Archives de catégorie : Non classé

Sœur Joëlle Bec, f.m.i., Sœur Monique Robez-Masson, f.m.i
Allez jeter vos filets : Adèle de Trenquelléon

Bar le Duc – Imprimerie St Paul – 1987 – 92 p.

Née en 1789, dans les environs d’Agen, Adèle de Batz de Trenquelléon dut rapidement s’exiler, avec sa famille, pour échapper à la Terreur. Revenue en France en 1801, elle appartient à cette génération de chrétiens fervents, résolus à remédier à la déchristianisation, spécialement celle des milieux ruraux. Très jeune, même, elle s’est sentie appelée à annoncer l’Evangile. Instruite par une tante, elle n’a elle-même fréquenté aucun établissement scolaire mais, hyperactive, généreuse, passionnée et un peu scrupuleuse, elle ouvre chez elle une sorte de « petite école » pour pourvoir, très empiriquement à l’instruction religieuse des filles pauvres de la campagne. Avec une amie également pieuse et décidée, elle fonda une « petite société » qui rejoint, par une lettre hebdomadaire, des jeunes filles également désireuses de spiritualité.

Et voici que, en 1808, elle rencontre fortuitement -ou providentiellement !- chez une amie, un collaborateur du Père Chaminade, prêtre bordelais, qui entreprend d’établir une « congrégation mariale ! ». Assez vite, tous deux découvrent la similitude de leurs objectifs ; également convaincus que la re-christianisation  de la population passerait et commencerait par celle de la jeunesse, ils en viennent à mûrir le projet d’une famille religieuse dont les Marianistes seraient la branche masculine et l’association d’Adèle constituerait la branche féminine. Le Père Chaminade en entreprend la rédaction des Constitutions. Malgré mille obstacles, en juillet 1817, Adèle, nommée Supérieure et devenue Mère Marie de la Conception, peut faire profession ainsi que ses compagnes. Fortes d’une spiritualité à dominante mariale, elles se veulent missionnaires, vouées à faire connaître et aimer Dieu et l’Evangile. Enfin, en juillet 1819, les « Filles de Marie » reçoivent l’approbation Pontificale.

Ce petit ouvrage, dont la parution coïncide avec le cinquantenaire de l’Institution Sainte Marie d’Antony, présente très bien la spiritualité dynamique de la nouvelle Bienheureuse. Et il lui apporte l’hommage qui convient. On regrettera seulement qu’il soit insuffisamment explicite et clair sur les structures canoniques de sa congrégation, la diversité des statuts et la genèse des « Tiers ordres », tant séculier que régulier. L’exposé manque ici de précision, et cela gêne la compréhension des activités apostoliques des uns et des autres. On sait seulement que « les Sœurs se trouvent en ville, les tertiaires à la campagne (p. 65) on aimerait des indications plus précises.

La nouvelle Bienheureuse n’avait pas laissé de pédagogie. Mais sa finalité est claire : il s’agit d’évangéliser. Certes, il faut, selon les modalités appropriées, donner aux filles de la campagne l’instruction polyvalente que requièrent leur condition et leur époque, mais il faut d’abord former de vraies chrétiennes, dont la foi soit solide, éclairée et active.

Guy Avanzini

 

Société nouvelle Gorini (SN Gorini)
La charité de Saint-Vincent de Paul : un défi ?

Actes du colloque du 26 au 28 septembre 2017 – Bourg en Bresse – 2018 – 464 p.

Organisé à Chatillon-sur-Chalaronne du 26 au 28 septembre 2017 pour commémorer le 4ème centenaire de la création des confréries des Dames de la Charité de Saint-Vincent de Paul, ce colloque, à proprement parler, ne traite guère d’éducation. Il mérite néanmoins d’être évoqué ici, car il y fait très fréquemment et directement allusion. L’acte de charité est fréquemment un geste éducatif. Il se présente globalement comme attestant l’incessante créativité de la pratique caritative, que requiert nécessairement l’amour du prochain. C’est véritablement une histoire de la charité au quotidien, même s’il ne s’agit évidemment pas ici de réduire l’éducation à sa seule forme scolaire, qui n’en est qu’une modalité parmi d’autres. Plusieurs textes mettent en évidence des gestes qui ne sont pas seulement ponctuels mais visent un acte durable, propice à l’auto-réalisation d’autrui.

