il semble estimer irréversible cette évolution, mais en même temps il déplore les conflits qu’elle suscite inévitablement entre l’adolescent libre de ses choix, les inévitables contraintes sociales et les obstacles que rencontrent sa volonté ou ses caprices. C’est pourquoi, indique M. Marcelli, on est conduit à se poser une grave question : « que feront nos enfants, demain ? » (p.7). Va-t-on inéluctablement vers « le triomphe de l’individu » (p.13) et « l’individualisme éducatif » ? (p.15). Au total, l’on se trouve devant un dilemme : « accéder à la liberté de choisir mais pouvoir en accepter les contraintes ? Tels sont les enjeux de l’éducation contemporaine » (p.309).

Face à cette conjoncture, M. Marcelli semble embarrassé et son argumentation devient un peu floue. D’abord, quels sont exactement le statut et la validité de ces « compétences » ou de ce « potentiel » prêtés à l’enfant ? En outre, si le sujet est invité à des choix, selon quels critères va-t-il les effectuer ? Quelles valeurs mobilisera-t-il ? Faute de le savoir, doit-on se résigner à l’inéluctabilité des évolutions sociales ou les refuser et se révolter, mais jusqu’à quel point ? Aussi bien, devant ces options décisives, l’individu semble disposer d’un statut bien étriqué et en difficulté pour y faire face ? N’est-il pas dépourvu de valeurs dynamogènes indispensables pour fonder ses décisions ? On a le sentiment que, par rapport à ces problématiques, il se trouve devant un horizon bien limité. Du moins est-ce l’impression que laisse ce livre, comme s’il lui manquait un véritable projet axiologique, à la mesure et à la hauteur de la situation contemporaine.

Guy Avanzini

 

 

Jean-Marie PETITCLERC
Rebâtir la fraternité.

Paris, Salvator, 2021, 108 p.

En entreprenant l’écriture d’un ouvrage sur la fraternité, Jean-Marie Petitclerc s’exposait courageusement à un risque. Cette notion est, en effet, tellement conflictuelle, controversée, compromise par les alibis d’un discours mensonger et hypocrite, qu’il est singulièrement difficile de la restituer à un registre rationnel qui lui confère une validité. C’est que, dès ses origines, la première expérience de la fraternité – Caïn et Abel – a été un cruel échec, qui a traversé les siècles et compromis, à jamais, une éducation ordonnée à prévenir la violence et, de ce fait, exposée à un sort aléatoire.

Comme on l’a déjà remarqué, la difficulté fondamentale tient à ce que, à la différence de l’amitié, qui relève du choix des personnes, la fraternité est visée pour des sujets qui ne se sont pas choisis et entre qui interviennent toutes sortes de rivalités. On constatera  ainsi que, en dépit du discours qu’elle tient sur la fraternité, l’École est bien loin d’offrir un contexte dans lequel celle-ci soit reconnue et respectée. Dénoncée comme « reproductrice », elle prolonge des inégalités qui gênent les relations entre les personnes. Elle favorise, à son insu ou délibérément, des situations de rivalité et de concurrence dans un climat darwinien d’esprit sélectionniste et élitiste.

La société globale expose aux mêmes risques car elle offre le spectacle affligeant d’un refus de coopération et de l’organisation de la concurrence. A la limite, c’est le vouloir vivre commun qui est récusé ou qui échoue à trouver ses modalités d’organisation. Plus radicalement, ces dernières ont un fondement proprement anthropologique. Le freudisme a mis en évidence la thématique du « meurtre du père ». Lorsque l’autorité de celui-ci est récusée, la fraternité l’est aussi par voie de conséquence, de sorte qu’elle valorise un individualisme qui en est la négation même.

Dès lors, les sujets se répartissent en deux catégories :

  • Les croyants, formés dans le christianisme : « la vraie racine, c’est la filiation à un père commun » (p.68), ainsi que l’indique justement Jean-Marie Petitclerc.
  • Les non-croyants, qui peuvent éventuellement désirer la fraternité, mais sans que ce soit avec le même élan chez tous. C’est que, faute de paternité, la fraternité trouve difficilement son fondement. Elle va chercher à « se rebâtir », en invoquant des raisons de bon sens ou d’utilité, mais sans procurer un fondement rationnel qui justifierait de s’y soumettre. C’est bien pourquoi ces constructions sont précaires et fragiles ; elles peuvent même placer dans une situation contradictoire en se justifiant par le danger que représente autrui, c’est-à-dire précisément par son manque de fraternité. C’est dans une situation de ce type que se trouvent le plus fréquemment nos sociétés : convaincues que la fraternité est indispensable, elles ne parviennent pas à l’établir et sont toujours menacées par la fragilité de valeurs indécises, qui ne parviennent pas à assurer leur justification. On peut donc craindre que, en préconisant la reconstruction de la fraternité, Jean-Marie Petitclerc soit un peu optimiste. L’éducation, quelle qu’elle soit, est-elle à la hauteur des périls qu’elle rencontre et peut-on l’espérer capable de les surmonter ?

Guy Avanzini

 

Jean-Marie PETITCLERC
La pédagogie de Don Bosco en 12 mots clés.

Editions Don Bosco, Paris, 2012, 214 p.

Parmi les nombreuses et valeureuses publications de JM Petitclerc, peut-être celle-ci, dont la recension a été omise par mégarde, celle-ci est peut-être la plus dense et la plus approfondie, celle qui en situe le mieux la spécificité et le bien-fondé. Sans doute en raison de sa portée, elle tient à l’originalité délibérée de son approche, qui consiste à l’exposer par l’identification et le jeu systémique de 12 « mots clés » censés ouvrir l’accès à la pensée de l’auteur. Avec son talent de clarification de concepts apparemment ténébreux, l’auteur en a discerné 12, qui lui paraissent tenir un rôle majeur et dont le classement alphabétique induit le plan de l’ouvrage en 12 chapitres.

En quelque manière, l’on vérifie au fil des pages la pertinence de la méthode mais aussi de l’introduction des concepts retenus, qui permettent d’approfondir l’intelligibilité d’une pensée mobilisée sur des pratiques éducatives. Ainsi, la lecture de l’ouvrage est une sorte de promenade parmi les concepts rencontrés non par hasard ou par fantaisie, mais parce qu’ils illustrent leur fonction systémique. Aussi découvre-t-on la cohérence et la plasticité d’un système dont la dynamique illustre et vérifie la pertinence de la nouveauté.

Encore ne peut-on, malgré ses mérites, méconnaitre les risques de cette démarche d’exposition. Elle réside évidemment dans l’établissement de la liste et du choix des concepts posées et reconnus comme fondateurs, d’autant plus que les frontières entre eux ne sont pas étanches. Par exemple, « la douceur » ne recouvre-t-elle pas plusieurs notions et n’est-elle pas inséparable de la notion opposée de violence, qui n’est pas dans la liste, non plus que celle de système. Peut-on donc éviter certaines redites comme certaines omissions ? C’est dire que cette méthode est séduisante et productrice sans exclure ni pouvoir écarter certaines répétitions. On souhaiterait donc que, pour sa vérification, elle fût étudiée sur d’autres auteurs.

Guy AVANZINI