Sans entrer ici dans l’analyse détaillée des communications, nous voudrions seulement souligner l’initiative originale de charité que plusieurs d’entre elles, rassemblées ici, mettent en évidence. A cet égard, les chapitres relatifs au Diocèse de Lyon et à son environnement, notamment à la paroisse de Chatillon-sur-Chalaronne apportent une information précieuse sur l’état de la pastorale mais aussi des pratiques d’ordre éducatif. La mise au point de celles-ci, en préfigurant la pratique régulière et méthodique de la visite à domicile des familles pauvres, acquiert une précision et une pertinence qui permettent d’y pressentir ce qu’il est maintenant devenu classique d’appeler « l’éducabilité non formelle ».

C’est dire que cet excellent ouvrage montre comment le christianisme n’est pas seulement une doctrine mais engage ceux qui y adhèrent à une démarche globale en « immersion ». Et le rôle moteur de Saint-Vincent y est placé dans une lumière impressionnante.

Guy Avanzini

 

Matthieu Brejon de Lavergnée
Le temps des cornettes : histoire des Filles de la Charité XIXe – XXe siècle.

Paris – Fayard– 2018 – 684 p.

Poursuivant dans ce volumineux tome 2 ses travaux sur l’histoire des Filles de la Charité de St Vincent de Paul, l’auteur établit ce qu’il en est advenu au cours des XIXe et XXème siècles. Et il lui paraît légitime d’unifier cette période autour de la notion symbolique du « temps des cornettes », pour évoquer la célèbre coiffure religieuse qui fût portée jusqu’après le Concile.

Nous n’entrons pas ici dans le détail de la remarquable analyse des archives de la Compagnie, qu’a magistralement effectuée M. de Lavergnée, mais nous soulignerons l’idée centrale qui anime toute sa lecture. Les Filles de la Charité furent près de 130 000, à la fin du XIXème siècle, mais elles ne demeurent qu’environ 8 000 en 2010, après que la cornette eût été remplacée par un voile plus léger. Or, force est de constater que, malgré sa finesse, sa sensibilisation aux changements et sa perception des évolutions sociales, la Congrégation n’a pu empêcher la chute des effectifs. Mille activités socio-professionnelles permettent d’être au service d’autrui sans s’imposer les rigueurs de la vie religieuse. Comme les autres congrégations, la Compagnie des Filles de la Charité connaît une cruelle diminution de ses effectifs.

  1. Avanzini

 

Jean-Marie Petitclerc (sous la direction de)
S’épanouir en lycée professionnel dans le sillage de Don Bosco

Paris – Ed. Salvator – 2018 – 206 p.

Convaincre que l’inscription en lycée professionnel n’est pas fatalement le signe et la promesse de l’échec scolaire et social, telle est l’intention paradoxale de cet ouvrage. Mais n’est-elle pas bien présomptueuse, voire euphorique ? Elle se heurte en effet à la conviction séculaire qui, héritée de la culture gréco-latine, n’a cessé de nourrir le mépris des tâches manuelles et de ceux qui les accomplissent. Et la valorisation de l’Ecole a, de nos jours, fortifié ce préjugé en voyant dans le succès scolaire le véritable indice de l’intelligence et le seul fondement légitime de l’ambition. Soutenir que le lycée professionnel pourrait être un lieu d’épanouissement paraît donc dérisoire.

Telle est cependant l’hypothèse que risque ce livre, qui entend bien ébranler ces représentations funestes : Pour lui, le lycée professionnel, « c’est une véritable opportunité à saisir » (p.18). Encore n’est-ce ni fortuit ni magique, mais subordonné à un renversement du regard de l’élève et de celui-ci sur lui-même. Il est arrivé découragé, voire révolté, convaincu de sa médiocrité, « décrocheur » promis à la marginalisation. Il ne pourra commencer à changer d’attitude que si les formateurs sont assez convaincus de son éducabilité et de sa perfectibilité pour l’amener à y croire aussi. A l’expérience de le confirmer, il réagira par l’effort pour la mériter. Ce nouveau climat affectif suscitera sa propre démarche de reconstruction, que la réussite confirmera. En d’autres termes, c’est la pédagogie salésienne qui le sauvera.

Telle est en effet, précisément, la spécificité de l’Institut Lemonnier, l’excellent lycée salésien de Caen, dont on sait l’inventivité pédagogique comme la fidélité créative à Don Bosco. Réunis autour du Père Petitclerc, une dizaine de ses professeurs ont entrepris d’analyser leurs pratiques. Si leur niveau d’écriture et d’analyse est inégal, tous cependant se retrouvent autour de l’anthropologie dynamique du « système préventif » qui, sans que ce soit perçu, marque décisivement l’histoire de la pédagogie. « C’est une particularité de ce lycée : de travailler sur l’être en tant que personne, et non en tant qu’élève » (p. 47). Les divers contributeurs convergent pour dire combien leur pratique les a, eux aussi, revigorés et « épanouis ». On est loin, ici, des lamentations redondantes sur « le manque de moyen », à la dénonciation duquel tant d’autres limitent leur regard. C’est « qu’il n’est pas anodin, pour un directeur, de voir, émerveillé, la métamorphose que la prise d’initiative donne à vivre aux jeunes » et de « partager avec eux le goût de la confiance » (p. 30). On les verra alors arriver d’un meilleur statut social que tant de ceux que des diplômes sans portée condamnent au chômage. Quand ceux qui ont charge de l’Ecole consentiront-ils à s’en apercevoir ?

Guy Avanzini

 

Jean-Marie Petitclerc (sous la direction de)
Avec Don Bosco, croire en la jeunesse

Strasbourg – Editions du  Signe – 2015 – 96 p.

Ce livre-album, qui comporte plus d’images et de photographies, souvent très belles, que de textes, présente sous un jour nouveau, et esthétiquement très réussi, l’œuvre de Don Bosco.

Introduit par Sœur Geneviève, provinciale des Filles de Marie-Auxiliatrice, il montre comment et pourquoi ce prêtre turinois du lointain XIXème siècle, non seulement garde toute son actualité mais, bien davantage, fournit des pistes et des démarches appropriées à l’éducation actuelle. Il met en évidence, chez Don Bosco, des intuitions pédagogiques capables de sortir de certaines de nos difficultés d’aujourd’hui. A partir d’une série de critères, il expose les situations que celui-ci a vécues, et comment il y a réagi, pour en faire apparaître la pertinence. Ainsi en est-il, par exemple, de la famille ou de l’école, ou de l’initiation chrétienne. Il confirme que l’évolution plus ou moins heureuse de chaque adolescent est subordonnée à ses rencontres et à la qualité affective de ses relations. C’est dire combien il importe « d’accompagner » l’enfant qui grandit, pour parvenir à la fois « à le sécuriser et à le responsabiliser » (p. 12). Encore faut-il, pour cela, risquer le pari de la confiance. Qu’on le sache ou le veuille, ou non, ce sont là les conditions de l’éducation, sa structure. C’est aussi l’effet du « système préventif » et de « l’amorevolezza », qui le spécifie. Et il en propose une évaluation qui confirme son efficacité et  justifie de persévérer.

Mis en valeur par l’analyse remarquablement claire et précise qu’en propose le Père Jean-Marie Petitclerc, la thématique et l’originalité de Don Bosco voient ainsi leur spécificité élucidée en des termes qui convaincront l’éducateur désemparé de chercher ici une issue aux impasses dont il se sent souvent victime. Et c’est ce qui justifie le titre même du volume : « croire en la jeunesse ».

Guy Avanzini

 

Guillaume Hünermann
Don Bosco : l’apôtre des jeunes

Paris – Salvator – 2018 – 346 p.

C’est une approche originale qu’a choisie ce prêtre allemand récemment disparu, connu comme auteur de plusieurs biographies, spécialement de saints. Son pari -et il semble bien réussi-, est d’allier fidélité historique et écriture romanesque. Car c’est bien à la manière d’un roman qu’on lit ce volume, minutieusement documenté, dense et précis, qui unit aisément la rigueur de l’information et l’agrément d’une écriture vivante et concrète. On appréciera en particulier la présentation approfondie de la sanctification de Jean Bosco au fil du temps, qui cependant ne cède jamais à une tentation hagiographique et consentirait à la mièvrerie, mais sait intégrer toutes les dimensions d’une personnalité « surdouée » et tentée par l’excès. On remarquera l’analyse de l’alliance entre l’obéissance institutionnelle à Rome et l’inventivité d’un prêtre dont le zèle et l’ardeur se déploient au service de l’Église et des pauvres. On notera enfin l’aisance avec laquelle l’auteur choisit et présente des anecdotes et des situations qui mobilisent les convictions fondamentales de l’éducateur. A peine regrettera-t-on peut être une certaine longueur du texte et une certaine surabondance des données.

Ce qui fait la force du livre fait néanmoins aussi sa faiblesse. Le genre littéraire choisi, celui du roman, empêche l’exposé thématique -théologique ou anthropologique- de la pensée pédagogique de Don Bosco, comme de son positionnement dans l’histoire des idées et des pratiques en la matière. La notion même de « système préventif » n’est pas mobilisée. Celui qui s’en tiendrait à cet ouvrage pourrait ne pas soupçonner ni mesurer toute l’originalité de cette vision de l’éducation. C’est donc, si on le compare aux publications simultanées du Père Petitclerc, il en fournit une remarquable illustration, mais aussi en requiert la lecture.

Guy Avanzini

 

J.M. Petitclerc, s.d.b
Don Bosco : 1815-1888

Paris – Presses de la Renaissance  – 2018 – 140 p.

S’inscrivant dans la longue série des publications du Père Petitclerc, ce livre offre une synthèse dense et minutieuse. Il expose avec précision le contexte douloureux de l’enfance de Don Bosco dans une « famille recomposée », ses études, son accès au sacerdoce, ses premières initiatives d’ordre pastoral à l’égard des adolescents marginalisés ou vagabonds de Turin, les étapes de la création et de la stabilisation du Valdocco, la fondation des deux congrégations salésiennes, leur élan missionnaire et leur diffusion internationale.

Si les premiers chapitres sont d’ordre historique, les suivants sont de type thématique ; ils étudient la genèse et la structuration de sa conception de l’éducation. Don Bosco a en effet parfaitement discerné les composantes structurelles de l’acte éducatif : d’abord, les finalités, qui, chez lui, sont très claires : former un honnête citoyen et un bon chrétien ; ensuite, une anthropologie : l’être humain est foncièrement éducable, réceptif au climat affectif et dépendant de la qualité affective de ses relations ; enfin, la pédagogie proprement dite, qui procède de l’articulation des trois données du système préventif : raison, affection, religion.

On appréciera particulièrement la rigueur et la précision avec lesquelles l’auteur situe les diverses composantes pour montrer en quoi la « prévention personnalisée » (p. 69) est préférable à la « prévention répressive » et offre la bonne méthode éducative. L’auteur montre ainsi très clairement la pertinence de cette structure « systémique », qui met en œuvre l’interférence de la raison, de la religion et de l’affection, qui s’inter-renforcent les uns les autres.

Le Père Petitclerc refuse tout fatalisme et croit à l’éducabilité. A une époque où beaucoup sont tentés de s’abandonner à la répression, cela est précieux, quiconque a commis un délit n’est pas un « délinquant », poussé par sa nature à récidive. Enfin, il s’impose de signaler que le dernier chapitre est composé de « textes emblématiques » (pp. 113 et sy) spécialement le célèbre texte sur « le système préventif dans l’éducation de la jeunesse ». Cela permet de méditer sur des documents trop ignorés. Ainsi cet ouvrage met en évidence la pertinence novatrice d’une conception de l’éducation qu’un contexte contraire conduit trop souvent à écarter. Mais c’est précisément ce qui fait sa valeur.

Guy Avanzini

 

Marion Le Corre-Carrasco et Philippe Merlo-Morat (sous la direction de) L’enseignement de la culture religieuse par l’université laïque et républicaine

Lyon – GRIMH – 2018 – 160 p.

Poursuivant la copieuse série des publications sur la laïcité, ces Actes d’un  Colloque, tenu les 18-19 mai 2017 à Lyon, présentent une originalité : ils traitent de l’enseignement de la culture religieuse au sein de l’institution universitaire et, en outre, avec beaucoup de liberté de ton et dans un esprit d’orientation. Cela change des propos convenus ou hargneux sur « les valeurs », et est assez rare pour mériter d’être signalé !

D’emblée, le Professeur Foray pose la question : « un enseignant tenu au devoir de réserve peut-il à bon droit faire cours sur les religions ? » (p. 15). Et il y répond en posant 4 conditions : d’abord, il s’agit de « transformer des contenus religieux en objets de savoir » (p. 15) ; de plus, l’idée ou la croyance ne bénéficie ni d’un privilège, ni d’un monopole ; en revanche, la culture requiert de les connaître ; aussi bien, comme l’avait déjà fait remarquer Paul Ricœur, est-il admissible que l’élève connaisse bien Jupiter ou Ulysse, mais n’ait jamais entendu parler de la Bible ou de St Paul ? Comment justifier ces mises à l’écart ? Enfin, « les discours scientifiques et religieux ne peuvent pas être comparés parce qu’ils n’ont pas le même type de validité » (p. 19).

C’est précisément l’idée que soutient aussi Mme Moulin-Civil, alors rectrice de l’Académie de Lyon, en des termes qui méritent d’être intégralement cités : « il n’y a pas de concurrence entre science et religion parce qu’elles ne parlent pas de la même chose… le degré de certitude peut être équivalent, mais il ne repose pas sur les mêmes bases. Dire qu’une chose ne peut pas être prouvée ne signifie pas qu’elle soit illusion, illogique, infondée, absurde ; cela signifie simplement que cela se situe en dehors de ce que la raison peut confirmer ou infirmer. Donc, science et religion ne parlent pas de la même chose, n’ont pas la même méthode, ne reposent pas sur les mêmes fondements » (p. 37 ». C’est pourquoi René Rémond pouvait écrire : « la proposition de faire une place dans des programmes scolaires au fait religieux… est d’abord une exigence proprement scientifique : le fait religieux fait parti de la réalité sociale, au même titre que tout activité collective ».

Il s’impose de signaler aussi tout particulièrement l’excellente communication de Xavier Dufour : « pour une laïcité d’intelligence ». Bien connu pour ses publications sur « les chemins de la foi », au sein du Collège des Pères Maristes de Lyon, il montre en particulier que la croyance -ou la foi- n’est pas le résidu d’une évolution mentale avortée ou incomplète qui, respectée en tant que telle, justifie le dédain dû à un genre mineur : « il faut dénoncer les ravages du positivisme et du scientisme dans la culture en général et la culture scolaire en particulier la démarche scientifique comme la seule approche légitime du réel » (p. 79). Assimiler science et vérité est, en définitive, un signe d’inculture : c’est pourquoi les enseignants des disciplines « scientifiques » devraient être formés à l’épistémologie, « afin de ne pas confondre les niveaux de discours » (p.80).

La tonalité de ces Actes est originale et bienvenue, c’est un pas dans une bonne direction : en dépit de leur titre, on voit mal pourquoi cet enseignement ne serait pas à sa place dans une université « républicaine » (p. 1)

Guy Avanzini

 

Bruno Garnier, Théodora Balmon et Jacky Le Menn (sous la direction de)
La laïcité pour vivre ensemble avec nos différences

Université de Corse – Albiana – 2017 – 218 p.

Cet ouvrage procède, lui aussi, d’un colloque universitaire, tenu en Corse en décembre 2016. Et, de fait, plusieurs communications portent sur des thématiques propres à l’ile. Cependant, il importe spécialement de signaler celle du Professeur Bruno Garnier, qui y enseigne les sciences de l’éducation, en raison de la clarté bienvenue avec laquelle il met en évidence quelques aspects des problématiques de la laïcité.

Et d’abord, contrairement à ceux pour qui elle viserait une inculcation idéologique particulière, un rationalisme exclusif, l’auteur signale d’emblée que « elle n’est pas une option spirituelle parmi d’autres ; elle est ce qui rend possible la coexistence de toutes les options, philosophiques ou religieuses » (p. 12). Elle pose « l’égalité en droit des options spirituelles et religieuses » (p. 13). Mais, surtout et plus encore, reprenant le titre du colloque « vivre ensemble avec nos différences », il indique à juste titre que ce n’est pas « vivre malgré nos différences » (p. 20). Le choix de ce mot change tout. Il faudrait souligner davantage encore qu’il signifie et induit des stratégies opposées : « malgré » implique de s’efforcer péniblement de supporter et de subir ces différences pour sauver une coexistence, alors que « avec » comporte de les accueillir et de les respecter sans les camoufler. Aujourd’hui, il est clair que l’appréhension à l’égard de l’Islam, se substituant à celle que soulevait naguère le christianisme, accroît ce désir d’occulter : on est à l’inverse de l’ouverture que préconisait P. Jouguelet : « parler de tout, avec tous » (1). Passer de « malgré » à « avec » serait, pour une société moderne, un bel objectif.

En revanche, il est contestable d’écrire que celui-ci « implique également que toutes les religions respectent les lois de l’Etat » (p. 13). On sait bien, depuis Antigone, qu’il n’en est pas ainsi et que des conflits violents et graves peuvent surgir de l’incompatibilité morale d’une mesure injuste ou contraire à des convictions fondamentales. C’est là une source de contentieux qu’il ne suffit pas de nier pour le tarir, et des polémiques contemporaines le confirment douloureusement. La loi ne supprime pas les problèmes qu’elle prétend s’efforcer de réguler. Une autre question est posée  par une remarque de M. Auduc qui, après une claire analyse des vertus de la laïcité, écrit que l’Ecole « enseigne des savoirs légitimes et non des croyances ou des opinions » (p. 90). On retrouve ce laïcisme rationaliste qui, en assimilant et en proscrivant dédaigneusement « croyances » et « opinions », témoigne d’une légèreté épistémologique qui expose logiquement cette « opinion » à un non moins légitime dédain. On renvoie pour cela à la recension des Actes du Colloque de Lyon. Quoi qu’il en soit, cela confirme combien il est difficile de vivre avec nos différences.

Guy Avanzini

 

Frédéric Beghin
Une prière pour l’école : les profs face au casse-tête de la laïcité

Paris – Plon – 2018 – 228 p.

Sans doute n’y aurait-il pas lieu de recenser ici cette publication d’un journaliste si elle n’était assez représentative de l’opinion commune et ne montrait bien la grande peur que suscite l’immigration musulmane. L’auteur indique comment celle-ci a déplacé et réactivé des querelles qui étaient en voie d’apaisement. Or, une certaine islamophobie les a réveillées et repassionnées, non sans retentir aussi sur les relations entre l’École et les autres religions.

On regrettera d’abord un texte trop long et redondant, dépourvu de toute indication d’ordre méthodologique sur le recueil des données, et entaché de quelques inexactitudes (l’école, réputée « obligatoire » : p. 123). Mais, surtout, il s’en tient à des polémiques un peu mineures et étriquées, sans expliciter ni identifier les problèmes fondamentaux. Celles qu’il évoque n’ont pas toutes la même importance ; par exemple, les incidents soulevés par la visite d’un lieu ou par l’analyse d’une œuvre d’art pourraient être évités par un peu de délicatesse. En un domaine où la susceptibilité est à bon droit particulièrement vive, ne pourrait-on pas, tout simplement écarter ce qui serait susceptible d’être perçu comme une provocation et faire preuve de ce « tact », dont E. Prairat vient si opportunément de rappeler la pertinence ?[1]. Quant aux discussions sur le créationnisme et le darwinisme, un minimum de formation épistémologique du corps enseignant suffirait à écarter des désaccords qui ne tiennent qu’à l’inculture ; comme le rappelait récemment la rectrice F. Moulin Civil, « il n’y a pas de concurrence entre science et religion parce qu’elles ne parlent pas de la même chose »[2].

Plus gravement, F. Beghin adopte une conception approximative, voire erronée, de la laïcité, comme si elle consistait -et obligeait- à cacher les spécificités de chacun, au nom d’un vivre-ensemble qui serait suspendu à l’occultation maximale des différences, à la manière d’une société de mutilés, préoccupés de camoufler leurs infirmités respectives, alors que l’objectif souhaitable est de coexister avec ses différences, ainsi que le préconisait une récente publication[3]. Malgré des équivoques soigneusement entretenues, il faut rappeler que la laïcité n’est pas une philosophie parmi d’autres, mais le support juridique de toutes les philosophies auxquelles les citoyens ont la liberté absolu d’adhérer, en évitant tout prosélytisme indiscret, et en respectant l’autre.

Encore ne faut-il pas s’étonner que des impératifs religieux puissent parfois entrer gravement en conflit avec une législation. Il serait aussi naïf de croire qu’il suffit de proclamer la priorité de la loi pour résoudre le problème de la mère de famille qui dit « Pour nous, la religion passe avant tout » (p. 22), s’inscrit à sa manière dans la longue tradition des martyrs, d’Antigone, ou de la lutte par la reconnaissance de l’objection de conscience, etc. Ce n’est pas la violence qui résoudra la divergence, mais l’invention aléatoire d’une formule politique acceptable par tous. Le livre de F. Beghin a le mérite d’une approche très concrète, saisie sur le vif. Mais, son analyse n’est pas assez approfondie, trop approximative pour offrir des issues et permettre de remédier au « casse-tête ».

Guy Avanzini

 

[1] E. Prairat – Eduquer avec tact – ESF – 2018

[2] in Marion Le Corre Carrasco. Philippe Merlo-Morat (dir.) – L’enseignement de la culture religieuse par l’université laïque et républicaine, PU de Saint-Etienne – 2018 – p. 37

[3] B. Garnier et Th. Balmon – La laïcité pour vivre ensemble avec nos différences – Albiana – 2017